Le cap a été résolument mis mercredi matin sur Boukram, une commune située à une soixantaine de km au nord-ouest de Bouira. Il est neuf heures, mais à cause des nuages qui couvrent le ciel, la notion du temps se brouille, et l’impression que l’on a est que le jour se lève à peine. C’est peut-être pour cela que se reconnaît le dernier mois de l’année. On est toujours en retard sur l’heure exacte.Mais qu’à cela ne tienne ! Nous voilà partis vers cette commune au cœur des monts de Zbarbar, avec le sentiment qu’on va affronter une journée froide et pluvieuse. Ce sentiment est si fort que l’on se demande, connaissant la rudesse du climat de la région, si on a été prévoyant, si on a pris des vêtements plus fourrés, plus chauds. Bah Boukram a beau être au diable Vauvert, et son climat a beau être rude, il ne peut être aussi terrible que celui de Tikdjda. Et à notre connaissance, il n’a pas neigé ces jours-ci à Zbarbar.
Ce qui attire d’abord le regard
dès que nous enjambons Oued Bouamoud, c’est l’olivier, ou l’oléastre, qui va nous accompagner dans notre voyage jusqu’au chef-lieu de la commune. Au début, tant que nous avions roulé au fond de la vallée, les ronces ont tenté de le prendre dans leurs étreintes et de l’étouffer, mais le plus rustique de tous les arbres ne s’est pas laissé faire. Vainqueur de cette végétation étouffante, il proclame sa victoire au fur et à mesure que la route monte. Nous laissons la route de Garouma et de Tablat à gauche, puis celle de Kadara et Boudouaou, Cette victoire sur les ronces à peine assurée que notre arbre doit affronter un autre ennemi : le pistachier lentisque. Cet arbre est plus rude et compose toute la forêt de Tigrimount. Mais l’olivier qui s’impse partout se bat pas à pas sans céder un seul pousse de terrain, de sorte que l’on peut affirmer sans risque de se tromper que la forêt jusqu’à Boukram est formée de ce résineux et cet oléagineux.
Mais alors une question inspirée par la plus simple curiosité se dresse dans l’esprit : à quoi Boukram doit-elle de s’appeler comme cela si l’olivier, arbre bien domestique, est présent partout ? Posée à quelques habitants, à notre arrivée, elle n’a pas eu de réponse. Il est vrai que nous avons remarqué pas mal de figuiers dans les jardins, mais de moins en moins alors que nous nous approchions du village auquel la commune doit son nom.
Autre objet d’étonnement : Boukram est dans la vallée, celle creusée par oued Bouamoud ! Et là, il n’y a pas de figuier du tout ! Ici, la forêt cessant, on est sur un paysage en pente douce. La montagne est aux-dessus de nous et le vent a sculpté son sommet de manière à évoquer étrangement Le tombeau de la chrétienne, à Tipaza ! D’ailleurs, à propos de la pierre, qu’est ce qui n’est pas étonnant ? Depuis que nous avons pris de l’altitude, notre intérêt n’a cessé d’être éveillé par cet élément lithographique. De couleur ocre comme l’argile dont elle est prisonnière, elle forme des stratifications qui témoignent de l’évolution fort ancienne de la géologie de la montagne. On sent qu’elle est plus ancienne que le Djurdjura. Détachées par les avalanches, éclatées sous l’effet de températures extrêmes, elles présentent des carrés et des rectangles qui font croire qu’elles ont été taillées par l’homme. Ici, les habitants ne vont pas chercher loin ce matériau pour la construction de leurs maisons : il y a abondance en la matière. Et de fait nous avons pu admirer de belles et coquettes habitations aux couleurs ravissantes. Un instant l’envie d’en posséder une et d’y passer le reste de sa vie nous saisit afin de pouvoir jouir de ce calme profond et la montagne qui surplombe des deux côtés la vallée.
Rencontre avec le premier groupe de citoyens
On arrive à Boukram en prenant la bifurcation que fait la route qui se sépare ainsi de celle qui file par monts et par vaux vers Alger. La première chose que nous remarquons et l’imposant CEM à deux étages sur notre gauche, puis le stade submergé par les eaux pluviales. Nous ne nous arrêtons pas devant le siège de l’APC. Un projet de lycée est en train de voir le jour un demi -kilomètre plus loin, au Sud. Il affiche un taux d’avancement de 15%. Le wali n’est pas content. Ce retard l’entrepreneur tente de le justifier par la rareté de la main-d’œuvre, mais ne convainc pas. Et tandis qu’il donne de nouvelles instructions à ce sujet, nous avisons à distance respectueuse un groupe de citoyens, que la curiosité seule a amené là. Il observe et se tait. Un instant, nous laissant entrainés par notre humeur rêveuse, nous nous laissons porter vers des temps très lointains où l’endroit était complètement couvert de forêt. Et fondant notre hypothèse sur ce que nous avons pu observer de ces habitants doux et accueillants, nous concluons que leurs ancêtres fuyant la guerre et la famine avaient trouvé dans ce riche limon un coin leur assurant abondance et tranquillité. Et sans plus attendre, ils avaient retroussé leurs manches et s’étaient mis à défricher ces beaux espaces en forme de pénéplaines. Protégés du reste du monde par les formidables remparts naturels, et les yeux fixés sur le sol nourricier, il ne devait pas recevoir de nouvelles venant de l’autre côté de la montagne. Aujourd’hui, leurs arrières, arrières petits-fils ont beaucoup évolué, mais leur attachement au village et à la terre est manifeste. Ainsi, ce jeune homme qui travaille comme ouvrier à la construction de 50 logements en face du siège de l’APC, ou cet autre qui exerce à son compte et qui semble content de son sort. En vérité, tous paraissent heureux de vivre là où ils sont. Et ce sont nos questions sur les conditions de leur vie qui ont l’air de les gêner . L’eau ? Il y a une vingtaine de sources qui coulent un peu partout, et de toute façon la nouvelle a couru qu’en janvier il y aura de l’eau et même du gaz dans tous les foyers. Les routes ? Heu, il y a celle-là qui file vers le fond de la vallée. Alors, tout va pour le mieux dans cette commune ? Non, non, bien sûr. La route, bien faite, s’arrête, par exemple, avant d’atteindre certains villages, comme Zaouïa ou Tizi Makou. Le problème numéro un reste le transport scolaire. Certains élèves font cinq km à l’aller et cinq autres au retour. Avec un gros cartable et quand on n’a que six ou sept ans, cela fait beaucoup ! Il y aussi le problème de soins. Le seul dispensaire se trouve à Ferkioua, un village au dessus d’un mont si haut qu’il semble toucher le ciel et qui, vu de l’endroit où nous nous tenons, parait si minuscule, à cause de la distance. Hélas, le médecin ne vient qu’une ou deux fois et les consultations expédiées en deux ou trois heures-rarement trois selon nos interlocuteurs-rentrent chez lui. Résultat : les malades doivent aller à l’hôpital de Lakhdaria. Pour les plus graves d’entre eux, ils sont évacués au moyen de véhicules privés. Une ambulance serait la bienvenue pour assurer les évacuations.
Constatant une certaine réticence à parler de ces choses, nous tentons d’aborder la question sécuritaire, mais tous sont unanimes : la sécurité est partout. Et si l’un de nos interlocuteurs évoque cette sombre époque, c’est pour rappeler l’assassinat, en 1995, du directeur de l’exécutif communal qui remplissait alors les fonctions de maire et de sa famille et de ce cultivateur, de sa mère, de sa femme et celle de son frère. Depuis, selon lui, le calme règne.
Entretien avec l’autre groupe
Le wali qui a déjà tonné en arrivant ce matin à la ferme Messaoud où s’effectue le raccordement des deux communes, Bouderbala et Boukram, ainsi que Lakhdaria, Kadiria et Aomar à partir du système de transfert du barrage de Koudiet Acerdoune, trouve là encore devant le siège de l’APC, un nouveau sujet d’être en colère : il apprenait que les locaux attribués aux jeunes n’ont pas été exploités. Un citoyen-ou un responsable ?-veut expliquer que si ces locaux ouvraient en aval, c’est-à-dire dans le village, ce serait un rude coup dont ne se remettraient pas les commerçants établis en amont. Selon lui, le commerce trop timide ne supporterait pas une telle concurrence. Mais le wali a fait valoir la diversification des activités qui ne porte pas de préjudice aux activités commerciales déjà existantes. à l’intérieur du siège, il écoute le secrétaire général qui lui expose la situation en matière de réalisations dans les différents programmes. Nous tendons une oreille attentive à ce qui se disait quelques mètres plus loin sans interrompre l’entretien que nous engageons avec un autre groupe de jeunes. Nous apprenons par exemple que la commune s’étend sur 73 km2, qu’elle compte plus de 6 000 habitants vivant dans une vingtaine de villages et de hameaux, que 6 d’entre eux ont bénéficié de 385 logements, mais qu’un programme en deux tranches va profiter à 10 autres avec 685 logements et 9 autres encore avec 450 logements. Pour l’habitat rural, il y a ce fameux projet de 43 logements que le wali s’appète à visiter tantôt avec d’autres comme ceux de DP gaz, de la route reliant Ouled Oukil au CW27 sur 6,3 km etc.. En ce qui concerne l’éducation, la commune dispose de 8 écoles équipées chacune d’une cantine, et d’un CEM neuf. En matière d’eau, elle dépend des sources exploitées sous forme de captage.
Qu’en est-il réellement de la situation? On peut dire en écoutant le groupe de jeunes que nous avons rencontrés au cours de cette visite, lesquels étaient disposés à vider leur sac quoi que sans colère et sans rancune, qu’elle est sensiblement différente. Pour nos interlocuteurs, qu’il s’agisse de Mohamed, de Mouloud ou d’Abdelkrim, les problèmes sont au nombre de quatre: les routes, l’eau, la santé et le transport. Pour eux, le désenclavement de la commune ne peut se réaliser que si on réhabilitait le CW27 qui relie Boukram à Rabatache sur une longeur qu’ils estiment entre 27 et 30 km. Le second point concerne le transport aussi bien pour les adultes que pour les élèves. A titre d’exemple, ils citent le simple citoyen qui veut se rendre à Lakhadaria et qui peut mettre de longues heures pour y aller et revenir. Ils citent aussi l’exemple de ces élèves qui font chaque jour cinq km pour aller du village Boukhalfoun, regroupant 160 âmes, à l’école de Boukram. Certes le responsable de la commune a bien pris soin de préciser que chaque école a une cantine. Mais le trajet pour des enfants de six à sept ans trimballant de surcroit de lourds cartables reste quand même une terrible épreuve. Pour ce qui est des soins, là, c’est plus atroce encore, vu que le dispensaire le plus proche, selon nos interlocuteurs est à des kilomètres et il n’ouvre qu’une à deux fois par semaine, le médecin, venant d’Ouled Chalabi, ne donnant des consultations que deux ou trois heures dans la journée. Leurs dires corroborent ceux du premier groupe. Aussi, revendiquent-ils en priorité des routes, du transport, et surtout une ambulance pour l’évacuation des malades graves ou des femmes sur le point d’accoucher, de l’eau, bien sûr, et une salle de soins dans les grands villages. Le temps s’est beaucoup amélioré. Le soleil joue malicieusement à cache-cache avec les nuages. L’air s’est considérablement adouci. Une brume légère et bleue enveloppe le paysage qui de nouveau défile à toute allure par la vitre. Cette fois notre regarde plonge au fond de la vallée où oued Bouamoud roule ses eaux argentées et rapides.
Et nous contemplons de beaux jardins en terrasse devant de belles maisons éparpillées en hameau tout au long de notre chemin. Et cette teinte, cette buée bleue qui atténue la clarté du jour fait miroiter à nos yeux éblouis toute la magie et toute la somptuosité de ce décor de rêve.
Ali D.