C’est la débrouille et le sauve-qui-peut dans les campagnes de Sierra Leone: faute d’hôpitaux à proximité, les communautés organisent à la hâte des centres d’accueil en toile et branchages pour isoler les malades d’Ebola et les vivants des morts. «On n’a ni ambulance, ni fossoyeurs» se désole Chef Maro Lamina Angbathor, responsable de 368 villages et 160.000 personnes dans la province de Port Loko, à trois heures de route au nord-est de la capitale, Freetown, et l’un des foyers les plus actifs de l’épidémie qui a fait plus de 1.100 morts dans le pays. Il vient d’appeler Port Loko, à une heure de son village, Lokamasama, pour réclamer une équipe de fossoyeurs: un homme est mort ce matin, il faut enlever son corps au plus vite car la dépouille, terrassée par le virus, est une véritable bombe infectieuse dans les heures qui suivent le décès. «J’appelle, j’appelle, mais sans réponse». Ce sont les militaires qui enlèvent les corps et Chef Angbathor en voudrait deux sur place, à demeure, avec une ambulance. Ce que réclament aussi les villageois réunis sous la hutte communautaire. «Port Loko est bien trop loin: nous voulons une ambulance avec nous en permanence. Le plus vite possible, immédiatement», martèle un homme, Abuke Kama, qui se dit prêt à participer aux «burial teams», ces équipes de volontaires en bottes de caoutchouc chargées de ramasser et d’enterrer les corps.
En attendant, le chef a pris le destin de la communauté en main et lancé la construction d’un centre capable d’accueillir les malades potentiels et surtout de les isoler des bien-portants en attendant la confirmation du diagnostic. Dans la cour de l’école, fermée pour cause d’Ebola, une trentaine de volontaires ont dressé des branchages en guise de fondations et tendu des bâches plastiques pour figurer un parcours confiné depuis l’entrée jusqu’aux 90 lits qui seront bientôt dressés dans les salles de classe. Avec l’aide de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et du gouvernement, qui fournira le personnel médical, il espère ouvrir d’ici une semaine. Devant l’unique dispensaire du coin, le «Dr Amara», un auxiliaire de santé, désigne six orphelins alignés sous un porche, forcément suspects: des enfants de Kigbal. Deux fillettes et quatre garçons. Une septième reste à l’écart.
Zone rouge
Kigbal, un hameau de 200 âmes à 20 km environ, reste une plaie béante: 31 habitants ont succombé au virus dans l’abandon le plus total de part et d’autre de la route principale, qui a divisé le monde des vivants de celui des morts et des condamnés. Spontanément, les mieux portants l’ont traversée pour s’éloigner des mourants. 64 orphelins survivent parmi les rescapés qui font signe, de loin. Aucun cas n’a été enregistré depuis deux semaines, note le Chef Angbathor. Mais les maisons des morts sont condamnées et il impose une quarantaine aux autres: interdit de se visiter entre voisins ou de sortir du hameau : «Kigbal est une zone rouge», insiste-t-il, les taxis n’ont pas le droit d’y charger des passagers.
Il en sera ainsi pendant 21 jours, la durée maximale d’incubation du virus. Bientôt, Kigbal et les villages sous la responsabilité du «Paramount Chief» – il insiste sur son titre qui évoque un genre de «Super Chef» – auront accès au centre de Lokamasama et pourront y subir un test. Mais «pour l’heure on doit attendre qu’une équipe de Port Loko effectue les prélèvements sanguins et les envoie à Freetown ou ailleurs, puis les résultats au minimum pendant 72 heures», indique le Dr Kamara. Un médecin d’une agence d’aide internationale évoque plutôt «huit à neuf jours de délai» en zone rurale.
Un vieil homme somnole sur un banc inquiète: il a perdu ses deux épouses et ses enfants et semble atteint à son tour, en plus de la dépression qui le ronge. «J’ai appelé Port Loko hier matin à 10H00» confirme le Chef: 28 heures plus tard, samedi, personne n’est encore venu. «Quand nous aurons notre propre centre, les tests iront beaucoup plus vite», espère-t-il. Vendredi, l’Unicef, le Fonds des Nations unies pour l’enfance, a promis son aide en tentes, lits et matelas pour soutenir ces centres communautaires, des structures plus légères que les centres de traitement, difficiles à installer dans des zones reculées, afin d’isoler les malades de leur famille.