Symbole d’un passé glorieux et miroir d’un présent en mouvement, la Journée nationale de l’étudiant, célébrée le 19 mai de chaque année, fait écho à l’héroïque décision des étudiants de 1956 d’abandonner leurs amphithéâtres pour rejoindre la Révolution. En 2025, cet héritage d’engagement se perpétue sous une autre forme : celle du savoir, de l’excellence et d’une féminisation marquée de l’enseignement supérieur. Avec 63 % de femmes parmi les plus de 1,5 million d’inscrits dans les universités, la jeunesse algérienne, portée par les ambitions de ses étudiantes, contribue activement à l’essor de la Nation.
Les bancs d’université sont aujourd’hui les laboratoires d’une nouvelle résistance : celle du savoir, de l’innovation, et de l’entrepreneuriat au service de la Nation. cette dernière qui est en train de se métamorphoser en profondeur. Longtemps perçue comme un simple espace d’acquisition de connaissances théoriques, elle se réinvente aujourd’hui comme un véritable moteur de transformation économique, sociale et écologique. Partout à travers le pays, des initiatives étudiantes émergent, portées par une génération décidée à prendre en main les défis de son temps : durabilité, efficacité énergétique, souveraineté alimentaire, ou encore préservation des ressources vitales. Ce renouveau universitaire ne se limite pas aux discours ; il prend corps dans des projets concrets, innovants et profondément ancrés dans la réalité algérienne. Un groupe d’étudiants de l’université Alger 1 a mis au point un dispositif intelligent baptisé Aqua Guard, destiné à lutter contre le gaspillage invisible de l’eau. Utilisant les technologies de l’Internet des objets, ce système détecte automatiquement les fuites dans les réseaux hydriques et active des mécanismes de correction. Développé au sein d’un club scientifique de l’Université d’Oran 2, avec l’appui de l’incubateur universitaire, Aqua Guard incarne une nouvelle manière de penser l’innovation : locale, pragmatique et tournée vers l’intérêt collectif. Il illustre la capacité des jeunes universitaires à répondre aux urgences du pays en combinant technologie avancée et sens des réalités. À l’Université des sciences et technologies Houari Boumédiène (USTHB) n’est pas en reste. Un groupe d’étudiants y a conçu une ferme autosuffisante reposant sur les principes de l’hydroponie et de l’aquaponie, deux formes d’agriculture hors-sol particulièrement adaptées aux contraintes climatiques algériennes. Le système, fermé et contrôlé par intelligence artificielle, fonctionne grâce aux énergies renouvelables, sans recourir aux intrants chimiques. Ce modèle agricole, à la fois high-tech et respectueux de l’environnement, permet de produire localement tout en économisant l’eau – ressource précieuse et de plus en plus rare. Couronné par le deuxième prix du concours national organisé pour la Journée de l’étudiant, ce projet témoigne d’une volonté affirmée de bâtir une souveraineté alimentaire durable, fondée sur la science et l’innovation. Dans la région de Boumerdès, c’est la question cruciale des émissions de gaz à effet de serre qui mobilise les étudiants. Le projet Nova Energy propose une solution audacieuse au défi de la pollution industrielle. Son principe : capter le dioxyde de carbone émis par les usines et le convertir, grâce à un processus chimique, en énergie renouvelable stockée dans des batteries de nouvelle génération. Ce procédé, à la fois écologique et stratégique, vise à transformer un polluant en ressource, réduisant ainsi l’empreinte carbone tout en renforçant l’indépendance énergétique nationale. Distingué par la troisième place au concours national étudiant, Nova Energy incarne un nouveau type d’engagement patriotique, où la défense de l’environnement devient un acte citoyen et prospectif. Ces projets, aussi divers que prometteurs, ne sont pas de simples expérimentations isolées. Ils traduisent une dynamique nationale en cours dans les universités algériennes, où la jeunesse se positionne en force de proposition face aux défis contemporains. Loin des clichés d’une jeunesse désengagée, ces étudiants incarnent une Algérie en mouvement, audacieuse et inventive. Leurs travaux s’inscrivent dans une logique de rupture avec les modèles de développement classiques, souvent importés et inadaptés, pour proposer des alternatives enracinées dans le contexte local, pensées avec rigueur scientifique et mises en œuvre avec les moyens du bord. Ce nouvel élan universitaire ne serait pas possible sans l’émergence d’un écosystème propice à l’innovation. Clubs scientifiques, incubateurs universitaires, concours nationaux : autant de dispositifs qui permettent de transformer les idées en projets viables, de créer des ponts entre savoir académique et réalité économique. L’université devient ainsi un véritable laboratoire de la souveraineté nationale, un lieu où se conçoivent les réponses aux grands défis de demain. L’Algérie peut désormais compter sur une génération d’étudiants conscients de leurs responsabilités, ancrés dans leur réalité et ouverts sur le monde. Leur ambition ne se limite pas à décrocher un diplôme, mais à construire une société plus résiliente, plus juste et plus durable. En cela, l’université algérienne prend un tournant décisif : elle cesse d’être un sanctuaire isolé pour devenir un acteur majeur de la transformation nationale. Cette dynamique entrepreneuriale est soutenue par des mesures concrètes. Le ministre de l’Économie de la connaissance, des Start-up et des Micro-entreprises, Noureddine Ouadah, a récemment annoncé une augmentation significative des projets portés par des étudiants qui était 6 000 en 2023 à 9000 en 2024, soit une progression de 50 %. Pour répondre à cette effervescence, le comité de labellisation des start-up a quadruplé le nombre de ses réunions mensuelles. Parallèlement, des dispositifs de financement alternatifs voient le jour : bourses de recherche appliquée, fonds d’investissement, partenariats public-privé, et bientôt une plateforme de mise en relation entre jeunes innovateurs et investisseurs. Le Centre d’innovation d’Annaba est cité en exemple, et des pôles similaires sont en cours de déploiement dans toutes les wilayas. À l’USTHB, la récente réunion d’évaluation de la convention DGRSDT-NESDA a permis de dresser un bilan encourageant. Les 117 Centres de développement de l’entrepreneuriat (CDE), installés en quelques mois dans les universités du pays, ont déjà permis de financer près de 900 projets étudiants. Les représentants institutionnels soulignent l’importance d’un accompagnement souple, centré sur les besoins concrets des étudiants. La volonté est claire : transformer les idées en valeur ajoutée, en entreprises viables et en emplois durables. La symbolique du 19 mai est d’autant plus forte qu’elle lie indissociablement mémoire et action. En 1956, les étudiants algériens ont pris les armes pour défendre la dignité nationale. Aujourd’hui, leurs descendants s’emparent d’outils technologiques pour relever les défis de leur époque. Cette année, les célébrations ont été marquées dans plusieurs villes par des hackathons, des forums sur l’économie circulaire, des expositions de prototypes, des campagnes de reboisement et des conférences sur l’histoire du mouvement étudiant.
Héroïnes silencieuses d’hier et innovatrices d’aujourd’hui
Le 19 mai 1956, des centaines d’étudiants algériens, mus par un profond sentiment patriotique, décidèrent de quitter les bancs de l’université pour rejoindre la lutte armée contre le colonialisme. Parmi eux, des femmes courageuses qui ont marqué l’histoire par leur engagement et leur sacrifice. Soixante-neuf ans plus tard, cet esprit d’abnégation et de responsabilité ne s’est pas éteint — il s’est transformé. Aujourd’hui, les héritières de ces pionnières s’illustrent dans d’autres batailles : celles de la science, de la technologie et du développement durable. Parmi elles, Sara Moufaridj, jeune diplômée de l’Institut de gestion des techniques urbaines de l’Université Constantine 3 – Salah Boubnider, incarne brillamment cette continuité générationnelle. Elle vient de décrocher la médaille d’or lors du prestigieux Concours international de projets innovants en technologies agricoles durables, organisé dans le cadre du Congrès international sur la sécurité alimentaire et hydrique face aux changements climatiques, sous le thème « Les Défis et les Opportunités ». Ce concours, qui a réuni 106 participants représentant 56 universités et institutions issues du monde arabe, a mis en lumière les jeunes talents porteurs d’idées innovantes pour répondre aux défis pressants de notre époque. Dans ce cadre, le projet de Sara Moufaridj, intitulé « Optimizing Azolla and Water Lentils Cultivation in Automated Raceway Ponds for Affordable, Nutrient-Rich Livestock Feed in Algeria (AZOLERI) », a fait sensation. Sous la supervision du professeur Siham Aris, elle a conçu une solution technique visant à optimiser la culture de l’azolla et des lentilles d’eau dans des bassins automatisés. L’objectif est double : fournir un fourrage animal économique et riche en nutriments tout en soutenant la sécurité alimentaire et hydrique dans un contexte de changement climatique. Un projet qui conjugue innovation, durabilité et pertinence locale, et qui a logiquement été couronné d’or. La victoire de Sara Moufaridj ne saurait être interprétée comme un cas isolé. Elle s’inscrit dans une dynamique profonde : celle de la montée en puissance des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche scientifique en Algérie. Aujourd’hui, 63 % des 1 530 230 étudiants algériens inscrits pour l’année universitaire 2024-2025 sont des femmes. Une majorité qui témoigne d’un bouleversement structurel dans la société algérinne, où les étudiantes prennent désormais le relais de leurs grand-mères militantes. Dans un monde en proie aux crises environnementales et alimentaires, ces jeunes femmes ne se contentent pas d’exceller académiquement. Elles se positionnent comme actrices de la transformation nationale, alliant savoir, innovation et engagement. Leur présence dans les laboratoires, sur les scènes internationales, dans les startups ou les institutions de recherche prouve que l’héritage de la lutte pour la liberté trouve aujourd’hui un prolongement dans la quête de souveraineté scientifique et technologique. La Journée nationale de l’étudiant n’est donc pas qu’un moment de commémoration. C’est un appel renouvelé à la jeunesse, à l’image de Sara Moufaridj, pour qu’elle poursuive la lutte non plus les armes à la main, mais par la recherche, l’innovation, l’intelligence collective. En honorant la mémoire de 1956, les jeunes femmes d’aujourd’hui bâtissent un avenir durable et souverain, à la hauteur des sacrifices d’hier.
L’écho de Ghaza et la mobilisation estudiantine dans le monde
Le contexte international renforce également la portée symbolique du 19 mai. À des milliers de kilomètres, sur les campus américains, des étudiants s’organisent pour dénoncer l’agression israélienne contre Ghaza et exiger la fin du soutien militaire à Israël. Le mouvement Students for Justice in Palestine, actif dans plus de 200 universités, incarne cette révolte morale face à l’injustice. Il rappelle les grandes luttes étudiantes de l’histoire, y compris celle menée en Algérie pendant la colonisation. Cette résonance est d’autant plus forte que les deux mouvements – celui de 1956 et celui d’aujourd’hui – posent la même exigence de dignité, d’autodétermination et de responsabilité historique. La jeunesse algérienne contemporaine n’a rien d’une génération passive. Elle crée, innove, proteste et entreprend. Elle veut transformer ses rêves en structures durables, en technologies utiles, en solutions concrètes. Elle fait de l’héritage du 19 mai un levier d’action collective. Le ministre de la Jeunesse, Mustapha Hidaoui, l’a résumé ainsi : “Nous avons besoin de cette énergie, de cette lucidité, de cette ambition. La jeunesse algérienne est la locomotive de l’Algérie nouvelle.” Le 19 mai, plus qu’une commémoration, devient un rendez-vous annuel avec l’Histoire et une promesse à tenir envers les générations futures. Une promesse que la jeunesse algérienne, par ses actes, continue d’honorer.
M.Seghilani