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Liban : La crise a mis en sourdine le conservatoire national

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Pianos poussiéreux, salles de classe vides… Au Liban, les locaux du conservatoire national de musique sont à l’image du pays, plongé dans une crise économique ayant porté un coup dur au secteur public. Toufic Kerbage, 65 ans, fait partie des nombreux Libanais qui ont vu leur revenu et leur épargne fondre après le naufrage économique fin 2019. Sans soutien familial, « je serais mort de faim », raconte cet enseignant du conservatoire qui, avant la crise, vivait confortablement de son salaire. Aujourd’hui il touche à peine plus de 70 dollars, la livre libanaise ayant perdu près de 98% de sa valeur par rapport au billet vert. Et à cause de la hausse du prix de l’essence, M. Kerbage dispense désormais ses cours en ligne. Mais il doit dépenser plus qu’il ne gagne afin de pouvoir payer l’abonnement à un générateur de quartier, pratique courante dans un pays où l’électricité publique est coupée une vingtaine d’heures par jour. Parmi ses collègues du conservatoire, qui compte plusieurs milliers d’élèves dans ses 17 branches, il y en a qui donnent aussi des cours privés en parallèle, tandis que d’autres ont préféré démissionner. « C’est difficile à mon âge de demander de l’argent (à ma famille) », affirme M. Kerbage dans le silence du conservatoire de Sin el-Fil près de Beyrouth, se disant « inquiet » pour ceux qui n’ont personne pour les aider.

« Laissés pour compte »
Face à cette situation, certains enseignants et étudiants ont décidé de prendre les choses en main, en organisant des concerts indépendants. « Je suis ici aujourd’hui pour soutenir mes collègues », explique Ghada Ghanem, enseignante, soprano et organisatrice de concerts, s’exprimant avant une représentation dans un théâtre de Beyrouth. Certains enseignants ont déménagé ou « vendu leur voiture » pour survivre, déplore Mme Ghanem, qui est elle-même passée par le conservatoire national pendant les années de la guerre civile de 1975 à 1990. « Nous allons régler nos problèmes avec notre propre talent », affirme Mme Ghanem. Les recettes des représentations financeront de nouveaux concerts ou seront redistribuées aux participants, explique-t-elle. Matthew Ata, 10 ans, dit être « un peu nerveux » avant son premier concert. C’est la première fois qu’il rencontre son professeur de guitare, après deux ans de cours en ligne. Sa mère, Rita Jabbour, « espère que les choses iront mieux », soulignant les difficultés de l’apprentissage en ligne. Aline Chalvarjian, 33 ans, étudie le oud et le chant lyrique. « Je ne suis plus motivée », dit-elle alors qu’elle considérait le conservatoire « comme une deuxième maison ». Désormais, « on a l’impression d’être laissés pour compte ».

Hausse des honoraires
Comme d’autres contractuels du secteur public, le personnel du conservatoire a fait grève pour revendiquer ses droits. En janvier, le responsable de son syndicat a été limogé après avoir organisé de nouvelles actions de protestation. Les grèves des enseignants du public ont paralysé le secteur de l’éducation ces derniers mois. Hiba al-Kawas, célèbre soprano libanaise devenue l’année dernière la première femme à diriger le conservatoire, dit travailler jour et nuit pour améliorer la situation, mais que la crise politique entravait les progrès. La classe politique, inchangée depuis des décennies et accusée d’être responsable de la crise socio-économique, rechigne à mettre en place les réformes réclamées par la communauté internationale pour débloquer une aide indispensable au pays. Sans président de la République depuis plus de six mois – les députés ne parvenant pas à s’entendre sur un successeur – le pays est dirigé depuis près d’un an par un gouvernement intérimaire aux pouvoirs limités. Malgré les obstacles, Mme Kawas explique à l’AFP avoir réussi à obtenir des augmentations d’honoraires qui doivent entrer en vigueur sous peu. Un enseignant qui était payé 30.000 livres libanaises l’heure toucherait alors 300.000 livres libanaises, a-t-elle déclaré. Ce n’est « qu’un premier pas », précise-t-elle, mais qui devrait assurer un retour à l’enseignement en présentiel. Le professeur Kerbage est optimiste. « Tout est bon à prendre », dit-il. « Je pourrais payer mon essence, mon électricité et un peu de nourriture, c’est beaucoup. »

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