Quand le « New York Youth Symphony » a enregistré son premier album pendant les jours sombres de la pandémie, la violoniste Jessica Jeon avait 12 ans, Noelia Carrasco était lycéenne. Dimanche, elles concourent aux Grammy Awards, une surprise et une première. La performance tient de l’exploit pour cette formation de jeunes talents, qui joue dans la cour des grands. Lors de la 65e cérémonie des récompenses de l’industrie musicale américaine, ils seront en lice pour la récompense de la « meilleure performance orchestrale » en musique classique, face notamment aux prestigieux ensembles philharmoniques de Los Angeles ou de Berlin. « C’est juste incroyable », « surréaliste », savoure encore la violoncelliste Noelia Carrasco, 19 ans. Quand la nouvelle est tombée, « j’ai dû la relire deux fois, parce que je ne l’ai pas vraiment assimilée la première fois », ajoute l’étudiante en musique à l’Université de New York. Pendant la pandémie, qui avait transformé la mégapole de l’Est américain en ville fantôme en 2020, l’orchestre a été confronté à l’annulation de ses représentations au célèbre Carnegie Hall. Son chef, Michael Repper a alors décidé d’organiser une session d’enregistrement pour ses élèves, afin de garder une trace de leur travail. A cause des restrictions sanitaires, l’enregistrement ne pouvait se faire que par petits groupes, chacun des jeunes artistes jouant sa partition avec des pistes témoin dans les écouteurs, avant que les différentes parties ne soient synchronisées. Une expérience atypique mais « fantastique » pour Repper. « Je suis très fier que nous ayons réussi à trouver un moyen de réaliser cet enregistrement malgré la pandémie », dit-il.
Unité
Dans la foulée de la mort de George Floyd, en mai 2020, et des vagues de manifestation aux Etats-Unis contre le racisme et les violences policières, le chef d’orchestre de 32 ans avait choisi des morceaux de compositrices noires. L’album compile ainsi les oeuvres de la pionnière Florence Price (1887-1953), ou encore des contemporaines Valerie Coleman et Jessie Montgomery. Pour Michael Repper, il était important de mettre en valeur « des œuvres qui abordent le racisme systémique, du point de vue des femmes noires en particulier ». En tant que personne issue d’une minorité, ce choix « a vraiment renforcé mon lien avec le répertoire », explique Jessica Jeon, 14 ans désormais. « J’ai toujours grandi en écoutant uniquement Mozart, Bach, Beethoven… tous des hommes blancs », raconte-t-elle. « Et je pense que je n’ai jamais vraiment grandi en connaissant un compositeur de couleur ». Pour Phoebe Ro, altiste de 19 ans, le morceau de Valerie Coleman « Umoja: Anthem of Unity » (« hymne d’unité ») avait un sens particulier. « Pouvoir se réunir, surtout pendant la période d’isolement, pour jouer et mettre en lumière le message d’unité, c’était vraiment un très grand honneur », explique-t-elle. Les jeunes musiciens ne pourront pas assister à la cérémonie dimanche à Los Angeles – les places sont réservés aux chefs d’orchestre – mais ils prévoient une soirée pour suivre l’émission. Pour Michael Repper, c’est la première nomination, dans une catégorie où figurent ses « idoles », le légendaire compositeur et chef d’orchestre John Williams, connu pour ses nombreuses bandes originales, de Star Wars à Indiana Jones, où le Vénézuélien Gustavo Dudamel. « Je suis plus qu’honoré, ne serait-ce que d’être sur la même liste qu’eux. Et d’y être avec le New York Youth Symphony, qui a vraiment représenté quelque chose de spécial dans ma vie ces six dernières années, c’est merveilleux ».