Considéré comme l’un des plus importants événements commerciaux spécialisés dans les industries traditionnelles en Afrique du Nord, le Salon international de l’artisanat, organisé du 24 novembre au 2 décembre à Alger, est un lieu de rencontre entre artisans de plusieurs pays africains.
Si cette 23ème édition du SIAT vise avant tout à encourager les échanges entre les artisans des différentes wilayas du pays et à mettre en valeur le riche potentiel de ce secteur en Algérie, ce rendez-vous annuel est aussi une manière de créer une connexion entre les artisans algériens et étrangers, de l’Afrique notamment.
En effet, le Salon international de l’artisanat est une initiative promouvant la continuité des arts patrimoniaux en Afrique, explorant le rôle important que jouent les entreprises culturelles dans le soutien des communautés et la connexion des générations sur le continent. L’occasion pour les visiteurs d’apprendre comment les artistes du textile et de la parure (tisserands, teinturiers, maroquiniers, designers), apportent leurs connaissances, leurs valeurs, leurs compétences et leur esthétique locale, tout en perpétuant leurs traditions séculaires respectives.
Selon les témoignages des différents artisans que nous avons rencontrés en marge du salon, l’objectif premier à travers leur présence à la SAFEX, outre l’aspect purement commercial, est avant tout de mettre en valeur leurs compétences locales exerçant dans le secteur de l’artisanat, de promouvoir ce secteur dans leurs pays respectif et de développer leurs produits artisanaux, afin qu’ils répondent aux besoins des marchés internationaux.
MOURAD EL GHOUL (TUNISIE)
« L’artisanat algérien s’est développé durant ces dernières années »
Aux abords du pavillon tunisien, lequel regroupe 24 artisans, nous sommes allés à la rencontre de Mourad El Ghoul. Pour cet exposant, le commerce a connu une tournure depuis que l’Algérie a freiné l’importation. Ce qui n’a pas pour autant affecté les relations privilégiées entre les deux pays. « Nous participons à ce salon depuis 2014. Nous avons été invités en qualité d’invités d’honneur, c’est l’Agence nationale de l’artisanat traditionnel algérienne qui a invité l’Office national de l’artisanat tunisien. Nous sommes spécialisés dans la mosaïque de verre, les assiettes décoratives, les porte-bougies, les lampes, les abat-jour, les miroirs et les vases. Tout est fait à la main, et c’est typiquement tunisien », nous dira d’emblée l’artisan, avant d’aborder cette rupture dans les échanges commerciaux entre les deux pays. « Avant, nous avons beaucoup travaillé avec des artisans et des acheteurs algériens. Mais depuis que nous n’avons plus le droit d’exporter de la Tunisie vers l’Algérie, l’activité n’est plus la même. Par le passé, nous exportions des semi-remorques vers l’Algérie, le trafic était intense. Mais depuis que l’État algérien a adopté la politique d’austérité en freinant l’importation afin de préserver ses devises, cela n’a pas joué en notre faveur. Surtout que les produits artisanaux ne font pas partie des produits prioritaires, de première nécessité. Même les importateurs algériens ont été sanctionnés par ces mesures. Mais cela ne nous empêche pas d’exporter vers d’autres pays. Toutefois, nos rapports sont restés les mêmes avec nos frères algériens, et cela n’a en aucun cas affecté l’esprit de fraternité qui existe entre les deux pays et les deux peuples. Les artisans algériens sont eux aussi des habitués de la foire internationale de l’artisanat organisée en Tunisie. A ce sujet, je pense que les autorités des deux pays vont signer une convention pour qu’il y ait un meilleur échange entre nos produits », a-t-il expliqué, avant de conclure et féliciter l’Algérie, qui propose aujourd’hui, selon notre interlocuteur, un produit de qualité. « L’artisanat s’est beaucoup développé en Algérie. Si je le compare avec celui de 2014, ça n’a rien à voir. Que ce soit au niveau de la qualité des prix, des produits proposés et de la finition, surtout dans le domaine de la céramique, et même de la maroquinerie, où on constate que l’Algérie l’a emporté sur la Tunisie, il faut l’avouer. Vous êtes aussi fort dans la tapisserie. Seulement, l’Algérie accuse un certain retard en ce qui concerne la main-d’œuvre qualifiée. Car il faut savoir que l’artisanat est basé avant tout sur le savoir-faire. C’est un point sur lequel votre pays devrait se pencher, afin d’encourager les jeunes afin qu’ils comprennent que ce n’est pas juste un loisir, mais un métier d’avenir »
AHMED ABOU DAYA (PALESTINE)
« Nous sommes leaders chez nous »
Non sans un pincement au cœur, notre rencontre avec Ahmed a été très constructive. Loin du contexte de l’occupation sioniste et de la guerre sanglante, notre échange avec le gérant de l’entreprise de textile palestinienne « Torath » s’est axée autour des activités de l’entreprise elle-même. « Cela fait quinze ans que je suis dans ce domaine, mais c’est la première fois que je viens en Algérie et que je participe à ce salon. Nous avons été invités par le ministère algérien du Tourisme et de l’Artisanat pour représenter la Palestine. Nous sommes actuellement les leaders en Palestine. Nos produits sont fabriqués à la main, en utilisant uniquement une aiguille et du fil. Nous employons cent-vingt femmes. Elles travaillent dans leurs foyers, ce qui leur permet de produire dans la sérénité. Nous, de notre côté, nous leur envoyons les styles que nous voulons, les couleurs et les mesures. Ensuite, nous récupérons la marchandise chez elles et nous les payons. Généralement, elles sont rémunérées entre cent cinquante et trois cents dollars. C’est une manière de préserver ces femmes, pour qu’elles puissent travailler dans les conditions qui leurs conviennent », a précisé notre interlocuteur, ajoutant sur le mode de fabrication : « La fabrication nécessite de vingt à soixante jours, du début de la création jusqu’à la finition. Il y a même des pièces qui nécessitent trois mois de travail et plus. Ce qui explique que leurs prix sont élevés. Comme celle-là que vous voyez là…elle a demandé deux mois de travail. Son prix est d’ailleurs estimé à 100 000 dinars.
Dans tous les pays arabes, les produits faits à la main sont très demandés, leur valeur est incomparable avec les produits industriels ». Concernant la commercialisation, Ahmed nous explique que tout se fait sur le Net. « Pour commercialiser nos produits en Palestine, vu les conditions que tout le monde connaît sur la situation dans notre pays, nous exploitons notre site en ligne et les réseaux sociaux. Nous sommes en contact avec des compatriotes à l’étranger, ce qui nous permet de promouvoir nos produits et de les commercialiser. Nous avons des clients dans plusieurs pays, car l’artisanat palestinien véhicule avant tout nos traditions et nos coutumes. Torath dispose d’un service de livraison par voie électronique, et les livraisons s’effectuent par les services DHL ». Et de conclure sur la particularité des relations entre les deux peuples. « L’amour entre les deux peuples est réciproque. On sait pertinemment que les Algériens nous aiment, et nous, nous aimons ce peuple qui a toujours été solidaire et fraternel. Nous avons toujours été les bienvenus dans ce pays et savons à quel point notre cause est soutenue d’une manière que seuls nous Palestiniens pouvons ressentir.
ISMAÏL BANANE (SAHARA OCCIDENTAL)
« Elargir le cercle de solidarité et acquérir de l’expérience »
A l’entrée du stand d’Ismaïl, notre premier constat fut que le Sahara occidental, c’est avant tout une culture, un peuple. Dans d’autres registres, ce pays opprimé et victime des violations marocaines est un modèle en terme de pluralité des organisations sociales, source d’une immense réserve archéologique, de patrimoine immatériel unique, d’oasis reflétant le génie humain, mais qui connaît une pauvreté évolutive dans un cadre de vie en pleine dégradation. Qu’à cela ne tienne, la création artisanale sahraouie peut nous faire oublier à quel point cette région du monde est marginalisée, un temps soit-il, par la beauté de sa maroquinerie, sa broderie, sa pâtisserie, ses vêtements traditionnels, sa poterie, sa sérigraphie, pour ne citer que cela.
Grand habitué du salon de l’artisanat, Ismaïl nous fera part de son témoignage sur la dimension de l’artisanat local et son rôle dans la valorisation patrimoniale sahraouie. « Ce n’est pas la première fois que nous exposons en Algérie. L’Algérie, c’est un pays frère, donc nous n’attendons pas uniquement ce genre d’événement pour venir ici. Cette fois-ci, c’est le ministère du Tourisme et de l’Artisanat qui nous a invités, mais le ministère de la Culture nous a aussi invités à maintes reprises. Nous avons participé à de nombreux événements qui entrent dans le cadre de la coopération algéro-sahraouie, où nous avons bénéficié de l’expérience algérienne dans beaucoup de domaines, pas uniquement dans celui de l’artisanat. Notamment dans le cadre d’opérations de solidarité initiées par l’Algérie envers le Sahara occidental et son peuple. Nous sommes spécialisés dans tout ce qui est poterie, sérigraphie, habits traditionnels, tout ce qui représente notre culture et nos traditions. Grâce à ce salon, nous pourrons représenter notre pays et toutes les valeurs qui l’entourent. Pour nous, ce salon est une vitrine sur ce que nous ont légué nos ancêtres, toutes ces traditions que nous voulons dévoiler ici en Algérie, un pays qui a toujours été fasciné par notre culture. Nous aussi sommes fascinés par la culture algérienne et ses artisans. Chez nous, vous avez une bonne réputation dans la céramique, vous êtes des experts en la matière », a confié solennellement Ismaïl.
AÏLOUME BRAHIM (ILLIZI)
« Un espace qui met en valeur l’authenticité de notre patrimoine »
Aïloume travaille en particulier le cuivre. Son stand a reçu un grand nombre de visiteurs, subjugués par les pièces qu’il fabrique, avec une expérience de plusieurs décennies. Pour lui, les salons de l’artisanat offrent aux artisans du Sud l’opportunité de briller et de faire connaître les différentes facettes traditionnelles du Sahara algérien. Le côté financier n’étant pas ce à quoi il aspire le plus, lui qui se soucie beaucoup plus de promouvoir Illizi et ses créations. « Nous percevons ce salon beaucoup plus comme un espace dans lequel pourrait se développer le marché de l’artisanat traditionnel du grand Sud algérien, destiné aux échanges qui permettent de favoriser le tourisme intérieur, d’un côté, et d’autre part, encourager la consommation du produit local. Il met en valeur l’authenticité de notre patrimoine que nous avons su préserver d’une génération à une autre. Je ne vous cache pas que mon objectif personnel n’est pas de vendre ou autre chose, mais bien de représenter ma région. Illizi a de nombreux produits artisanaux à proposer, dont le cuir, la broderie, la bijouterie traditionnelle, la tapisserie et beaucoup d’autres créations », a-t-il révélé.
Durant notre échange, un visiteur a noté la qualité remarquable des articles exposés dans ce stand, tout en se félicitant de la tenue de cette manifestation qui permet au public algérien et étranger de découvrir la richesse et la diversité de l’artisanat du Sud du pays.
Propos recueillis par H. S. A.