Alors que dans notre pays, le Tassili N’Ajjer, le plus grand musée à ciel ouvert du monde, ne fait l’objet d’aucune étude, d’aucune recherche archéologique nouvelle depuis celle de son découvreur, Henri Lhote. Le sud saharien qui a fait l’objet d’études par A. Pomel (de 1893 à 1898), Stéphane Gsell (de 1901 à 1927) et G. B. M. Flamand, est aussi une terra incognita pour les archéologues algériens, peu soucieux d’études mais uniquement intéressés par la restauration qui exige de gros budgets. Ce n’est pas le cas dans tous les pays du monde ou la recherche archéologique est fondamentale, et où la chance permet même aux chercheurs de faire des découvertes formidables.
C’est ce qui s’est passé en France lorsque, par un heureux concours de circonstances, l’archéologue Frédéric Plassard décide d’explorer les bas-fonds de la grotte de Rouffignac, site dont il a la responsabilité. Mars était le début du confinement et ce joyau touristique situé en Dordogne était fermé au public. «J’étais sur place donc j’ai eu l’occasion de profiter de ces vacances forcées pour faire de l’archéologie», se remémore-t-il. Soudain, au détour d’un couloir, il découvre un mammouth dessiné avec de l’argile.
Il n’est pas au bout de ses surprises : dans ce même secteur de la grotte, douze gravures lui apparaissent, représentant pour la plupart des mammouths ou des bisons. Comme souvent lors de telles découvertes, le hasard a ici joué un rôle non négligeable. «J’étais dans la grotte pour faire de la préhistoire, pas de l’archéologie, et dans l’idée identifier des traces laissées par des Gaulois qui utilisaient la grotte à des fins sépulcrales», se remémore celui qui a la double casquette de scientifique et de directeur de ce lieu touristique.
Observateur chevronné de telles gravures, qui sont nombreuses à Rouffignac, Frédéric Plassard a vite compris qu’elles étaient préhistoriques. Il lui aura tout de même fallu passer par un instant d’incrédulité : «Comment cela se fait que personne n’ait vu cela avant moi, puisqu’il n’y a pas de raison que je regarde mieux que mon prédécesseur ?» Doublé d’une certaine prudence : «Est-ce un canular dessiné par quelqu’un d’autre ?»
Parmi les gravures découvertes, l’une d’entre elles intrigue tout particulièrement Frédéric Plassard, en ce qu’elle pourrait représenter une femme. Si dans l’art paléolithique, la majorité des gravures représentent des animaux, des figurations humaines ont déjà été recensées. De ces portraits souvent «schématiques» datant de la fin du paléolithique supérieur émerge «un motif récurrent» : «Une silhouette de profil, qui est en général privée de sa tête. Et on identifie la féminité par sa poitrine». «Nous sommes face à une image, pas académique et très succincte, qui peut rentrer dans ce canon physique», avance Frédéric Plassard, tout en restant prudent. Un élément corrobore cette hypothèse : la présence d’un tel motif dans la grotte des Combarelles, à 15 kilomètres de là, réalisé «dans un contexte chronologique similaire». Si cette thèse était vérifiée, il s’agirait de la première représentation de femme au sein de la grotte de Rouffignac.
Frédéric Plassard gardera longtemps le secret de sa découverte, ces dessins étant situés à un endroit qui n’est pas visible du public, «et ne le sera jamais», précise-t-il. Au sein de la grotte de Rouffignac, le public n’accède qu’à l’un des huit kilomètres de galeries, où sont concentrées beaucoup d’images. Outre cette portion restent des kilomètres de couloirs qui recèlent d’images faisant le bonheur des archéologues mais restant inaccessibles aux visiteurs. L’heureuse trouvaille n’a donc aucune visée touristique ou commerciale. «Le devenir normal de telles découvertes est de faire l’objet de publications scientifiques, qui sont en cours», explique Frédéric Plassard. À plus long terme, l’archéologue pourrait présenter ces gravures au public via une médiation dont les contours restent à définir. «Une restitution par le biais de photographies ou de répliques» est notamment envisagée.
Une découverte de cette valeur est forcément grisante. «Cela a été un moment de joie. Cela donne envie de recommencer», se réjouit Frédéric Plassard, prêt, semble-t-il, à vanter les vertus du confinement. L’heureux concours de circonstances pourrait-il se répéter ? «Nous pouvons soupçonner que nous ou d’autres que nous seront confrontés à des trouvailles peut-être différentes mais pas moins intéressantes dans l’avenir». La grotte de Rouffignac n’a peut-être pas encore livré tous ses secrets…
A.E.T. avec agences