Dans sa stratégie de guerre contre les combattants pour l’indépendance, la France coloniale usa d’une arme sauvage : la guillotine. Une machine de guerre infernale : cent quatre – vingt – dix – huit guillotinés*.Exécutions décidées par le président de la République française sur rapport d’un gouvernement dirigé par le secrétaire général de la Section française del’Internationale ouvrière (SFIO), soutenu par l’opinion« métropolitaine ».
De 1956 à1958, il y a eu 16 exécutions doubles, 15 triples, 8 quadruples, une quintuple.Pour la seule année 1957 – année de l’intensification de la guerre – 82 condamnés à mort ont été guillotinés, 41 à Alger, 7 à Oran et 34 à Constantine.
Ahmed Zabana, premier à monter sur l’échafaud
Ahmed Zabana, dit Zabanaa été décapité par la guillotine le 19 juin 1956, à 04 heures du matin, dans la cour de la prison de Serkadji, Alger. Le Conseil supérieur français de la magistrature avait scellé son sort lors de sa réunion du 5 juin 1956. Il avait suivi la directive du chef du gouvernement, Guy Mollet – « La sanction doit immédiatement suivre l’arrêt » – donnée en Conseil des ministres quatre mois auparavant, le 15 février. De son côté, le Secrétaire d’état à la guerre, Max Lejeune, socialiste de la SFIO, partisan convaincu de « l’Algérie française », appuyait l’appel des Français d’Algérie : « Les sentences doivent être exécutées ». à la date du 15 février 1956, 253 condamnations à mort avaient été prononcées, dont 163 par contumace. 90 détenus se trouvaient ainsi dans les couloirs de la mort des prisons. La condamnation d’Ahmed Zabana à la peine de mort, prononcée le 30 mai 1955, figurait parmi les 55 confirmées par la Cour de cassation. Le 19 juin1956, le bourreau en titre s’appelait André Berger, « Monsieur Alger » ; Maurice Meissonnier, aidé de son fils Fernand, était son adjoint. Témoin de la scène, Maître Mahfoud Zertal, avocat d’Ahmed Zabana, raconte : « J’ai pu constater le courage, la fermeté, l’abnégation du condamné qui a demandé à aller vers le supplice libre de ses mouvements, refusant menottes et cagoule. Son ultime demande fut celle de faire sa prière. Elle lui fut refusée. Mes collègues et moi avions protesté énergiquement, arguant du fait que c’était la dernière volonté du condamné. Les bourreaux avaient alors justifié leur refus par le fait, ont-ils dit, que dans pareilles circonstances l’accélération des faits étaient de rigueur. à la suite de notre protestation, la demande du condamné fut acceptée ; le directeur de la prison vint vers moi pour me dire que la prière avait pris beaucoup de temps, mais Zabana termina sa prière sans aucune contrainte. Il a ensuite écrit une lettre à sa mère, puis a demandé à aller seul vers l’échafaud. Et le miracle eut lieu ! Nous ne pouvions appeler autrement que miracle ce qui est arrivé les instants suivants. En effet, le couteau d’acier qui pèse un quintal a stoppé net, et à deux reprises, au niveau du cou du condamné ! J’ai immédiatement évoqué le principe de pitié pour le condamné face à de tels évènements. Rien n’y fit.
On me répondit qu’il fallait achever et renouveler l’opération jusqu’à ce que mort s’en suive. On actionna à nouveau le couperet qui fonctionna à la troisième tentative. Le cou du supplicié fut tranché, mais la tête ne roula pas dans le panier placé à cete ffet, et fut projeté à plus de vingt mètres. La lettre-testament du chahid fut remise par mes soins à sa mère ». (1) « Dieu m’a choisi parmi ses fidèles qui doivent être sacrifiés. Je ne meurs pas en vain. Le peuple algérien sera victorieux et l’Algérie sera indépendante. Je demande à Dieu de me recevoir en martyr et de m’admettre en son paradis », avait-il écrit au pied de l’échafaud. Ahmed Zabana est né en 1926 à Djeniène Meskine, en Oranie, ouvrier soudeur, fils de paysan dépossédé de la terre, il a été docker au port d’Oran et syndicaliste à la CGT. Cadre de l’Organisation Spéciale ( O.S.), puis de l’ALN dès le 1er novembre 1954.
Capturé, grièvement blessé, le 8 novembre 1954, il a été condamné à mort par les autorités coloniales françaises, le 30 mai 1955. Il fut enterré au cimetière d’El- Alia, au carré 16. Ses fossoyeurs étaient des détenus de droit commun en fin de peine. Le 18 juin 1975, ses restes furent transférés au cimetière de son village natal, ex- Saint-Lucien, aujourd’hui Zabana. Le 19 juin1956 fut une date cruciale, selon l’historien français, Pierre Vidal-Naquet. En effet, la riposte du FLN ne s’était pas fait attendre.
Parmi les guillotinés on citera Fernand Iveton, guillotiné le 11 février 1957 avec ses compagnons de combat Mohamed Lakhnech et Mohamed Ouenouri , Taleb Abderrahmane qui, lui, a été guillotiné le 24 avril 1958 .
Par Mohamed Rebah/ Chercheur en histoire/ Auteur
Ahmed Zabana, guillotiné le 19 juin 1956