Par Ali El Hadj Tahar
L’Algérie vient de fêter le 49e anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures, ce fameux 24 février 1971 qui a coïncidé avec la date, également historique, l’anniversaire de la création de l’UGTA (24 février 1956) par Aïssat Idir.
On ne peut que saluer cette décision salutaire qui a rétrocédé au pays sa souveraineté sur ses hydrocarbures, puisqu’à partir de cette date, l’ensemble des gisements naturels de gaz et de pétrole, tout comme les oléoducs et les gazoducs, sont nationalisés. Le refus des compagnies pétrolières françaises de renégocier les prix leur a été fatal, car elles ont donné au président Houari Boumediène un argument supplémentaire pour prendre la décision, déjà amorcée, décision qui allait pourrir davantage les relations algéro-françaises, mais conforter l’indépendance économique qui manquait encore pour l’affirmation d’un État algérien réellement souverain.
En devenant le propriétaire exclusif des richesses du sol et du sous-sol, l’État algérien abandonne le système des concessions au profit d’une prise de contrôle à 51 % des deux sociétés pétrolières françaises présentes, Elf et Total. Une toute petite entreprise nationale au nom ambitieux, la Société nationale pour la recherche, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach) va jouer un rôle majeur dans cette opération de récupération des ressources nationales. Créée le 31 décembre 1963, la Sonatrach ne tarde pas à récupérer 51% des actifs de Getty Oil (américaine) en Algérie. C’est ce qui donne à l’État algérien la confiance de la faisabilité du coup de poker. Suite à cette mémorable «Kararna ta’emime el mahroukate» [«Nous avons décidé souverainement de nationaliser les hydrocarbures»], la décolonisation économique peut suivre la décolonisation géographique.
Il va sans dire que cet acte fondateur se situe dans la continuité du recouvrement de l’indépendance nationale, d’autant que la politique de l’État algérien s’inscrivait dans une stratégie globale visant le développement économique, culturel et social. Alors que le pétrole valait à peine 2,8 dollars lorsque les ressources ont été nationalisées, le pays a pu créer un véritable tissu industriel dans tous les domaines, du primaire, du secondaire et du tertiaire. De grands chantiers socio-économiques ont vu le jour, en plus de former des milliers de cadres et de redonner sa dignité au citoyen en lui assurant toutes les infrastructures pour son bien-être.
Nombreux étaient les fleurons de l’industrie nationale qui assuraient une indépendance notable dans de nombreux domaines. D’ailleurs, plusieurs économistes étrangers pronostiquaient à l’Algérie de ne pas tarder à devenir un pays émergent ; mais le changement de stratégie dans les années 1980 et la chute du prix du pétrole vont infléchir la courbe. La croissance se mue en décroissance, inflation, désinvestissement, perte de prestige, puis la décennie terroriste suivie de deux autres décennies de recul brutal.
Après avoir servi à créer des richesses et des infrastructures, la manne pétrolière et gazière devient une espèce de malédiction que se disputeront, à partir des années 2000, des cohortes de prédateurs, dont beaucoup sont en prison aujourd’hui. Alors que la part du pétrole dans les recettes du pays ne cessait de décroitre jusqu’aux années 1980, celle-ci n’a pas arrêté d’augmenter depuis. Par malheur, la période où le prix du baril a atteint des records correspond au plus fort du désinvestissement dans les secteurs productifs et créateurs de richesses, mettant ainsi l’économie sous la dépendance totale des hydrocarbures (98%).
Un détournement de l’histoire voire des institutions a fait que l’Algérie dévie de la voie du développement pour se fourvoyer dans une voie qui a failli lui coûter sa souveraineté, qui l’a en tout cas rendu dangereusement dépendante à la fois des hydrocarbures et des importations. Alors que l’indépendance devait signifier augmentation de la production nationale, c’est le contraire qui plombe aujourd’hui le pays, faisant planer sur lui des menaces de toutes sortes, y compris sécuritaires.
A. E. T.