Le gouvernement du Premier ministre Habib Jemli, composé avec difficulté en raison des tiraillements politiques, ne semble pas convaincre en Tunisie, où son indépendance et son efficacité sont mises en doute face aux défis que connait la jeune démocratie.
Désigné par le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, M. Jemli a annoncé jeudi la composition de son gouvernement qui compte 28 ministres et 15 secrétaires d’Etat, dont la majorité n’est pas connue du grand public. Il a affirmé avoir choisi des personnalités indépendantes après un mois et demi de tractations difficiles et l’échec des négociations avec les partis politiques. Mais de nombreux médias et experts expriment vendredi leurs doutes sur l’indépendance des membres de cette nouvelle équipe qui doit être approuvée par le Parlement, profondément divisé en une myriade de partis antagonistes. «L’indépendance mise en doute, la compétence inexistante», a ainsi titré vendredi le journal francophone La Presse. Pour le journal Le Quotidien, «en dépit de la situation difficile du pays, Jemli ne s’est pas privé du tout du luxe de distribuer des portefeuilles à tout-va, histoire de répondre certainement à tous les goûts et toutes les envies». La date de la session plénière du Parlement consacrée au vote de confiance sera fixée samedi.
«Hybride»
Ancien secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Agriculture du 2011 à 2014 dans les deux gouvernements de Hamadi Jebali et Ali Larayadh, deux membres d’Ennahdha, M. Jemli, 60 ans, est considéré comme un proche de ce parti d’inspiration islamiste. Son gouvernement est notamment marqué, selon des observateurs, par la nomination des juges pro-Ennahdha à la tête des ministères régaliens. Le juriste et porte-parole du Parquet ainsi que du pôle antiterroriste, Sofiène Sliti, a été désigné ministre de l’Intérieur. Sa «proximité» d’Ennahdha «est de notoriété publique», a assuré Le Quotidien.
L’ex-Premier président de la Cour de Cassation, Hédi Guédiri, considéré aussi comme un proche d’Ennahdha, a été choisi ministre de la Justice. Le parti Ennahdha est le premier groupe de l’Assemblée (52 sièges), et son chef historique Rached Ghannouchi a été élu président de cette instance. D’autres membres du gouvernement de M. Jemli sont pour leur part réputés proches de Qlab Tounes, deuxième force politique au parlement avec 38 sièges. Il s’agit de Fadhel Abdelkéfi, nommé ministre du Développement et de la coopération internationale et Maha Issaoui, désignée secrétaire d’Etat au ministère de la Santé. «C’est une combinaison hybride», a jugé le politologue Hamza Meddeb, estimant que «le gouvernement semble dans l’apparence indépendant, mais en réalité sa composition veut satisfaire les partis qui le soutiennent pour être approuvée par le Parlement». «Pour un gouvernement censé être constitué de personnalités indépendantes, la copie est pour le moins douteuse», renchérit Le Quotidien.
«Défis»
Pour former ce gouvernement, M. Jemli avait consulté partis, syndicats et personnalités nationales sans parvenir à rallier des partis à une coalition gouvernementale. Certains ont imposé selon lui des «conditions énormes» pour participer au gouvernement. Les sociaux-démocrates d’Attayar (22 sièges) et les nationalistes d’Al-Chaab (15 sièges) ont renoncé à rejoindre le gouvernement, indiquant ne pas avoir obtenu les ministères clés qu’ils demandaient, dont la Justice et l’Intérieur. D’autres partis ont dit craindre d’être associés à Ennahdha, qui a déjà été directement ou indirectement au pouvoir ces dernières années sans parvenir à faire décoller l’économie, ni à répondre aux attentes sociales attisées par la révolution de 2011. Pour le politologue Slaheddine Jourchi, «le plus important maintenant, ce n’est pas la composition du gouvernement, c’est plutôt son programme. La question qui se pose est la capacité de M. Jemli et son équipe à faire face aux défis notamment socio-économiques». Depuis la révolution de 2011, la Tunisie tente de relancer une économie en difficulté mais, presque neuf ans plus tard, le chômage continue de toucher la population, notamment les jeunes, et l’inflation grignote un pouvoir d’achat déjà faible. Si le nouveau gouvernement n’est pas adoubé par le Parlement, les réformes indispensables à la relance de l’économie nationale risquent d’être à nouveau repoussées. D’après la Constitution, si le Parlement n’accord pas sa confiance, le président «engage des consultations dans un délai de dix jours avec les partis et les groupes parlementaires, en vue de charger la personnalité jugée la plus apte, de former un gouvernement dans un délai maximum d’un mois».