Le grand militant des droits de l’Homme, Maître Mokrane Aït Larbi, s’est exprimé mardi, dans une lettre postée sur sa page Facebook, sur la grève illimitée des magistrats, qui est à son troisième jour de suite avec un large suivi sur le territoire national, et le bras de fer qui s’en est suivi avec la tutelle. Il faut dire que M. Aït Larbi n’a pas du tout été tendre, dans ses propos, avec la corporation des magistrats, qui paralysent l’appareil judiciaire, depuis le lundi dernier. Tout en reconnaissant de part « sa longue pratique du métier d’avocat » que la plupart des magistrats sont « intègres et compétents », M. Aït Larbi charge les magistrats qui appliquent les instructions au lieu de s’appuyer sur la loi. «Je sais que la plupart des magistrats sont intègres et compétents. Je sais également que certains d’entre vous préfèrent appliquer les instructions au détriment de la loi et des principes pour des raisons que je ne peux comprendre», lit-on dans la lettre de Me Aït Larbi. L’éminent avocat demande aux juges de se réapproprier leur indépendance, de l’arracher des mains de l’exécutif, et de l’assumer, et non par des sollicitations auprès de la tutelle. Ceci demande une «culture de l’indépendance, de la résistance et des sacrifices», écrit maître Aït Larbi, dans sa lettre d’hier, qui estime que les problèmes socio-professionnels de magistrats et l’absence d’indépendance « ne viennent pas de la force de l’Exécutif mais de la faiblesse du pouvoir judiciaire» car, a-t-il ajouté, la «justice de Allah Ghaleb» (on n’y peut rien) est le «produit de certains d’entre- vous en raison d’ambitions personnelles».
«Il y a quelque temps, votre syndicat défendait plus le ministère de la Justice que les magistrats, pour préserver ses intérêts personnels », ajoute Me Aït Larbi, qui ne mâche pas ses mots, en se demandant « pourquoi certains d’entre-vous acceptent d’exécuter les instructions et d’autres refusent ? en évoquant, notamment les juges de Tipasa et de Annaba qui ont décidé «d’appliquer la loi et non les instructions» en libérant et en acquittant un détenu d’opinion et un porteur de drapeau amazigh, et d’autres qui se plient aux injonctions, au détriment de la loi, avançant, notamment, le cas du militant politique, Karim Tabbou, et le grand moudjahid, Lakhdar Bouragâa, incarcérés pour avoir émis une opinion, ainsi que les jeunes incarcérés pour le port de l’emblème amazigh. Pour sa part, Me Bourayou s’est longuement exprimé sur le bras de fer magistrats-tutelle. Dans un entretien accordé au site électronique d’information, TSA, Me Bourayou tient une autre lecture plutôt « académique » des événements. Il s’est interrogé sur la réaction tardive du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui, selon lui, aurait dû manifester son opposition au cours de la session au lieu d’attendre la publication de la liste des mutés pour réagir. Une réaction qui, ajoute Me Bourayou, pourrait nuire et discréditer le rôle et la place de la structure du CSM, puisqu’il s’agit d’un reniement de ses prérogatives. Concernant l’indépendance de la justice, Me Bourayou estime qu’elle est tributaire d’une réelle volonté politique à même d’en faire un objectif stratégique à atteindre. Un travail de longue haleine pour pouvoir arriver à remettre le système judiciaire sur de bonne base, chose qui ne peut se faire en dehors d’une refonte « totale » des Institutions du pays afin de parvenir à l’instauration d’un État de droit, où la souveraineté de la loi sera la seule règle de gouvernance. Me Bourayou estime qu’il est nécessaire de revoir la conception même du CSM et d’en faire un vrai instrument de contrôle et de suivi de carrière, et dont la présidence de cette instance doit revenir au président de la Cour suprême. Évoquant le cas du moudjahed Lakhdar Bouragâa, et son attitude devant le juge, la semaine dernière, Me Bourayou estime que cela est synonyme de rupture avec le système judiciaire dans le pays. Et pour y remédier, précise la même source, il faut que la justice algérienne offre des garanties d’indépendance aux juges, et une autonomie du ministère public et la non-soumission de l’appareil judiciaire aux injonctions et autres instructions venant de l’exécutif. Là il propose tout bonnement la séparation des pouvoirs. (Judiciaire et Exécutif). Pour le cas du militant politique Karim Tabbou, chef du parti politique non agréé (UDS), qui a été libéré par un juge avant qu’il ne soit remis en prison 24 h plus tard sur ordre d’un autre juge, Me Bourayou a qualifié cette décision de dérapage dangereux du fonctionnement du système judiciaire, et d’ajouter que cette méthode d’agir ne peut que discréditer l’appareil judiciaire.
Brahim Oubellil