Houari Boumediene – né Mohamed Boukharouba -, deuxième président de l’Algérie indépendante, est décédé il y a 41 ans, le 27 décembre 1978. Figure historique idolâtrée et admirée par les jeunes, et aimée et respectée par ses contemporains, de par sa stature d’acteur politique essentiel, Boumediene est toujours associé à plusieurs images fortes de l’histoire du pays.
Invité hier au Forum du quotidien El-Moudjahid consacré à la commémoration de ce leader révolutionnaire devenu personnage historique, le docteur Mahieddine Amimour, ancien conseiller à la Présidence et ex-ministre, est revenu sur ses souvenirs avec Boumediene, en défendant un « président qui a été très en avance avec le temps de ses homologues de l’époque ». « Malheureusement, beaucoup d’hommes qui avaient été avec lui et l’avaient longtemps soutenu l’ont oublié aujourd’hui. Je n’ai pas encore vu quelqu’un défendre et mettre la lumière sur son programme et sa vision alors qu’on est au 41ème anniversaire de sa disparition », a-t-il d’emblée regretté.
Il s’est dit toutefois optimiste en observant des « jeunes qui ne l’ont pas connu, mais qui sont fiers d’exhiber ses réalisations ». Mahieddine Amimour a livré ses témoignages dans un récit porté sur son vécu avec le défunt Président, lorsqu’ils étaient des étudiants au Caire (Égypte), révélant les traits de la personnalité de son mentor. « Boumediene est arrivé au Caire en octobre 1951 pour étudier à Al-Azhar. Il était le seul qui n’avait aucune relation avec le consulat de France au Caire», a témoigné Amimour, qui était également étudiant à la même université.
« L’université d’Al-Azhar se composait à l’époque de deux catégories d’étudiants ; ceux qui sont de situation financière aisée et d’autres, comme nous, qui étaient littéralement pauvres. Le Consulat de France au Caire nous donnait une somme mensuelle de 2 000 francs, car nous étions considérés comme des ressortissants Français. Boumediene refusait de percevoir cet argent, mais quand nous avions organisé une action de protestation devant le consulat pour augmenter cette bourse, il est venu avec nous. C’est par pure solidarité et il a été emprisonné par la police égyptienne pour avoir participé dans cette protestation », a-t-il ajouté.
Décrivant son quotidien avec feu Boumediene, l’étudiant Amimour a parlé d’une personnalité ambigüe, autodidacte, un fin observateur des évènements autour de lui, qui aime s’isoler et qui lit beaucoup à « tel point que l’on peut dire que personne n’a contribué dans son ascension et réussite ». « Pratiquement, personne ne pourrait nous livrer une description complète de lui. On ignore encore beaucoup de choses sur Boumediene. Ce qui a rendu Boumediene une personnalité très ambigüe même à l’ennemi français à l’époque », a-t-il souligné.
Amimour, chercheur et écrivain intéressé par l’histoire de la Révolution nationale et qui a été sénateur et président de la commission des affaires étrangères au Conseil de la nation, relate un fait qui illustre la qualité de l’homme, qui se rendait imprévisible auprès des autorités coloniales françaises. « Le président français de l’époque, Charles de Gaulle, avait chargé ses hommes de lui établir une liste des hauts officiers de l’Armée de libération nationale (ALN). Une fois cette liste remise entre ses mains, il a lu devant le nom de Boumediene et a fait cette remarque : “Un officier ambigu sans avenir”. De Gaulle s’est alors protesté en criant sur ses hommes : “Vous avez tort !”», raconte-t-il.
Et au conférencier d’ajouter : « Effectivement, les renseignements rassemblées sur Boumediene ont été faits par des personnes qui ne le connaissaient pas ». Amimour a relaté aussi le témoignage de Valéry Giscard d’Estaing, premier président Français à avoir effectué une visite officielle en Algérie, qui a dit que « l’Algérie ne pourrait jamais enfanter de nouveau quelqu’un comme Boumediene » et que Boumediene « n’a jamais été remplacé par quelqu’un de son envergure ».
Anissa Boumediene, veuve du président Boumediene, a défendu les politiques menées par son mari comme la nationalisation des hydrocarbures et le projet de la Révolution agraire. « Ce qui a toujours attiré mon attention c’est le fait qu’il (Boumediene, ndlr) était toujours à l’heure avec les évènements quand il était au Caire. Il s’intéressait beaucoup à l’expérience de Mohammad Mossadegh en Iran (ancien Premier ministre qui a pris sous son administration la mesure de nationalisation de l’‘industrie pétrolière iranienne, ce qui a mené à son renversement du pouvoir). Boumediene rassemblait des informations sur cette expérience et réfléchissait aux moyens pour le faire éviter de tomber dans l’erreur », a-t-elle témoignée.
Ainsi, l’une de ses conclusions, une fois arrivé au pouvoir, est de nationaliser les hydrocarbures à 51 % pour « éviter le spectre d’un complot des puissances étrangères comme pour l’Iran ». Elle soutient que la politique de Révolution agraire n’a pas échoué car appliquée sur 16 % des terres agricoles, l’objectif étant de réaliser la décentralisation et de fixer l’agriculteur dans sa terre, « car beaucoup préféraient travailler aux usines vu que c’était plus rentable». Elle a ajouté enfin que « l’Algérie n’a jamais été un pays communiste. Encore moins un pays socialiste comme à la conception des pays soviétiques. Le caractère socialiste de l’État a été prôné par Boumediene pour mener des réformes en faveur des couches vulnérables. C’est pour cela que les problèmes, comme le terrorisme, n’ont jamais émergé à l’époque. Moi-même, personnellement, j’étais avocate. Je me déplaçais périodiquement à Oran et à Tizi-Ouzou. Je n’ai jamais pensé qu’il pourrait m’arriver quelque chose de mal ».
Hamid Mecheri