Cette affaire de grande corruption impliquant de hauts responsables de l’État révèle comment une femme qui, grâce à une fausse identité, a pu percer les rouages de la haute administration, a berné ses tenants et a eu accès aux privilèges qui ont fait sa fortune.
Ouvert samedi à la Cour de Tipasa, le procès en appel de la dénommée Nachinache Zoulikha-Chafika, la fausse « fille cachée » de l’ex-président Bouteflika, s’est poursuivi hier avec les plaidoiries de la défense. Le procès de première instance a déjà révélé comment « Mme Maya » a employé sa fausse identité pour amasser une fortune, grâce à la couverture de l’ex-DGSN Hamel ou encore aux faveurs des anciens walis Mohamed Ghazi et Abdelghani Zaâlane. Celle qui prétendait, à desseins, avoir un lien de filiation avec l’ancien locataire d’El-Mouradia est revenue à l’occasion pour se démentir. Par contre, elle a affirmé avoir une relation «étroite» avec lui grâce à son père, un moudjahid de son état. Et aux dernières nouvelles, la femme-énigme avait fait même escale à la présidence de la République. Dès lors, qui mieux qu’un ancien proche collaborateur de Bouteflika pour en confirmer les révélations faites à l’audience.
En effet, convoqué en tant que témoin, l’ex-secrétaire personnel du président déchu, Mohamed Rakab, a révélé que Mme Maya avait été reçu une seule fois, en 2004 précisément, au palais d’El-Mouradia. À l’accueil, le Président himself lui avait accordé une audience personnelle. C’est alors que, précise le témoin, a-t-il été chargé par l’ancien chef de l’État de faire présenter sa convive de marque à l’ancien wali de Chlef, Mohamed Ghazi. L’objectif étant de permettre à « Mme Maya » d’avoir accès aux travaux de réhabilitation du parc de loisirs à Oum Drou, sis dans cette wilaya.
De son côté, l’accusée principale, Zoulikha Chafika, a avoué au président de l’audience qu’elle avait bénéficié de facilitations pour la réalisation de projets d’investissement grâce à l’« intervention » de l’ancien président et de son secrétaire personnel.
Une fortune « château de cartes »
Cette affaire a été révélée au public en 2014, lorsque les services de sécurité, saisis sur informations au sujet d’une suspecté surnommée « Mme Maya » aurait constitué un vaste réseau local et aux ramifications internationales avec de hauts dirigeants de l’État. Un portefeuille contact qui lui avait permis l’accès à des biens immobiliers qui lui ont généré une fortune, dont une patrie a été transférée en devise à l’étranger. Lors d’une perquisition du domicile de l’accusée, d’ailleurs, les services de sécurité ont mis la main sur un montant en devise de 270 000 euros, près de 100 millions dinars et un lot de bijoux, selon le Parquet. Elle avait alors joui de ces facilités jusqu’à l’année 2017.
Pas que, puisque Mme Maya a eu également accès libre et sans contrôle au salon d’honneur de l’aéroport international d’Alger. Ceci, grâce à l’intervention de Mohamed Ghazi, en tant que ministre du Travail, auprès des fonctionnaires de l’infrastructure aérienne. Un privilège qui lui a permis de transférer d’importants montants en euros à l’étranger.
Le réquisitoire du Parquet
Au titre des griefs retenus contre les accusés, il s’agit de « blanchiment d’argent », « trafic d’influence », « octroi d’indus avantages », « dilapidation de deniers publics », « incitation d’agents publics pour l’octroi d’indus avantages » et « transfert illicite de devises vers l’étranger ». Samedi soir, soit à la clôture de l’audience, le parquet général près la Cour de Tipasa, a requis des peines allant de de 10 à 15 ans de prison ferme contre les principaux accusés. Ainsi, le Procureur a confirmé le verdict de première instance, quant à la saisie de tous les biens de Mme Maya et ceux de ses deux filles, Imène et Farah. Le parquet général a ainsi requis une peine de 15 ans de prison ferme (12 ans en première instance) assortie d’une amende de 6 millions dinars contre Zoulikha Chafika. La même peine a été requise aussi contre Mohamed Ghazi et Abdelghani Zaâlane avec une amende de un millions DA. Les filles (en liberté) de l’accusée principale, quant à elles, risquent une peine de 10 ans de prison ferme assortie de six millions DA. De son côté, l’ancien DGSN Hamel encourt une peine de 12 ans de prison ferme assortie d’une amende d’un million DA, alors que des peines de 5 et 12 ans de prison ferme ont été requises contre cinq autres accusés, dont Chafik Ghazi (fils de Mohamed Ghazi) et le député à la retraire Omar Yahiaoui (en fuite à l’étranger).
Farid Guellil