Yalitza Aparicio n’était pas venue pour le casting, elle ne faisait qu’accompagner sa soeur. La voilà aujourd’hui sur les écrans du monde entier, à l’affiche de «Roma», le dernier film d’Alfonso Cuaron qui a déjà remporté le Lion d’or de Venise et pourrait décrocher un Oscar.
«Ce n’est pas quelque chose que je voulais vraiment ou dont je rêvais», a assuré à l’AFP la jeune actrice mexicaine, Amérindienne d’origine modeste. «A cause de votre milieu ou de vos origines, vous n’envisagez même pas de devenir actrice, de faire partie de ce monde qui ressemble à un rêve», explique-t-elle. Yalitza Aparicio, 26 ans tout juste, venait d’obtenir son diplôme d’institutrice et cherchait du travail lorsqu’Alfonso Cuaron l’a remarquée, et recrutée. Après «Gravity», film à gros budget qui avait récolté sept Oscars en 2014, le réalisateur mexicain souhaitait réaliser un projet bien plus personnel, le récit en noir et blanc de deux femmes qui ont marqué son enfance. Cleo, domestique indienne qui tombe enceinte dès sa première relation sexuelle (interprétée par Yalitza Aparicio) et la mère du réalisateur (jouée par Marina de Tavira) que son mari va quitter pour une autre, vont devoir trouver leur voie dans les temps troublés du Mexique au début des années 1970.
«Eduquer les gens»
La mère de Yalitza Aparicio, qui l’a élevée seule dans une petite ville de l’Etat d’Oaxaca dans le sud du pays, travaillait comme domestique, ce qui a permis à la jeune femme d’appréhender les relations complexes unissant les serviteurs et leurs patrons. «Pendant le tournage, j’ai vécu des scènes qui ont fait remonter des souvenirs, comme le besoin de mon personnage de protéger les enfants, de les préserver de la situation pour qu’ils n’en souffrent pas», dit-elle. La première exigence de Cuaron pour son casting était de trouver des personnages ressemblant physiquement aux protagonistes de son enfance. «Et en plus, ils devaient avoir la même énergie», a expliqué le réalisateur à l’AFP. Après de nombreux essais, Yalitza Aparicio a fini par incarner le rôle inspiré par Libo, la nounou d’Alfonso Cuaron, qui «pleure à chaque fois» qu’elle voit le film, assure-t-il. L’actrice a rencontré la vieille dame avant le tournage: «Elle m’a seulement dit comment elle était rentrée dans la famille, quelle était sa relation avec elle». Le travail de Yalitza Aparicio, qui n’avait jamais mis les pieds sur un plateau de cinéma, a été applaudi par la critique et des acteurs aussi expérimentés que Tom Hanks ont salué sa performance. Cuaron dit avoir eu pour «Roma» (le nom du quartier de Mexico où il a grandi) les «meilleurs acteurs» avec lesquels il lui a été donné de travailler. Grâce à cette aventure, «j’ai compris qu’à travers le cinéma, on peut aussi éduquer les gens, de manière plus massive», a affirmé l’institutrice, qui attend de voir si d’autres propositions de film lui seront faites. Dans l’immédiat, elle savoure l’instant, fait d’applaudissements mais aussi d’insultes racistes de la part de certains compatriotes critiquant ses origines indiennes. Elle préfère les ignorer. «Je montre à mon peuple qu’eux aussi peuvent faire quelque chose comme ça, même s’ils ne sont pas blonds et qu’ils n’ont pas les yeux verts».