On y donne le la depuis six décennies: sous les dorures du Grand Palais des Festivals de Salzbourg, rivalisent chaque été de talent les plus célèbres artistes, soucieux d’inscrire leur légende dans ce temple de la musique.
Exceptionnelle acoustique pour une scène magistrale: tout n’est que démesure dans cet écrin inauguré le 26 juillet 1960 et où se succèdent les représentations des «Salzburger Festspiele». De Placido Domingo à Luciano Pavarotti, les plus belles voix ont été acclamées aux anciennes écuries épiscopales à la façade tricentenaire, devenues au fil des ans le «saint des saints» de l’art lyrique. «Que cette salle ait vu le jour relève pourtant du pur miracle», souligne la présidente du festival, Helga Rabl-Stadler, à l’occasion d’une visite en coulisses accordée à l’AFP fin juin. Alors que la maison s’affaire pour préparer un très attendu «Don Giovanni» de Mozart, mis en scène par Romeo Castellucci à partir de lundi, elle rappelle l’histoire de ce bâtiment unique qui forme un ensemble avec les deux salles attenantes plus petites: la «Maison pour Mozart» et le «Manège des rochers».
50 000 m3 de roche
«Sous la direction du chef d’orchestre Herbert von Karajan, l’architecte Clemens Holzmeister a voulu mettre en œuvre ce chantier phare et en 1956, l’État a débloqué 210 millions de shillings pour la construction, une somme énorme», rappelle Mme Rabl-Stadler. À l’époque, le festival de musique et de théâtre, fondé en 1920 comme un projet de paix après la Première Guerre mondiale, se déroule dans des quartiers modestes, adossés au rocher qui domine la vieille ville. Tout juste libérée des forces d’occupation parties en 1955, la petite République d’Autriche pourtant ruinée mise tout sur la culture et fait de ce «Grand Palais» («Grosse Festspielhaus») aux 2 179 places un symbole de renouveau. La scène d’une largeur de 100 mètres est édifiée en dynamitant 50 000 m3 de roche. Depuis la rue, cinq portes monumentales en bronze permettent au public d’entrer. La salle et le foyer sont parés de boiseries, de fresques, de mosaïques, de sculptures et de tapisseries offrant avec leurs matériaux intemporels une atmosphère feutrée.
«Intimité sonore»
Ce qui fait aussi l’aura si singulière de cette salle, c’est «son acoustique véritablement merveilleuse», selon le chef d’orchestre Franz Welser-Moest, qui s’y est produit à 74 reprises. «En entrant sur scène, on a l’impression d’un lieu aux dimensions intimidantes et pourtant, il permet une intimité sonore incroyable», estime-t-il, enthousiasmé d’y revenir cette année. «Les sons les plus faibles se répandent de façon à ce que l’auditeur le plus éloigné puisse en faire l’expérience très directement». Helga Rabl-Stadler raconte que «le directeur technique de l’Opéra Bastille» s’était montré surpris qu’une «si bonne acoustique» ait été conçue dès les années 1960. Jamais facile donc, pour la nouvelle génération, d’affronter comme Karl Böhm et Pierre Boulez en leur temps ce monument où l’on perpétue une tradition comme on jauge les audaces. Cette saison, le «Jedermann» de la pièce d’Hugo von Hofmannsthal, reprise traditionnellement chaque année, sera en talons hauts, interrogeant l’identité de genre. Le rôle de Salzbourg est également de faire éclore «les talents qui façonneront la musique de demain», estime le directeur artistique Markus Hinterhäuser.
«Rêve organisé»
Le monde du classique est très globalisé et entre la mi-juillet et la fin-août, 5 000 employés originaires de 60 pays sont sollicités pour ce festival international des superlatifs revendiquant la première place. Quelque 220 000 tickets ont été vendus – malgré la pandémie de coronavirus – entre 5 et 445 euros (la moitié à moins de 105 euros). 168 événements sont organisés en 47 jours, pour un budget de 60 millions d’euros, dont 25% seulement de subventions publiques… un investissement largement compensé par les retombées économiques. Depuis des mois, on sculpte les masques pour Don Giovanni, les chapeliers façonnent des couvre-chefs, les costumières prennent les commandes. Une véritable ville dans la ville s’active pour que prenne vie, comme le dit M. Hinterhäuser, le «rêve organisé». «Faire tendre vers un même objectif toutes ces personnes venant de différents continents est une tâche immense», souffle Helga Rabl-Stadler, qui tirera sa révérence à l’automne, après plus d’un quart de siècle de loyaux services. «En 1920, les fondateurs projetaient de bâtir sur le sol autrichien un centre artistique mondial transcendant les nations. Peut-être y sommes-nous un petit peu arrivés», esquisse-t-elle.