Accueil À LA UNE VIOLENCES POLICIÈRES EN FRANCE : Chronique d’un effondrement démocratique

VIOLENCES POLICIÈRES EN FRANCE : Chronique d’un effondrement démocratique

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Le 30 juillet 2025, sur la radio RMC, la députée française Gabrielle Cathala (LFI-NFP, Val-d’Oise) dénonce un « racisme généralisé » dans la police. Ses propos, rares à ce niveau de responsabilité politique, déclenchent une tempête médiatique et politique. Une prise de parole qui brise un tabou. Le lendemain, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, annonce des poursuites judiciaires à son encontre. 

Cette réaction disproportionnée, plutôt que de répondre sur le fond, vise à dissuader toute dénonciation de violences systémiques. Elle révèle à quel point la critique des forces de l’ordre reste un tabou en France, même au plus haut niveau de l’État. 

Le même 30 juillet, Nadège Abomangoli, vice-présidente de l’Assemblée nationale et députée de Seine-Saint-Denis, reçoit des injures racistes et sexistes par courrier : « Une Noire n’a rien à faire à ce poste ». Relayés par l’AFP, ces propos ne sont pas anecdotiques. Ils révèlent une hostilité toujours présente dans les institutions à l’égard des personnes non-blanches, surtout lorsqu’elles accèdent à des postes de pouvoir. Le racisme n’est pas seulement policier ou populaire, il est aussi bureaucratique, parlementaire, et parfois même gouvernemental. 

Parole étouffée, système dissuasif

Ces cas pointent une asymétrie structurelle dans la prise en compte des récits. « Ce sera leur parole contre celle de quelqu’un d’autre », disait Cathala, pour signifier la parole de la victime contre un représentant armé de l’État, investi d’une autorité, et protégé par une machine judiciaire souvent solidaire. Des chercheurs d’ailleurs, comme le sociologue Didier Fassin dans La Force de l’ordre (Éd. Seuil, 2011), ont largement documenté et étudié ce genre de problématique. Des organisations non gouvernementales rapportaient que de nombreuses plaintes pour violences ou humiliations policières restaient sans suite, ou étaient classées sans enquête approfondie. Le message implicite envoyé aux victimes est clair : se taire ou risquer la double peine. 

Le 12 juillet 2025, Nicolas Sarkozy est placé sous surveillance électronique pour corruption, fraude et trafic d’influence. Celui qui, en 2005, traitait les jeunes des quartiers populaires de « racaille » devient un symbole d’impunité au sommet de l’État. L’ironie est amère. Cette symbolique incarne une fracture. Des populations entières subissent quotidiennement contrôles, suspicions et violences, tandis que des hommes politiques condamnés bénéficient d’un traitement judiciaire tempéré, voire indulgent. La « tolérance zéro » ne semble s’appliquer qu’aux dominés.  Marine Le Pen et Éric Zemmour, figures de l’extrême droite, ont normalisé un discours racialisant. Mais ce langage s’est désormais déplacé vers des partis dits « républicains ». Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat et ministre de l’Intérieur, incarne cette jonction idéologique. Il répond à la dénonciation du racisme policier non par des enquêtes, mais par des poursuites. Cette inversion du rapport accusateur–accusé est une stratégie de délégitimation, visant à criminaliser des personnes qui révèlent des abus plutôt que les agents qui les commettent. 

Militarisation de l’ordre public

Le média militant Contre Attaque, qui documente les violences policières et les luttes sociales, dresse un bilan alarmant de la décennie Macron. Dans une contribution, « Explosion des crimes policiers sous Macron : analyse d’un sinistre record » (janvier 2025), fait une lecture comparative des violences policières sous le régime de trois présidents :  « Les cinq ans de pouvoir Hollande entre 2012 et 2017, avec 92 tués, représentaient en moyenne 18 victimes par an. Et la décennie de Nicolas Sarkozy, allant de 2003 à 2012 – il avait été Ministre de l’Intérieur avant d’être président – affichait 106 crimes policiers, soit près de 11 en moyenne par an. À l’époque, la politique répressive et la brutalité de Sarkozy, régulièrement traité de « facho », était largement condamnée. Sous Macron, la police a tué quatre fois plus ! ». Cette hausse ne résulte pas d’un contexte plus violent, mais bien d’un changement doctrinal. 

La police a été dotée de moyens militaires, de nouvelles armes dites « non létales », et d’un cadre légal renforçant son impunité (Loi Sécurité globale, 2021 ; Loi sur la responsabilité pénale, 2023). Les profils des victimes se répètent : jeunes hommes, souvent racisés, tués lors de contrôles routiers, interpellations dans les quartiers ou refus d’obtempérer. Le cas de Nahel, abattu à Nanterre en 2023, a cristallisé cette violence. Le tir policier, filmé, révélait un usage létal de la force sans justification. 

Mais les morts ne suffisent pas à provoquer un débat national en France. Une stratégie de banalisation des violences est mise en place. Chaque décès est présenté comme un cas isolé, une  « bavure », et les familles peinent à obtenir justice. Ce traitement institutionnel alimente un sentiment d’injustice massive dans les quartiers populaires, que les pouvoirs publics préfèrent étouffer plutôt que reconnaître. 

Recul généralisé des libertés

En mai 2024, au moins 13 Kanaks en Nouvelle-Calédonie sont tués par des forces de l’ordre lors d’un soulèvement contre la non-reconnaissance des résultats du référendum d’autodétermination. Les conditions de cette répression sont dénoncées par les organisations kanak, les syndicats locaux et plusieurs ONG. Les gendarmes mobiles déployés sur l’île ont agi avec un niveau de violence extrême, illustrant ce que des observateurs qualifient de « réactivation coloniale ». La France n’hésite pas à employer la force la plus brutale dès lors que les revendications touchent à la souveraineté ou à la mémoire coloniale. 

La criminalisation de l’engagement devient une norme : manifestations pro-palestiniennes interdites, rassemblements syndicaux empêchés, convocations de parlementaires devant les services antiterroristes, dissolutions administratives d’associations militantes. L’épisode du mouvement des Gilets Jaunes a été marqué par une répression d’une ampleur inédite, avec des images de violences policières largement relayées et dénoncées (2 500 blessés dont 24 manifestants éborgnés et cinq ont eu une main arrachée). 

Les Nations unies, le défenseur des droits ou le Conseil de l’Europe se sont tous inquiétés de l’usage excessif de la force en France et des restrictions aux libertés de manifester pacifiquement, tout en dénonçant l’ampleur de la dérive. L’État réprime non seulement des actes, mais aussi des idées. La répression ne vise plus seulement les violences, mais le désaccord. 

L’impunité comme stratégie

Les défenseurs des droits confirment que 80 % des jeunes hommes noirs ou arabes sont contrôlés plusieurs fois par an, contre 16 % des jeunes blancs. Ces chiffres traduisent une racialisation du contrôle social. Le sociologue Saïd Bouâmama rappelle que les techniques de surveillance employées aujourd’hui dans les quartiers sont des héritières directes des pratiques coloniales : fichage ethnique, quadrillage des territoires, usage de l’intimidation et contrôle de la mobilité. 

Dans Violences policières : Un déni au cœur de l’État français, le sociologue Michel Kokoreff montre que la répression n’est pas l’effet de dérives ponctuelles. C’est une politique. La protection systématique des agents, l’autonomie grandissante des syndicats policiers (Alliance, Unité SGP), l’absence de sanctions disciplinaires sérieuses, tout cela forme un système d’impunité organisée. La police n’est plus simplement un outil d’ordre, elle devient un acteur politique à part entière, capable de faire pression sur les gouvernements, de défier les décisions judiciaires, voire de dicter les termes du débat sécuritaire. 

Les médias dominants (BFMTV, CNews, Le Figaro) participent souvent à la légitimation des violences en reprenant les récits policiers sans contre-expertise. À l’inverse, des médias indépendants documentent les violences, donnent la parole aux victimes, et révèlent les contradictions des institutions. Ce clivage médiatique structure l’opinion publique française. Les violences policières deviennent soit une évidence sociale, soit une fiction militante, selon l’endroit d’où l’on regarde. 

Tournant autoritaire en marche

L’année 2025 marque un tournant autoritaire pour la France. La violence policière, loin d’être une anomalie, est devenue un outil de gouvernement. Ce que l’on appelait jadis des « bavures » sont désormais des pratiques routinières. La parole des victimes est disqualifiée, les responsables politiques qui les soutiennent sont poursuivis, les médias critiques marginalisés, et les mobilisations sociales criminalisées.

Les institutions policières devraient être repensées au lieu d’évoquer des « réformes ». Il faudrait un contrôle indépendant des forces de l’ordre, la fin de l’impunité, et la reconnaissance du racisme d’État comme phénomène structurant. Gouverner par la peur, réprimer plutôt qu’écouter, diviser plutôt que réparer semble le choix politique adopté. 

Aylan Rafik

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