Accueil LA CHRONIQUE DU JEUDI Un reporter dans la foule : Des « initiales » face à la justice

Un reporter dans la foule : Des « initiales » face à la justice

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Hier deux tribunaux ont fait des déclarations publiques. Le premier, celui de Dar El Beida (w. d’Alger) et dont le procureur, Rostom Mansouri, a annoncé le placement en détention provisoire de quatre accusés dans l’affaire de la chute d’un bus dans l’Oued El Harrach. Le second, celui de Sidi M’Hamed (w. d’Alger) a publié, peu après, un communiqué, informant l’opinion publique avoir « traité une affaire liée à un réseau criminel organisé transnational s’adonnant au trafic de drogue et de comprimés psychotropes ». Quelques heures seulement séparent ces deux interventions. Une différence, saute aux yeux, dans la désignation des justiciables qui sont poursuivis dans l’un et l’autre tribunal. Le premier utilise des initiales alors que le second donne les noms et prénoms des accusés. On pourrait croire que le premier a le souci de la présomption d’innocence et pas le second. Ce qui est inexact. Il s’agit plus d’un usage établi que d’une disposition réglementaire. Ce débat autour de la désignation nominative des personnes poursuivies et non encore jugées, date de plusieurs décennies. Il fut un temps où dans notre pays, à l’époque du journal « unique » qu’était El-Moudjahid, les faits divers ainsi que les comptes-rendus des tribunaux étaient rédigés par les chargés de l’information des institutions publiques concernées avant d’être envoyés à la rédaction. Le journal les publiait tel quel. Sans rien modifier. Il faut rappeler que c’était l’époque où les journalistes ne signaient pas leurs écrits. Ce qui signifie que le journal, « personnalité morale », endossait seul la responsabilité du contenu. Ce n’est qu’au début des années 1980 à la faveur des premières mesures d’ouverture (suppression de l’autorisation de sortie, libération du président Ahmed Ben Bella, etc.) que les premières signatures apparurent. Dans un premier temps pour les articles de la rubrique « société-magazine », c’est-à-dire celle qui s’occupait des faits divers, de la chronique judiciaire mais aussi de l’écologie et du programme TV. Un début où quelques tiraillements entre les fonctionnaires qui remplissaient la mission d’écrire les « articles » et les journalistes, ont existé. Les premiers ne voulant pas céder la place aux seconds.
Ce n’est que bien plus tard que la signature des journalistes s’est élargie à d’autres rubriques (culturelle, nationale). Les signatures des journalistes des rubriques « internationale » et « économie » n’ont été autorisées que bien plus tard. C’est à cette époque, celle de l’ouverture, que l’utilisation des initiales des justiciables avait pris fin. Les journalistes, que nous étions, rapportions fidèlement les noms et prénoms des personnes poursuivies par la justice. Sans enfreindre la règle de la présomption d’innocence. Comment ? Dans la présentation des faits. Uniquement des faits. Sans être à charge ou à décharge. C’est une technique que les journalistes professionnels manient très bien. Malheureusement, le recours aux initiales a effectué son retour au début des années 1990. Les raisons sont diverses et variées mais n’ont rien à voir avec la présomption d’innocence. Nous sommes partisans de l’abandon des initiales pour la bonne et simple raison que cela verse dans la complaisance au détriment de l’intérêt général. La justice rend ses jugements au « nom du peuple ». S’il s’agit de l’honneur de toute une famille qui porte ce nom- comme cela est avancé généralement-la première personne qui aurait dû s’en soucier, c’est bien celui qui est poursuivi par la justice.
Ajoutons que la publication des jugements permet de « blanchir » quelqu’un qui a été relaxé. Les avocats de la défense peuvent demander, dans leur plaidoirie, que soit exigée la publication dans les médias, la relaxe ou le non-lieu. Par contre les initiales sont un « huis-clos » qui favorise la montée des fléaux sociaux. On peut adopter, comme en médecine, la balance « bénéfice-risque », avec comme seul souci l’intérêt général contre l’intérêt particulier.
Face à la montée mondiale de la délinquance, de la violence sous toutes ses formes, de la perte des valeurs ancestrales, cacher l’identité des gens poursuivis par la justice ou arrêtés dans telle ou telle affaire, encourage cette dangereuse courbe à la hausse. Hier nos deux tribunaux ont offert une occasion en or pour corriger une anomalie qui n’a que trop duré. Dans l’intérêt général !
Zouhir Mebarki
zoume600@gmail.com

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