Chaque année depuis 64 ans, on commémore les manifestations populaires du 11 décembre 1960, avec beaucoup d’imprécisions. Pour avoir vécu l’événement et suivi de près sa prise en charge, à l’époque, par les médias, nous allons témoigner pour vous permettre une meilleure compréhension de cette partie majeure de la guerre de libération nationale. Le 11 décembre 1960, c’était une année après le fameux discours, du 16 septembre 1959, du chef de l’État français, Charles De Gaulle, contraint de se conformer au droit à l’autodétermination. La réaction des partisans de « l’Algérie française » sera violente. Elle a été marquée par « la semaine des barricades », à Alger du 24 janvier au 1er février 1960. De Gaulle ne cède pas et confirme sa décision, dans son discours du 4 novembre 1960. Cependant et lors de son voyage en Algérie du 9 au 14 décembre 1960, De Gaulle avait, dans ses valises, un projet destiné à truquer les cartes de l’autodétermination. Il avait inventé une « troisième voie » et son slogan « l’Algérie algérienne ». Ce projet avait pour but d’intégrer au processus en cours outre le GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne) les pieds-noirs, les juifs (il faut préciser que ces deux communautés ne s’entendaient pas depuis Vichy), le MNA de Messali et même les harkis. La manœuvre ne passait pas. Les Algériens ne pouvaient pas accepter cette « Algérie algérienne ». Au même moment, à New-York se tenait la 15ème session de l’Assemblée générale de l’ONU. Parmi les points inscrits à ses travaux figurait « la question algérienne ». De ce fait, les Algériens se devaient d’agir vite avant le 14 décembre 1960, jour de l’adoption par la 1ère commission du « projet de résolution demandant l’organisation en Algérie d’un référendum d’autodétermination contrôlé par les Nations unies et le maintien de l’unité et de l’intégrité territoriale de l’Algérie » (notez la 2ème partie de cette résolution qui est aujourd’hui d’une actualité brûlante). Une fois qu’on a pris connaissance de ce timing on comprend mieux le voyage de De Gaulle en Algérie. La voix des Algériens devait être très forte pour être entendue jusqu’à New-York. De Gaulle avait choisi de commencer son périple par l’Ouest du pays. Avant son arrivée à Alger, le 10 décembre une inhabituelle effervescence a été remarquée dans les hauteurs de la capitale. Plus précisément au Clos Salembier (actuellement El Madania) à Belcourt (actuellement Belouizdad) en passant par la Redoute (actuellement El Mouradia). Pour expliquer pourquoi cette zone, il faut se rappeler que c’est là, sur proposition du Chahid Didouche Mourad, qu’eut lieu la réunion des « 22 », le 23 juin 1954. C’est là que notre héros est né et à grandi (rue des Mimosas). Dans son quartier et aux alentours, Didouche Mourad a mené durant de longues années un activisme hors du commun. Au lendemain des massacres du 8 mai 1945, il a créé les groupes de Scouts musulmans algériens pour une formation paramilitaire en vue de la lutte armée. Il a également créé le célèbre club sportif de la Redoute « RAMA » pour sensibiliser les jeunes et les préparer à « relever la tête ». Un long et patient travail qui a donné un nombre incalculable de moudjahidine dans cette zone. La veille du 11 décembre 1960, un petit groupe de ces moudjahidine formé par Didouche Mourad, qui était tombé les armes à la main, ont commencé à haranguer les voisins en sillonnant le quartier. Au fil de leur marche la foule s’agrandissait. C’était l’application du « théorème » du chahid Larbi Ben M’Hidi qui consiste à « mettre la révolution dans la rue et le peuple la portera » (l’effet boule de neige). Le lendemain, la marche a repris avec plus d’ampleur pour se transformer en un immense soulèvement populaire. Venus de tous les quartiers environnants, les manifestants se sont rassemblés au lieu-dit « le Confort », non loin de la sinistre villa « Susini », avant de descendre vers Belcourt en passant par le quartier « des carrières » pour se retrouver à hauteur du magasin de vêtements de la famille Satour. C’est là que fut prise la photo qui a fait le tour du monde et qui représente à ce jour les manifestations du 11 décembre 1960 au pied du quartier de « l’Aquiba ». Les slogans « Algérie musulmane », « Vive le FLN », « Vive le GPRA » brandis par les algériens ont eu raison du slogan « Algérie algérienne » de De Gaulle. Ce dernier comprit le message et rentra plus tôt que prévu à Paris. Il est vrai que des manifestations ont eu lieu un peu partout en Algérie avec comme épicentre la capitale Alger. Les voix de ces femmes algériennes, qui sortaient pour la première fois, mêlées à celles de leurs enfants, frères, maris et pères sont parvenues à l’ONU. La résolution adoptée par la commission a été approuvé par l’AG de l’ONU le 19 décembre 1960. Les manifestants du 11 décembre 1960 ont gagné. De Gaulle n’avait plus d’autre choix, que le FLN comme interloculteur. La suite est connue avec les accords d’Évian, le 18 mars 1962 puis avec l’indépendance le 5 juillet 1962. Tout ceci au prix de centaines de manifestants qui ont été assassinés, ce jour-là, par l’armée coloniale. Gloire à nos martyrs !
Zouhir Mebarki
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