Alors que le monde détourne trop souvent le regard, la population palestinienne de Ghaza continue de payer un tribut insoutenable à une guerre qui, depuis près de vingt et un mois, se nourrit d’une logique de destruction totale et de privation systématique.
Au cœur de cette tragédie : le massacre silencieux de ceux qu’on appelle désormais les « martyrs de la faim ». Selon le dernier bilan du ministère de la Santé de Ghaza, 640 Palestiniens ont été tués et plus de 4 488 autres blessés alors qu’ils tentaient simplement d’obtenir une aide alimentaire. Rien que ces dernières 24 heures, 39 personnes ont perdu la vie et plus de 210 ont été blessées dans les files d’attente improvisées autour des rares convois de vivres. Derrière ces chiffres glaçants, une mécanique du désespoir minutieusement orchestrée. Le bureau d’information gouvernemental de Ghaza accuse l’armée israélienne et une société de sécurité américaine d’être directement responsables de ces exécutions à ciel ouvert, au mépris de toute règle humanitaire. Dans un communiqué cinglant, il exige l’ouverture immédiate d’une enquête internationale sur ce qu’il qualifie de « massacres planifiés » contre des civils désarmés.
Des distributions « sous condition » et un exode imposé
Le même bureau met en garde contre une tactique redoutable : en concentrant la distribution des aides au sud du territoire, l’occupation contraint de facto des dizaines de milliers de Palestiniens à quitter leurs maisons vers ce qu’elle présente comme des « zones sûres ». Cette stratégie, souligne le communiqué, constitue un déplacement forcé déguisé, synonyme de nettoyage ethnique progressif. Un constat que confirme le dernier rapport de l’Euro-Med Human Rights Monitor : l’armée israélienne, par le biais de bombardements, de destructions massives et de pénuries organisées, pousse méthodiquement plus de deux millions de Palestiniens vers un exil intérieur, entassés sur moins de 15 % du territoire. Entre le 28 et le 30 juin, trois nouveaux ordres militaires ont ainsi forcé à eux seuls plusieurs dizaines de milliers de familles à fuir l’est de la ville de Ghaza, le sud et le nord de l’enclave.
Des ordres de déplacement… aux ordres de mort
Depuis la rupture unilatérale du cessez-le-feu, le 18 mars dernier, l’armée israélienne a émis 51 ordres de déplacement forcé, exposant plus de 85 % de Ghaza à une domination militaire directe ou à une expulsion programmée. Résultat : un million de déplacés supplémentaires, condamnés à survivre dans des camps improvisés, des abris de fortune ou à même les rues, dans une promiscuité propice à la propagation des maladies. Pour Mohamed H., habitant de Shuja’iyya à l’est de Ghaza, l’exil est un calvaire sans fin : « Nous avons fui sous les bombes, à pied, sans destination. Chaque lieu dit “sûr” se transforme en cible. Il n’y a plus de refuge, hormis le ciel », témoigne-t-il, la voix brisée. Même fatalisme chez Maram A., du quartier Al-Tuffah : « Nous sommes sortis sous le feu, avons trouvé refuge à l’ouest, mais le bombardement nous a suivis. À Khan Younès, même scénario : des familles entières massacrées dans leurs tentes. Nos voisins n’ont pas survécu».
Un pilonnage des abris et des hôpitaux
Ce schéma de terreur est aujourd’hui confirmé par de multiples ONG et agences de l’ONU : l’armée israélienne pilonne délibérément les zones de repli, écoles transformées en refuges, centres de soins d’urgence, campements improvisés. « Le déplacement forcé à Ghaza n’est pas seulement imposé sous la menace, il est exécuté dans un environnement mortel », alerte l’Euro-Med Monitor. « C’est un instrument direct de l’entreprise génocidaire en cours. » Le bilan global du massacre est effroyable : depuis le 7 octobre 2023, le ministère de la Santé de Ghaza recense 57 012 morts et 134 592 blessés, dont une majorité de femmes et d’enfants. Plus de 11 000 personnes sont toujours portées disparues, la plupart ensevelies sous les décombres ou abandonnées sur les routes.
La société « Ghaza Humanitarian » sous le feu des critiques
Au cœur du scandale : une structure opaque, baptisée « Ghaza Humanitarian », censée gérer la logistique des aides avec l’appui des forces israéliennes et d’une société de sécurité américaine. Or, de l’avis du bureau d’information gouvernemental et de plusieurs acteurs locaux, cette entité « viole ouvertement les principes de neutralité humanitaire et du droit international ». Pour Amjad Al-Shawa, directeur du réseau des ONG de Ghaza, « cette machine de mort travestie en œuvre humanitaire a déjà coûté la vie à plus de 600 personnes autour de ses zones de distribution. » Il appelle à restaurer le rôle des agences onusiennes – au premier rang desquelles l’UNRWA, pilier historique de l’assistance aux réfugiés palestiniens – et des organisations internationales reconnues, seules garantes d’une aide digne de ce nom. Le contraste est d’autant plus saisissant à l’étranger. Dans un article incendiaire publié par The Guardian, le chroniqueur britannique Owen Jones dénonce la « schizophrénie morale » de son pays : une société plus prompte à s’indigner des propos d’un duo punk, Bob Vylan, sur une scène de Glastonbury – « Mort à l’armée de défense israélienne ! » – qu’à dénoncer l’exécution de 600 civils palestiniens affamés, révélée par le quotidien israélien Haaretz. « Cinq mots scandalisent le gouvernement, la BBC et tout l’establishment, pendant qu’on ignore le carnage planifié à Ghaza », résume Jones. « Dans le même temps, le gouvernement britannique continue de livrer des pièces essentielles à l’armée israélienne qui exécute ces crimes. Les musiciens sont traînés devant les tribunaux, mais ceux qui facilitent l’épuration ethnique passent pour des modérés. »
Une impunité nourrie par des complicités diplomatiques
L’impunité de l’occupation trouve un écho jusqu’à Washington. Bien que Donald Trump ait récemment prétendu qu’Israël « acceptait » un cessez-le-feu de 60 jours, les faits prouvent l’inverse : le Premier ministre Netanyahu multiplie les conditions pour saboter toute trêve globale et maintenir le feu de la guerre, pendant que les États-Unis continuent de financer sans réserve l’effort militaire israélien. Pour Nabil Abu Rudeina, porte-parole de la présidence palestinienne, « celui qui prétend vouloir la paix doit commencer par reconnaître au peuple palestinien le droit de décider de son destin et d’établir son État sur les frontières de 1967». Mais sur le terrain, la réalité est toute autre : en Cisjordanie occupée, démolitions, assassinats ciblés et expulsions forcées se poursuivent. Depuis octobre, au moins 988 Palestiniens y ont été tués, plus de
7 000 blessés.
Un projet de destruction à grande échelle
Au-delà des bombes, l’occupation orchestre une asphyxie programmée. Amjad Al-Shawa rappelle que l’armée contrôle 82 % de la bande de Ghaza et 80 % des sources d’eau, toutes situées dans les zones d’évacuation interdites d’accès. « Le risque d’effondrement sanitaire et hydrique est imminent », prévient-il. Ce blocus total et l’ingérence de la « Ghaza Humanitarian » confirment, pour de nombreux observateurs, la volonté israélienne d’étendre l’épuration ethnique de manière irréversible. D’après l’Euro-Med Monitor, l’armée « efface méthodiquement les quartiers : bombardements, destructions par drones explosifs, nivellement complet. C’est la plus vaste opération de nettoyage urbain du XXIe siècle. À mesure que le monde s’habitue à ces images d’horreur, une vérité s’impose : le massacre est documenté, reconnu, incontestable. Pourtant, les principaux responsables de l’extermination de Ghaza civils ou militaires continuent d’agir en toute liberté. Mais comme le souligne Owen Jones dans sa conclusion : « On peut inverser la réalité pour un temps, mais pas pour toujours. Ce crime, trop vaste, trop flagrant, ne sera jamais effacé. Un jour viendra où ceux qui l’ont permis devront rendre des comptes. » En attendant, sous les tentes déchirées ou les ruines fumantes, le peuple de Ghaza n’a plus d’autre choix que de résister pour survivre. Et pour que sa voix, étouffée sous les gravats, continue malgré tout de réclamer justice.
M. Seghilani