Un an après l’annonce de la «victoire» sur le groupe État islamique (EI), l’Irak se retrouve plongé dans une crise politique, sociale et économique mise en veilleuse durant les trois ans d’une bataille acharnée contre les jihadistes.
Après avoir affiché un front commun face à l’EI, la classe politique étale aujourd’hui ses divisions sur la composition du gouvernement et fait face à la menace de nouvelles manifestations. L’instabilité, l’Irak connaît bien. Le pays a fait la guerre à l’Iran de 1980 à 1988, et a envahi le Koweït en 1990 avant d’en être chassé en 1991. Il a subi un embargo durant plus d’une décennie puis une invasion dirigée par les États-Unis, qui a mis fin en 2003 au régime de Saddam Hussein et a été suivie par une guerre confessionnelle. Enfin, l’EI a pris le contrôle du tiers de l’Irak à partir de 2014. Soutenues par une coalition internationale conduite par Washington, les troupes irakiennes et des forces paramilitaires ont combattu l’EI pendant trois ans, Bagdad proclamant en décembre 2017 la «victoire» sur l’organisation jihadiste. Après des décennies de violences, les décideurs doivent désormais faire face à de profonds problèmes, mis sous le tapis durant «les années EI». Pour Renad Mansour, chercheur de Chatham House à Londres, si l’Irak a connu des victoires militaires, «la plus difficile à obtenir est la victoire politique, qu’on repousse toujours à plus tard». Cinq mois après la proclamation de la «victoire» par le Premier ministre Haïder al-Abadi, l’Irak a tenu des élections législatives qui l’ont écarté du pouvoir sans aboutir à une nouvelle coalition gouvernementale solide. Les différents partis se livrent à une lutte de pouvoir qui entrave les efforts du nouveau Premier ministre Adel Abdel Mahdi pour former un gouvernement.
Course aux ministères
En octobre, M. Abdel Mahdi a pu seulement attribuer 14 des 22 postes ministériels, et ses tentatives d’organiser un vote au Parlement pour l’attribution des autres, dont l’Intérieur et la Défense, ont échoué.
«La répartition du pouvoir, la course pour obtenir le plus de positions gouvernementales possibles (…) C’est la racine du problème», souligne le politologue irakien Jassem Hanoun. «L’Irak vit toujours une période de transition, sans stabilité politique ni vision administrative claire», explique-t-il à l’AFP. Vu la situation, certains se demandent même si M. Abdel Mahdi ne va pas démissionner. Le Premier ministre «a sa lettre de démission dans la poche», affirme une source proche du gouvernement qui pense cependant qu’il ne la présentera «qu’en cas d’aggravation considérable de la situation politique». Mais, au-delà de la bataille politique, l’Irak, dévasté par trois ans de combats acharnés, attend sa reconstruction.
Le pays a obtenu en février 30 milliards de dollars d’engagements de ses alliés pour remettre sur pied ses infrastructures déficientes, des promesses bien en-deçà des attentes de Bagdad.
Plus de 1,8 million d’Irakiens sont toujours déplacés, dont beaucoup vivent encore dans des camps, et huit millions ont besoin d’aide humanitaire, selon le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). «Si c’est ça la «victoire», il n’y a pas grand-chose à célébrer pour les millions d’Irakiens encore hantés par les crimes de l’EI et la longue guerre pour l’éliminer», souligne le secrétaire général du NRC, Jan Egeland.
«Tout est possible»
Si les violences ont baissé à travers l’Irak, la menace d’attaques demeure. Selon une étude récente du Center for Strategic and International Studies, le nombre total d’attaques de l’EI en Irak a baissé en 2018, mais celles visant des cibles gouvernementales ont augmenté par rapport à 2017. Certains observateurs s’inquiètent aussi d’une possible escalade de la lutte que se livrent les partis politiques.
«Avec ces divisions, tout est possible», estime M. Hanoun. Un conflit pourrait en l’occurrence opposer des factions chiites rivales, ce qui serait un «désastre», souligne-t-il, en référence à la communauté majoritaire en Irak. Mais Bagdad doit aussi s’attaquer à plusieurs fléaux qui ont provoqué l’été dernier des manifestations ayant dégénéré en violences meurtrières: la prévarication dans l’un des pays le plus corrompus au monde, les pénuries d’électricité et d’eau ainsi que la déliquescence des services publics.
Les leaders du mouvement de contestation ont menacé d’une reprise des manifestations si ces problèmes ainsi que le blocage politique n’étaient pas résolus.
«Il y a certainement un conflit au sein du camp chiite, mais le conflit le plus important c’est celui entre la population et le système tout entier», souligne Renad
Mansour.