L’angoisse monte chez les Afghanes éduquées, qui craignent un avenir assombri à mesure que le nouveau gouvernement des talibans leur ferme des portes pour le travail ou l’éducation, en affirmant avoir encore besoin de temps pour les y autoriser.
À 34 ans, Khaledi tenait un magasin de vêtements importés dans l’ouest de Kaboul. Trois jours après leur retour au pouvoir, à la mi-août, les talibans sont venus lui dire de fermer son magasin. «Ils m’ont dit que les femmes ne devaient être ni entrepreneuses ni vendeuses en magasin», explique-t-elle tristement à l’AFP. «Si j’étais morte, ce serait la même chose», soupire une ex-cadre du ministère des Affaires étrangères, interrogée par l’AFP. Elle dirigeait un grand service, où beaucoup de femmes travaillaient. «Aujourd’hui nous avons toutes perdu notre travail», dit-elle, sans donner son nom par peur de représailles. Les restrictions pour les femmes se multiplient ces jours-ci, fissurant le discours ouvert et apaisé affiché par les responsables talibans. Dimanche, le nouveau maire de Kaboul a annoncé qu’à la municipalité, les emplois des femmes seraient désormais occupés par des hommes. Samedi, le gouvernement a fait rouvrir les collèges et lycées pour garçons, mais pas ceux des filles. Les écoles primaires ont elles rouvert pour les deux sexes. Si les talibans ont annoncé que, contrairement aux années 90, les femmes pourraient étudier – mais séparées des hommes – dans les universités privées, il n’a rien dit pour les facultés publiques, qui sont toujours fermées. Le nouveau régime semble également avoir fermé le ministère des Affaires féminines, pour le remplacer par celui de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice, craint pour son fondamentalisme durant le premier règne taliban. Dimanche, un peu plus d’une dizaine de femmes ont brièvement manifesté devant le bâtiment pour réclamer de garder leur empois, avant d’être dispersées.
«Ce sera quand?»
Officiellement, les islamistes affichent depuis leur retour aux affaires un visage bien plus apaisé et ouvert que celui laissé par leurs prédécesseurs des années 1990, qui avaient horrifié l’Occident par leurs exactions et leur exclusion des femmes, souvent couvertes d’une burqa et interdites d’étudier et de travailler. Dans Kaboul et d’autres villes afghanes, ceux qui ont connu le régime des années 1996-2001 notent que les femmes sont aujourd’hui plus présentes, peu harcelées par les forces de sécurité et nombreuses à ne pas porter la burqa. «Ils ne sont pas comme avant, mais nous ne savons pas combien de temps ça va durer», observe une avocate de la capitale. «Aujourd’hui, nous pouvons nous déplacer seules», quand «nous devions être accompagnées d’un homme» lors du précédent règne taliban, remarque-t-elle. Mais le gouvernement, qui ne compte aucune femme, tarde à préciser ce qu’il compte leur autoriser dans bien des domaines de la vie quotidienne. Et cela leur fait craindre le pire. «Il semble que les talibans ne veulent pas que les femmes recommencent à travailler», s’inquiète une autre avocate. Après l’invasion occidentale et la chute des talibans première version à la fin 2001, les femmes ont acquis nombre de droits, devenant parlementaires, juges, pilotes, policières… mais principalement dans les grandes villes. Des centaines de milliers de femmes sont ainsi entrées dans le monde du travail, une question de survie pour celles que des décennies de guerre ont laissé veuves ou en charge d’un mari handicapé. Lorsqu’on les interroge sur le sujet, les responsables talibans affirment que les femmes doivent pour l’instant rester chez elles par souci de sécurité, et qu’elles pourront retravailler bientôt, mais séparées des hommes. «Mais ça, ce sera quand ?», demandait lundi une professeure, ajoutant: «Dans les années 90 aussi, ils disaient qu’ils nous autoriseraient bientôt à retourner au travail. Mais ça n’est jamais arrivé». D’autant que les pires rumeurs courent comme celle, démentie par les responsables talibans, que les islamistes marieront de force les femmes qui ne le sont pas encore. Comme plusieurs célibataires croisées par l’AFP, Khaledi dit «avoir peur» qu’on décide de sa vie pour elle, et espère «quitter le pays bientôt». A Hérat, la grande ville de l’ouest afghan, un responsable éducatif, Shahabudin Saqib, a assuré lundi à l’AFP que le retour en classe des collégiennes, lycéennes et professeures n’était qu’une question de temps. «Demain, la semaine prochaine, le mois prochain? On ne sait pas encore exactement quand», a-t-il indiqué. L’ONU s’est déclarée «profondément inquiète» pour l’avenir de la scolarisation des femmes en Afghanistan. «Il est crucial que toutes les filles, y compris les plus âgées, reprennent leurs cours sans plus attendre», a souligné l’Unicef. Marwa, 10 ans, a repris l’école à Herat, mais sa sœur de 16 ans doit rester à la maison. «Je veux que le nouveau gouvernement rouvre son école», lance-t-elle.