Le metteur en scène oscarisé Barry Jenkins a réalisé pour la plateforme Amazon «The Underground Railroad», une minisérie très ambitieuse sur l’esclavage et la condition afro-américaine, des thèmes qui restent brûlants aux Etats-Unis. Les dix épisodes, qui seront mis en ligne ce vendredi, sont l’aboutissement d’un projet pharaonique au service d’un sujet ultra-sensible dans ce pays, où le débat sur l’indemnisation des descendants d’esclaves a été relancé par le mouvement né de la mort de George Floyd. Financé par le bras vidéo du géant du commerce en ligne, le projet a nécessité 116 jours de tournage, dont certains ont coûté 1,5 million de dollars l’unité, selon le New York Times. Aux Etats-Unis, la série «Racines» («Roots», sortie en 1977) demeure la référence en matière de fiction sur l’esclavage, car elle fut la première à documenter longuement à l’écran cette période de l’histoire américaine. Depuis, de «12 Years a Slave» à «Amistad», en passant par «Birth of a Nation», plusieurs longs métrages ont installé, dans le sillage de «Roots», une représentation sans filtre de l’esclavage. Une rupture pour Hollywood, qui avait toujours, jusqu’ici, évité, édulcoré ou déformé le sujet. S’il s’inscrit dans ce mouvement, «The Underground Railroad» n’aspire pas à l’exhaustivité de «Racines», fresque historique étalée sur plus de 100 ans, mais plutôt à installer un climat. La maîtrise esthétique de Barry Jenkins, déjà à l’oeuvre dans «Moonlight» (Oscar du meilleur film en 2017) fait merveille, et avec dix heures de série environ, ce virtuose du non-dit peut se permettre de longs plans et des moments de silence. Le rythme est lent et ne conviendra pas à tous les publics, même si la diversification des séries, depuis vingt ans, a ouvert l’esprit de beaucoup de téléspectateurs.
Pour «mes ancêtres»
Connu pour sa sensibilité, le metteur en scène afro-américain plonge le téléspectateur dans l’horreur de la condition d’esclave, en suivant le parcours de Cora (Thuso Mbedu), jeune femme échappée d’une plantation de Géorgie mais sous la menace perpétuelle d’un chasseur de primes particulièrement zélé, nommé Ridgeway. La série est adaptée du roman éponyme de Colson Whitehead, prix Pulitzer 2017, qui laisse une part importante à l’imaginaire, notamment en transformant l’»Underground Railroad» – réseau de relais secrets destiné à faciliter le passage des anciens esclaves vers la liberté – en un vrai chemin de fer souterrain. Pas de date, pas de lieu précis, des communautés inventées, l’auteur a pris des libertés avec l’Histoire, pour souligner certains aspects des relations de l’époque entre Noirs et Blancs. Mais sans rien masquer de la sauvagerie de l’esclavage. «En voyant» que le roman «comportait cet élément fantastique et romantique, je me suis dit que c’était l’union parfaite entre le sujet et mon univers esthétique», a expliqué Barry Jenkins dans les notes de production. La violence est toujours là, en toile de fond implacable, mais le réalisateur de 41 ans n’en fait pas un spectacle. «Cet équilibre entre les images dures et douces», explique-t-il, «le besoin de dire la vérité sans être dévoré par sa barbarie, ça a été la tâche la plus difficile de ma carrière artistique.» Il dit s’être même posé la question de l’opportunité de filmer l’esclavage, dont l’imagerie «suscite depuis très longtemps la honte et le traumatisme». Sa famille et ses amis, qu’il a interrogés, lui ont «clairement signifié que je ne devais pas faire +Underground Railroad+», dit-il. Pourquoi persévérer? La réponse définitive lui est venue après le début du tournage, alors qu’il se trouvait dans un champ de coton en Géorgie, «écoutant mes ancêtres». «Cette série… est pour eux».