Les protagonistes ont refusé que la première session des négociations, suspendue lundi soir, se déroule en face-à-face. Les pourparlers devaient reprendre mardi.
Au milieu des tours futuristes d’Astana, la capitale moderne bâtie au cœur de la steppe kazakhe dans les années 1990, la première rencontre directe entre les rebelles et le gouvernement syrien, parrainée par les trois pays qui interviennent sur le terrain – la Russie, la Turquie et l’Iran – a tourné court. Seule la cérémonie d’ouverture, qui s’est ouverte lundi 23 janvier avec retard dans un hôtel luxueux, a permis de saisir une photo inédite, celle de 13 chefs militaires de l’opposition syrienne faisant face, autour de la même table, au régime de Damas. Mais, rapidement, le ton est monté, et les négociations se sont poursuivies à travers des portes closes, avec, d’un côté, la délégation du gouvernement syrien assistée par les Russes, et, de l’autre, les rebelles, avec les Turcs dans le rôle de messagers.
Les négociations, qui ont été suspendues peu avant 22 heures locales et reportées au lendemain, mardi, ont jusqu’à présent porté sur trois points : le fragile cessez-le-feu, l’acheminement de l’aide humanitaire et la libération de prisonniers.
Le cessez-le-feu
« Nous allons nous concerter, jusqu’à présent, rien n’a été conclu, nous avons juste de l’espoir », a annoncé Yahya Al-Aridi, porte-parole des rebelles. « Mais certaines personnes ne sont pas intéressées par le cessez-le-feu », a-t-il ajouté, en désignant, sans les nommer, les Iraniens. Dimanche, jusque tard dans la nuit, la « troïka » à l’origine de l’initiative a tenté de prendre les devants en préparant un protocole d’accord, hors la présence des belligérants. Mais d’entrée de jeu, lundi, les discussions ont achoppé sur le fragile cessez-le-feu mis en place par la Russie et la Turquie le 30 décembre 2016, chacune des parties se renvoyant la responsabilité des violations de la trêve. Les tensions se sont en particulier cristallisées autour de Wadi Barada, une localité proche de Damas, stratégique pour son approvisionnement en eau, où les combats ont repris. «Les négociations directes ne sont pas si importantes que cela, nous cherchons avant tout de la substance, des garanties», expliquait quelques heures plus tôt dans les couloirs Yahya Al-Aridi. Ces derniers, venus avec un document de dix pages, «précis au mètre près», selon un participant, sur les conditions de cessations des hostilités, mettent surtout en cause la présence des nombreuses milices «étrangères » – pro-iraniennes , dont ils dénoncent les exactions.
L’aide humanitaire
«Quand nous serons sûrs que le cessez-le-feu sera effectif, alors nous pourrons passer à une autre étape », a déclaré Mohamed Allouche, le chef de la délégation rebelle forte d’une cinquantaine de membres en tout, très irrité par « l’arrogance » du représentant du régime syrien, Bachar Jaafari, l’ambassadeur de Syrie à l’ONU, qui venait de désigner ses interlocuteurs comme des « bandes terroristes». «Après Alep, les Russes ne veulent pas d’une nouvelle bataille à Idlib [ville syrienne sous la coupe des djihadistes, où se sont réfugiés une partie des combattants d’Alep-Est], mais les Iraniens poussent à cela. Ils n’ont pas le même agenda, eux veulent aller jusqu’au bout», affirme de son côté Omar Kouch, un journaliste syrien proche des rebelles, installé à Istanbul.
Une vingtaine de villes syriennes resteraient assiégées par les forces de Bachar Al-Assad, soit 600 000 personnes dépourvues de tout – tandis que deux localités chiites pro-régime, Foua et Kefraya, le sont par des rebelles.
La libération des prisonniers
C’est le deuxième point sensible des pourparlers : l’aide humanitaire, qui ne parvient toujours pas aux civils, malgré les assurances contraires de Damas. En janvier, un seul convoi des Nations unies a pu traverser les lignes gouvernementales. Le troisième volet des pourparlers concerne la libération de prisonniers que les rebelles concentrent, pour le moment, sur la question des femmes et des enfants seulement. «Une liste précise de 30 000 noms, avec les lieux, a été présentée », assure Omar Kouch. «C’est l’un des sujets dont on parle le moins, mais tous ces points sont importants, et les aborder en un jour et demi semble totalement surréaliste», s’étonne un diplomate européen présent à Astana, qui, comme quelques-uns de ses pairs, assiste en spectateur, confiné dans les couloirs, aux discussions d’Astana. Seul l’ambassadeur américain au Kazaksthan, George Krol, en mission pour le compte de la nouvelle administration américaine de Donald Trump, a eu la possibilité de prononcer quelques mots lors de la cérémonie d’ouverture, assis sur un strapontin. Présent également, Staffan de Mistura, l’envoyé spécial de l’ONU sur la Syrie, joue pour sa part un rôle second d’intercesseur.« Les Russes ont toujours du mal à comprendre qu’il faut gagner les cœurs, mais les opposants, même s’ils ont reçu un grand coup sur la tête avec la perte d’Alep, restent déterminés, et la guerre peut continuer», observe le diplomate européen. «Le risque, poursuit-il, c’est que l’on cherche à imposer aux groupes armés un accord bancal qui serait ensuite avalisé par le Conseil de sécurité, comme Moscou aime le faire », ajoute-t-il. Les pourparlers, qui doivent reprendre à Genève, le 8 février, restent suspendus à l’issue des discussions d’Astana, qui devaient reprendre mardi en milieu de matinée.