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Syrie : Le camp de Al-Hol ou le syndrome de la pépinière à jihadistes

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Anarchie, violence, cul-de-sac diplomatique et avenir effrayant. Dans les camps de réfugiés en Syrie grandit une partie de la prochaine génération de jihadistes, comme jadis le Camp Bucca en Irak dopait l’émergence du groupe Etat islamique.

Ces dizaines de milliers de prisonniers, détenus dans des conditions déplorables au sein de structures aussi vastes que fragiles et mal sécurisées, comptent un grand nombre de femmes et d’enfants élevés dans la haine de l’Occident, et qui, selon les analystes consultés par l’AFP, devraient pour certains renforcer les rangs de la prochaine génération de combattants de l’islam sunnite ultra-radical. En février dernier, le général Kenneth McKenzie, chef du Commandement central de l’armée américaine (Centcom), évoquait avec inquiétude les 62.000 pensionnaires du camp Al-Hol, dont les deux tiers ont moins de 18 ans et plus de la moitié moins de 12. « Le risque à long terme est l’endoctrinement », déclarait-il. « C’est une évolution alarmante avec potentiellement des implications générationnelles. Et soyons clair, il n’y a pas de solution militaire », ajoutait-il, appelant à rapatrier les réfugiés et à soutenir les programmes de réhabilitation. Nul n’ignore le potentiel de nuisance du cloaque syrien. « C’est du capital humain piégé », résume pour l’AFP Craig Whiteside, professeur au Naval War College américain. A l’image d’autres observateurs, il craint que l’EI, toujours présent en Syrie, lance le moment venu un assaut contre le camp pour libérer les prisonniers.

Pépinière
« Ils veulent récupérer ces gens et attendent le bon moment », estime-t-il, assurant avoir vu des documents de l’EI budgétant des fonds pour « acheter » la libération de détenus. La structure, par sa seule existence, est par ailleurs un « superbe outil de propagande » pour le grand rival d’Al-Qaïda, ajoute l’Américain. Si elle peut dissuader certains de rejoindre la région de peur d’y être enfermé, elle fournit « un narratif selon lequel la guerre des musulmans contre (les Occidentaux) est multiforme ». La porte de sortie est d’autant plus ténue que le sujet brûle les doigts de la terre entière. Les Kurdes, notent les experts, finiront par se lasser de s’en occuper. Ni Bagdad ni Damas ne veulent en entendre parler. Et les pays d’origine des détenus, Occident en tête, rechignent pour beaucoup à les rapatrier et à les confier à leurs systèmes judiciaires respectifs. Quant aux services de renseignement, ils ont d’autres priorités et doivent développer d’importantes ressources pour comprendre ce qui se trame dans les méandres de ces excroissances para-urbaines, gangrénées par la violence et l’anarchie. La question « n’est urgente pour personne, sauf pour ceux qui voient les risques qui peuvent en émaner », regrette Yoram Schweitzer, ancien des services israéliens, en charge du terrorisme à l’Institut d’études sur la sécurité nationale (INSS) de Tel-Aviv. Le contexte dans lequel grandissent les enfants constitue pour lui une « pépinière » de jihadistes. Et l’expert d’ajouter à l’AFP : « Combien deviendront des terroristes ? C’est impossible à évaluer, mais cela (…) arrivera inévitablement ».

D’abord un « désastre humanitaire »
Le général McKenzie prévient: « on ne s’en débarrassera pas en regardant ailleurs ». On peut en revanche comprendre la réalité de la menace en regardant derrière. Car dans les années 2000, les Américains avaient détenu des dizaines de milliers de personnes au Camp Bucca, dans le sud de l’Irak. Dont d’anciens officiers de Saddam Hussein et des membres de son parti, le Baas. « S’ils n’étaient pas jihadistes en arrivant, beaucoup le sont devenus avant leur départ » du camp, écrivait en 2015 Will McCants, expert de l’islamisme militant. « Des manifestes jihadistes radicaux y circulaient librement sous les yeux d’Américains attentifs mais ignorants ». Abou Bakr al-Baghdadi, ex-chef de l’EI mort en 2019 dans un assaut américain, et son successeur Amir Mohammed al-Mawla, y étaient aussi internés. Et à sa libération en 2004, Baghdadi disposait d’un carnet d’adresses rempli, constatait McCants : « ils s’étaient notés leurs numéros respectifs sur l’élastique de leur sous-vêtement ». Rampe de lancement, incubateur, couveuse. Les qualificatifs abondent pour décrire Bucca comme Al-Hol, alors même que leurs contextes respectifs sont très différents. Al-Hol participe ainsi activement du financement de l’EI, ce que Bucca n’a jamais été en mesure de faire. Mais au delà du comparatif, Yoram Schweitzer insiste sur le drame essentiel qui se joue à Al-Hol: « c’est d’abord un problème de réfugiés détenus dans des conditions très dures et qui ont le potentiel de rejoindre les mondes criminel ou terroriste », estime-t-il, appelant à la dispersion des camps pour en finir avec ce « désastre humanitaire ». « C’est comme de l’eau stagnante qui deviendra bourbier », conclue-t-il. « Cela devrait être dispersé. Rien de bon ne peut en sortir ».

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