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STANISLAVSKI-BRECHT : L’ILLUSOIRE OPPOSITION

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En Algérie et à l’étranger, comme dans un certain nombre de thèses, on oppose souvent Brecht à Stanislavski sans interroger les contours de leurs expériences respectives ni l’évolution de leurs pratiques et de leur discours.

On s’arrête à l’ancien schéma proposé par Brecht dans ses « remarques sur « l’Opéra de Mahagonny » de 1931, « Le petit organon »(1948), « L’achat de cuivre »(1937-1951), omettant « La dialectique au théâtre »(1951-1956) et un certain nombre de ses lettres rédigées juste avant son décès en 1956. Certes, Brecht s’oppose fondamentalement au naturalisme et au positivisme, considérés comme des lieux privilégiés d’une lecture trop statique du monde et de l’Histoire, mais ne renie nullement les grandes transformations techniques et formelles proposées par un certain nombre de cinéastes comme Eisenstein (Le film, la forme, son sens ou la cinématique) ou de critiques littéraires (Les formalistes russes), mais également certaines manières de faire de Stanislavski qui était prisonnier du discours dominant de son époque déifiant l’idée de progrès héritée du 19ème siècle perçue comme espace exclusif de l’évolution humaine. Alors que Brecht avait une lecture dialectique de l’Histoire, Stanislavski se retrouve emprisonnée dans une vision quelque peu mécanique qui ne l’a pas, au niveau du théâtre, empêché de proposer une manière de faire qui arrivait à faire cohabiter participation et distancement, rejoignant ainsi le discours de Diderot dans « Paradoxe sur le comédien » qui insiste sur cet incessant va et vient entre le personnage comme copie illusoire de la réalité et le réel. Ainsi, contrairement à ce qu’avancent rapidement certains critiques européens, Brecht et Stanislavski se rencontrent dans plusieurs territoires. Les deux auteurs considèrent l’art théâtral comme un instrument de connaissance et un élément privilégié de prise de conscience, appelant une participation active du spectateur. C’est cette synthèse d’ailleurs que nous retrouvons dans les travaux de Vinaver et de Strasberg. Le distancement (je préfère ce mot à « distanciation » qui me parait peu précis pouvant suggérer une opposition factice avec l’identification) chez Brecht saisi comme un processus dialectique se retrouve, par endroits, dans le système Stanislavski. Voilà ce que dit Stanislavki à propos de l’interprétation du personnage : « jouer toujours votre propre personnage, vos propres sentiments » tout en percevant la réalité comme mouvement. Ce qui nous amène vers le débat Brecht-Lukacs sur la notion de réalisme, mais également sur cette mauvaise lecture du théâtre épique brechtien opposant réflexion et émotion, alors que chez Brecht (il le revendique d’ailleurs dans ses écrits) et Stanislavski, ces notions sont complémentaires, finissant par se muer en un paysage fusionnel. Une exploration attentive des textes de Stanislavski nous apprend qu’il n’a jamais cherché tels quels les conduites et les effets de l’émotion. Il ne faut pas oublier que, même s’il était marqué par les idées du scientisme de son époque, il était aussi influencé par le bouillonnement formel et politique de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième en Russie, incarné par l’émergence de grands mouvements formalistes et révolutionnaires. Nous retrouvons les traces de Bakhtine, Chklovski, Eisenstein, Poudovkine, Tchekhov, Gorki…Certes, la « mémoire affective » est un élément-clé, mais considéré comme processus mémoriel en mouvement. Ce qui unit Brecht et Stanislavski, c’est aussi la méthode des actions physiques qui se retrouvent prise en charge par les deux hommes. C’est vrai que la manière de travailler de Stanislavski est particulière : ne pas commencer par le « travail à table », mais plutôt en recourant à des exercices d’improvisation fondés sur des faits marquants de la trame dramatique. Pour les deux, ce qui importe, c’est l’expérience pratique, mais riche des enseignements quotidiens. La mémorisation du texte vient en dernier. Ainsi, Stanislavski, malgré ses attaches naturalistes, accorde une importance cruciale au « super objectif » et aux « super taches », résultant d’une quête et d’une tentative de compréhension de la logique des situations à partir de la manifestation des actions psychophysiques et verbales. Il est donc temps de relire Brecht et Stanislavski et de revoir leurs relations. Nos contacts et nos visites au Berliner ensemble à Berlin nous ont permis de cerner autrement les choses, en prenant essentiellement en considération les jeux de la réception.
Ahmed Cheniki

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