Accueil À LA UNE STADES FLAMBANTS NEUFS, RUES EN FLAMMES : La CAN 2025 en danger

STADES FLAMBANTS NEUFS, RUES EN FLAMMES : La CAN 2025 en danger

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Alors que le Maroc se prépare à accueillir la Coupe d’Afrique des Nations 2025, la rue marocaine gronde. Portée par une jeunesse connectée et en colère, la contestation questionne les choix du Makhzen, accusé de privilégier les stades au détriment des hôpitaux. Entre ambitions sportives et crise sociale, la CAF observe avec inquiétude.
À douze semaines du coup d’envoi de la CAN 2025, le climat est tout sauf serein au Maroc, pays hôte de cette édition symbolique. Dans les rues de Rabat, Casablanca et Marrakech, des milliers de jeunes manifestent depuis plusieurs jours, scandant leur colère face à un pouvoir qu’ils jugent déconnecté de leurs réalités. Leurs critiques visent directement le gouvernement conduit par Aziz Akhannouch, mais en filigrane, c’est tout le système du Makhzen qui est interpellé : une machine étatique accusée de privilégier son image internationale au détriment des besoins vitaux de la population. La Confédération africaine de football (CAF), bien consciente du prestige et des enjeux logistiques liés à cette CAN, garde pour l’heure le cap. Officiellement, le Maroc conserve la confiance de Patrice Motsepe et de son bureau exécutif. Mais, dans les coulisses du siège de l’instance au Caire, l’idée d’un plan B est déjà évoquée. Car l’onde de choc provoquée par les protestations ne cesse de croître et pourrait compromettre l’organisation d’un tournoi que le Royaume voulait irréprochable
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Une jeunesse en rupture
Le déclencheur des manifestations fut un drame : huit femmes enceintes mortes dans un hôpital public d’Agadir, faute de soins adaptés. Un événement qui a révélé, au grand jour, les failles d’un système de santé public exsangue. En parallèle, des milliards de dirhams sont injectés dans la rénovation et la construction de stades en vue de la CAN et du Mondial 2030. « Les stades sont là, mais où sont les hôpitaux ? », scandaient les jeunes dans les rues, transformant ce slogan en symbole d’une contestation plus large. C’est la génération Z, ces jeunes nés entre 1995 et 2010, qui porte cette révolte.
Organisés autour du collectif « GenZ 212 », né sur Discord, ils revendiquent « dignité et droits légitimes » et dénoncent des inégalités criantes. En quelques jours, ce mouvement a rassemblé plus de 120 000 membres, devenant une force politique informelle, difficile à contrôler par le Makhzen habitué à des structures plus traditionnelles.
Les premières manifestations se voulaient pacifiques, avec des sit-in, des slogans et des marches encadrées par les leaders du collectif. Mais la réaction des forces de l’ordre a marqué un tournant. Plusieurs vidéos, devenues virales sur les réseaux sociaux, montrent des fourgons de police fonçant sur la foule et écrasant des manifestants, d’autres captent des scènes de jeunes frappés à terre avant d’être embarqués. Ces images ont choqué l’opinion et attisé la colère. Rapidement, la rue a basculé. Dans certaines villes des véhicules de police ont été brûlés et des magasins pillés. D’autres vidéos montrent des affrontements directs, avec des manifestants lançant des pierres contre les forces antiémeutes. Pour beaucoup d’observateurs, cette escalade illustre un engrenage classique : une contestation sociale d’abord pacifique, qui dégénère en raison d’une répression jugée disproportionnée.

Football et vitrine internationale
Depuis deux décennies, le Maroc a fait du sport, et du football en particulier, un outil diplomatique et une vitrine internationale.
L’organisation de la CAN 2025 puis du Mondial 2030 aux côtés de l’Espagne et du Portugal devait symboliser cette ambition. Mais la contestation actuelle met en lumière les contradictions d’un État qui dépense sans compter pour séduire le monde, tout en laissant une partie de sa jeunesse sans emploi, sans perspectives et sans soins.
Selon le Haut-Commissariat au Plan, le chômage des jeunes Marocains atteignait 36,7 % en 2024, tandis que celui des diplômés s’élevait à 19,6 %. La promesse du Premier ministre Akhannouch de créer un million d’emplois en cinq ans semble aujourd’hui bien lointaine. Dans ce contexte, les grands chantiers financés à coups de milliards, comme le Grand Stade de Casablanca, apparaissent comme une provocation pour une société en quête d’équité et de justice sociale.

Un Makhzen fragilisé
La gestion des manifestations illustre la difficulté du Makhzen à composer avec une mobilisation d’un nouveau genre. Horizontal, spontané, ancré dans les réseaux sociaux, le mouvement GenZ 212 échappe aux canaux classiques de médiation.
Plutôt que de dialoguer, les autorités ont choisi la répression : dispersions violentes, arrestations massives, procès expéditifs. Mais cette fois, l’excès de violence documenté par des vidéos partagées en temps réel sur TikTok, Instagram et X (ex-Twitter) donne à la contestation une résonance mondiale et ternit l’image d’un royaume qui voulait se présenter comme modèle de stabilité. Pour beaucoup d’analystes, le pouvoir central fait face à un dilemme : continuer à privilégier l’image du Maroc comme puissance émergente tournée vers l’extérieur, ou bien réorienter ses priorités vers l’intérieur, en s’attaquant enfin aux fragilités structurelles de son économie et de ses services publics.

L’équation de la CAF
Pour la CAF, la situation est délicate. Changer le pays hôte à trois mois de la compétition serait un séisme organisationnel et financier. Les sponsors, les diffuseurs et les sélections nationales ont déjà planifié leur logistique.
Pourtant, si les troubles persistent, le risque sécuritaire pourrait devenir difficile à assumer. Et voir la CAN 2025 marquée par des heurts ou des arrestations massives ternirait durablement l’image du football africain. La CAF temporise donc, espérant que la colère s’apaise. Mais en arrière-plan, c’est bien une question de gouvernance qui se pose : le ballon rond peut-il encore servir de paravent aux contradictions sociales et politiques d’un pays hôte ?
En 2015, le Maroc avait refusé d’accueillir la CAN par crainte d’Ebola. En 2025, l’épidémie à laquelle il fait face est d’un autre genre : celle d’une jeunesse en rupture avec le Makhzen. La CAF devra bientôt trancher : la fête du football peut-elle se jouer sur un volcan social ?
Mohamed Amine Toumiat

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