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« SOUVENIRS D’UN VILLAGE MARTYR » DE CHERIF CHIKHI : L’enfant et l’enfer de la guerre

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Cette semaine, nous avons eu le plaisir de lire un livre qui retrace les grandes souffrances d’un enfant né dans la misère infligée par la colonisation et les larmes et le sang d’une guerre qui a fini par nous libérer de cette domination.
Sous le titre « guerre de libération nationale 1954-1962, souvenirs d’un village martyr », l’auteur, Chérif Chikhi, avait cinq ans lorsque les militaires français avaient décidé de chasser tous les habitants de son village, Azrou kollal, à Aïn El Hammam- wilaya de Tizi-Ouzou, avant de détruire toutes les maisons. « Azrou a été détruit le 19 octobre 1957, consécutivement à un accrochage, la veille, près du village, entre un groupe de moudjahidine et un bataillon de l’armée française », écrit Chikhi. L’armée coloniale agissait ainsi avec des centaines de villages lors de la guerre de libération nationale. « Pour couper les moyens logistiques » aux combattants de l’Armée de Libération Nationale qui opéraient avec le soutien total et inconditionnel de la population. Pour leur ravitaillement, pour leurs haltes et repos, pour les Renseignements, etc. Pour certains villages détruits, le déplacement forcé des habitants consistait à rejoindre l’un des « camps de regroupements » construits à cet effet et sous contrôle permanent de l’armée. Une prison sur le modèle des camps de concentration. Pour d’autres villages, les familles étaient sommées de déguerpir sans autre forme de procès.

De village en village
C’est ce qu’a subi la famille de l’auteur du livre. Lui et les siens se sont réfugiés chez ses grands-parents maternels au village Ikhlef Oussameur, situé plus bas. Lequel village fut à son tour démoli. Ce qui obligea la famille de l’auteur d’aller chez des cousins à Taskenfout un autre village. Ce sont ces horreurs de l’armée d’occupation que certaines parties françaises présentent comme une « œuvre civilisationnelle ». Il est aisé de deviner les frayeurs vécues par l’enfant et qui remontent, aujourd’hui, dans les souvenirs de l’auteur qu’il partage avec nous. Il y a dans l’œuvre de Chikhi quelque chose de Mouloud Feraoun et de Mohamed Dib lorsqu’il rappelle le dénuement dans lequel vivaient tous les algériens. En haillons et pieds nus en plein hiver. Tiraillés aussi par la faim que décrit admirablement Chikhi « grand-mère nous nourrissait de contes la nuit pour nous faire oublier nos ventres avant de nous mettre au lit » écrit-il en substance. J’ai apprécié particulièrement la fidélité de ce témoignage sur la condition des algériens lors de la colonisation. Certains parents racontent, aujourd’hui, le contraire à leurs enfants « pour leur éviter de nourrir des complexes » argument-ils. Alors ils s’inventent des ancêtres riches aux as, vivants dans un décor bourgeois où rien ne manquait, où l’on mangeait les meilleures choses. Sauf que dans leur mythomanie, ils oublient qu’il suffit de regarder des photos de l’époque pour s’apercevoir que les obèses n’existaient pas encore et que tous les algériens étaient plutôt chétifs. Cela suffit à les contredire. Et surtout cela dénonce les falsifications de l’histoire quel qu’en soit le motif. Fermons cette parenthèse et reprenons la lecture du « village martyr ».

L’enfant une fois adulte
Mais avant de continuer sur la trame du récit, prenons le temps pour présenter l’auteur. Après des études à l’ENA, Chérif Chikhi a occupé plusieurs postes au ministère des affaires étrangères. Avant de prendre sa retraite, il a été ambassadeur d’Algérie en Ukraine (1997-2004) ensuite ambassadeur au Vietnam (2009-2015). Une autre particularité qui mérite d’être citée est le lien de parenté, très proche, qu’il a avec Mouloud Mammeri, l’homme de lettres algérien qu’on ne présente plus. Ceci étant, vous allez dire comment un auteur peut-il rapporter des faits par le détail des évènements qu’il a vécu à l’âge de cinq ans ? En effet les souvenirs de Chikhi sont formés de flash et de cicatrices mémorielles qui ne permettent pas de construire un récit de bout en bout. Il lui a fallu fouiller, chercher, des archives, des témoignages des survivants, quelques fois au gré de ses rencontrent dans l’exercice de ses fonctions. Ensuite il lui a fallu rassembler toute ses « récoltes », les classer, les comparer, les rattacher, etc. Un travail de longue haleine qui lui a pris des années pendant les moments de loisirs. Un peu comme le petit poucet de la fable qui retourne chez lui en suivant les petites pierres qu’il avait semé. Une œuvre d’un grand mérite pour les familles des rescapés de ce village martyr ainsi que pour apporter un témoignage à l’histoire de la colonisation et de la libération de notre pays. On vous laisse découvrir ce magnifique récit, qui réveille chez le lecteur de fortes émotions et une meilleure connaissance de la famille algérienne pendant la guerre de libération nationale et vivant notamment dans la région d’Aïn El Hamam (anciennement Michelet) dans la wilaya de Tizi-Ouzou. A lire absolument.
« Guerre de Libération Nationale 1954-1962-Souvenirs d’un village martyr » Par Chérif Chikhi-Août 2024 aux Editions Dahlab
Zouhir Mebarki

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