La journée augure mal. D’abord, il est à peine 9h30 et l’air, que nous respirions, est si brûlant que notre chauffeur remonte les vitres et allume la clim. Lorsque nous arrivions à Sour-el Gozlane, ville située sur les Hauts-Plateaux et bénéficiant des programmes pour cette région désertique, le mercure grimpe à 40 °C. Est-ce une bonne idée d’avoir accompagné le wali dans sa visite dans ce chef-lieu de commune ? Nous commencions à nous le demander, en posant le pied sur ce sol rocheux. Parce que la journée s’annonce torride, il y a, hélas, un drame, un vrai. Et celui-ci a eu lieu alors que nous nous approchions de Aïn-Bessem, entre Sour-el-Ghozlane et Bouira. Presque à égale distance. Là, dans cette sorte de cuvette creusée par les eaux, un terrible accident venait de se produire. Un fourgon transportant des détergents a heurté un camion de plein fouet. Chassé par le choc inouï, le véhicule a fait un quart de tour avant de s’immobiliser. Le chauffeur est resté coincé à l’intérieur. Pour le dégager, des volontaires attaquent la ferraille qui l’emprisonnait à la scie à métaux. À côté du fourgon, un autre était couché sur le flanc, tandis qu’un véhicule de type express, apparemment indemne, a roulé sur une vingtaine de mètres avant de s’immobiliser. Un vrai miracle qu’il ait fait tout ce chemin sans se renverser. Cela, c’était sur notre droite, pendant que nous nous dirigions vers Sour-el-Ghozlane par Aïn-Bessem. Sur notre gauche, un autre miracle s’est produit : un tracteur équipé d’une remorque est tenu en équilibre au-dessus du fossé par la glissière qu’il a enfourchée. Il a voulu éviter le camion devant lui. Tout de suite, notre chauffeur a pensé que le conducteur du fourgon commercial était mort. La confirmation de cette nouvelle est tombée trois heures après, alors que le wali vient de poser la première pierre d’un CEM de 12 classes, et s’apprête à en faire autant pour un établissement en Secondaire, non loin de là. C’est dans ce climat déprimant que la visite de ce lundi a démarré.
Réalisation, aménagement et réhabilitation
Surmontant notre émotion, nous entrons dans une autre atmosphère, celle des chantiers en pleine activité. Le premier point est consacré à la réalisation de trois centres d’impôts presque achevés. Deux des huit lots sont encore en cours, pour un montant de 228 000 000 DA. Le second point comporte un grand nombre de projets entrant dans le cadre de la remise à niveau des routes nationales. On en a un portant achèvement de la RN8 reliant le quartier Djaïd, sur 3,14 km, pour un montant de 26 964 694,84 DA et un délai de 5 mois. On a encore celui du CW20 pour un montant de 6 609 330 DA, et un délai de 3 mois. Puis, il y a l’aménagement de la voie et du carrefour à hauteur des 300 logements en direction du CEM El-Djebsa. Le montant alloué est de 14 563 770 DA pour un délai d’un mois. Enfin, l’aménagement du boulevard de la RN8, pour éviter la ville, pour un montant de 205 445 003,56 DA, qui connaît un taux d’avancement estimé à15%. Tous ces projets, dont 4 en PCD, ont été présentés au wali à lOuest du chef-lieu. Six autres le seront à l’entrée de la cité Si-Hamidou, non loin de là.
S’agissant d’amélioration urbaine, c’est-à-dire d’aménagement, d’AEP d’assainissement, d’éclairage, de revêtement des rues, plusieurs opérations d’un montant estimé à 205 634 66,43 DA ont concerné la cité Hamidou, les quartiers d’El-Djebsa, de la gare, des 150 logements etc. Ces opérations s’effectuant en trois tranches, la deuxième est à un taux d’avancement estimé à 95%, tandis que la troisième est à 25%. Le wali n’a pas apprécié la cadence des travaux concernant cette dernière tranche. Les opérations de réhabilitation, d’aménagement et d’extension de l’hôpital, pour un montant de 80 millions de dinars, semblent, elles, suivre un bon rythme, car elles touchent à leur fin. Mais plus que la piscine qu’il vient d’ouvrir, que le stade qu’il vient de visiter, que le projet de CEM et de lycée, dont il vient de poser la première pierre, plus que tous les autres chantiers qu’il a inspectés, depuis ce matin, ce qui retient particulièrement le regard du wali, c’est le pôle urbain qui se développe au Sud, hors du mur d’enceinte de l’ancienne ville. Car, comme Bouira, Lakhdaria qui ont leur pôles urbains, Sour-el-Ghozlane a également le sien. Il comporte 10 225 logements, tous programmes confondus. Sur ce chiffre global, 8 088 logements sont achevés, 2 398 logements sont en cours, tandis que 1 400 logement attendent d’être lancés et 78 à l’arrêt. Des observations figurant sur les tableaux d’affichage signalent qu’un projet de 28 logements à Dachmia, (commune rattachée à Sour- el-Ghozlane), fait l’objet d’un changement de site, alors que celui 80 logements à Ridane (autre commune de Sour-el-Ghozlane) bute contre la ligne électrique qui traverse l’assiette foncière, octroyée, pour sa réalisation.
Le wali qui s’est fait expliqué le projet d’un institut national de formation supérieure paramédicale, et donné des instructions pour que les familles qui occupent le site soient relogées ailleurs, en a profité pour écouter, dans le détail, la restauration de la muraille de la ville.
Redorer le blason de l’ancienne Auzia
De fait, la ville a un blason, c’est celui du duc d’Aumale, dont elle porte le nom. Si l’on est un peu observateur, on peut, du jardin qui fait face au siège d’APC, voir les armes et la couronne dessinées au sommet de l’édifice. Cet édifice, le plus ancien avec l’hôpital et la sous-préfecture, portait le nom d’hôtel de ville au moment de la reconstruction de la ville, vers la fin du 19e siècle. Gravées à son fronton, on pouvait lire ceci : hôtel de ville 1887.
Mais la ville a un passé plus glorieux, encore. Son histoire remonte au temps où d’autres villes d’Algérie, comme N’djamena, Timgad ou Tipasa, rayonnait par leur civilisation sur un vaste territoire, encore aux mains de ce que les Romains considéraient comme des barbares. De nombreuses pierres bleues portant des inscriptions latines parlent de cette époque révolue. Jean Parès, un esprit curieux et un chercheur ayant vécu au temps où la ville se reconstruisait, et ayant écrit une historiographie de la ville, en a traduit quelques unes. Elles racontent les événements qui avaient, alors, marqué la vie politique et militaire de la ville. Aujourd’hui, ces pierres laissées sous le gel, la pluie, la chaleur se dégradent et pourront, un jour, disparaître avec les mines d’informations qu’elles constituent. Ce sont de précieux témoignages sur l’époque romaine.
La muraille qui s’élève tout autour de la ville n’est que la partie immergée de ce qui fut, il y a mille ans peut être, une brillante civilisation. Des fouilles archéologiques pourraient permettre de faire d’étonnantes découvertes sur cette civilisation disparue. Aussi, pensons-nous que restaurer ce mur d’enceinte, haut en certains endroits de plusieurs mètres, sans un travail de reconstitution de ce que fut vraiment l’ancienne Auzia, par le biais des fouilles archéologiques, n’aideraient pas beaucoup à la compréhension de cette époque.
Les travaux de restauration engagés pour relever les ruines de cet ouvrage, datant de l’époque coloniale, n’a d’autre mérite que de rappeler que cette fortification en pierres de tailles a été construite par le colon à l’emplacement exact de l’ancienne, qui fut, elle, bien romaine. Il y a également ce théâtre à la sortie est (porte de Sétif, et qui s’ouvre sur l’oued et la cité dite le Génie) qu’il est plus haut intérêt historique de mettre au jour par des fouilles archéologiques, et surtout de faire parler les pierres par des experts en latin, si l’on veut reconstituer totalement cette époque qui reste posée comme une énigme aux générations montantes.
Faire œuvre d’historiens
Il est un peu plus de 14 heures, lorsque le wali passant de l’ancien hôpital qui connaît plussieurs opérations de réhabilitation et d’extension arrive près de la porte sud en arc de triomphe. Le soleil est si chaud qu’on risquait l’insolation en ces jours. Le wali se fait d’abord expliquer les travaux qui ont concerné la muraille. Ce projet inscrit en 2006, au lendemain de la visite de l’ancienne ministre Khalida Toumi, d’un montant de 128 850 000 DA, et lancé en 2010, a permis de restaurer 1 700 km de la muraille qui fait 3 km. Comme l’ouvrage fortifié qui fait le tour de la ville comporte 10 bastions et 17 courtines, l’opération de restauration a permis de réhabiliter tous les bastions et 12 courtines. Pourquoi pas la totalité des 17 courtines ? Pourquoi les travaux n’ont concerné qu’une partie de la muraille ? On nous répond que le reste a disparu. Et alors ? Le travail des experts n’est donc pas de reconstituer ? Ce que des experts avec des moyens dérisoires ont pu réaliser en 1882 ou 83, à partir de rien : imaginer ce que fut l’ouvrage de fortification aux temps des Romains, et en élever un à sa place, c’est si difficile, donc, que des spécialistes ne peuvent, de nos jours, avec l’argent et les techniques, dont ils disposent, reconstituer une partie seulement, celle qui a disparu ? Parions que si demain le ministre de la Culture qui a visité dernièrement et qui n’a pu ne pas s’intéresser de près à ce site décidait de reconstituer la partie perdue, on ne verrait pas un, mais dix, vingt experts qui offriraient leur talent et leur génie en la matière. Le problème aujourd’hui ne semble pas là. Il est dans les treize familles qui occupent le site. Cette occupation illicite empêche les travaux de restauration concernant les trois portes sur les quatre d’avancer. Le wali a fait lever l’obstacle en décidant de reloger les familles en question, hors de l’enceinte, soit dans le cadre du logement social, soit dans le cadre du RHP. Et là, une question : pourquoi se résigner si vite à la perte de la quatrième porte ? Certaines sources la situaient à l’Ouest. Et parce qu’elle avait été à l’Ouest, on la désignait par l’expression, impropre à notre avis, de porte de Médéa. Pourquoi pas porte de Djouab ? Ou pour rester dans le contexte historique, Rapidium, comme on appelait, ainsi, ce petit village qui était sans doute une ville presque aussi importante qu’Auzia, à l’époque romaine ? Médéa n’existait peut-être même pas à cette époque. En tout cas, pas sous ce nom. Mais les trois portes qui restent à restaurer ne s’appelaient pas davantage ainsi : porte d’Alger, au nord, porte de Boussâada, au sud, et porte de Sétif, à l’Est. Se livrant à un travail de reconstitution, les dits experts ne devraient-ils pas se faire retrouver à ces lieux leurs anciennes appellations? C’est ce qui s’appellerait faire œuvre d’historien. Il y a bien un Festival d’Auzia, mais ce rendez-vous culturel s’attache plus au côté folklorique de la région qu’à la mission de faire le passé de cette ville antique. Pendant que les pierres aux inscriptions latines subissent l’action dégradante des intempéries un peu partout au coin des rues, on assiste à une mise en scène qui occulte la dimension historique du site.
Auparavant, le wali s’est fait présenté l’étude d’un institut national de formation supérieure paramédicale. La visite s’est poursuivie jusqu’à 16 heures, le wali prenant le temps d’écouter les citoyens venus exposés leurs préoccupations, comme à la cité Mébarki-Saïd. Sur le chemin du retour, à la sortie est de la ville, il a marqué encore une pause pour visiter les anciennes galeries algériennes désaffectées. Le premier responsable compte les aménager en équipements publics. Ce dernier point ne figure pas sur le programme, et montre combien les visites du wali sont longues au point que, parfois, la journée ne suffit plus.
Ali D.