Des milliers de personnes manifestent samedi au Soudan contre le général putschiste Abdel Fattah al-Burhane, décidées à remettre la transition démocratique sur les rails malgré cinq jours de répression meurtrière.
ÀKhartoum comme dans l’est du pays, les cortèges scandaient des slogans contre l’armée à l’occasion de cette «manifestation du million», ont indiqué des témoins alors que les forces de sécurité quadrillaient la capitale, bloquaient les ponts et fouillaient passants et voitures. «Nous voulons un régime civil et nous n’accepterons pas cette fois le partage avec les militaires, il faut qu’il soit 100% civil», a affirmé à l’AFP Hachem al-Tayeb, un manifestant dans le sud de Khartoum. La réponse de la junte, alors que neuf manifestants ont déjà été tués et plus de 170 blessés depuis lundi, selon des médecins, sera scrutée dans le monde entier, a déjà prévenu un haut responsable américain qui estimait lui entre 20 et 30 le nombre des victimes. «Ce sera un vrai test sur les intentions des militaires», a-t-il dit. Mais le risque d’un nouveau bain de sang dans un pays miné par les conflits n’entame en rien la détermination des manifestants, assure à l’AFP la militante prodémocratie Tahani Abbas. «Les militaires ne nous dirigeront pas», affirme-t-elle à l’AFP. Et la «manifestation du million» promise sur les réseaux sociaux et par des graffitis sur les murs de Khartoum – où les autorités ont coupé l’internet et le réseau téléphonique – n’est qu’un «premier pas». Car dans un pays dirigé quasiment sans interruption depuis 65 ans par des militaires, la rue a décidé de dire non au général Burhane qui a dissous lundi les institutions du Soudan et arrêté la plupart des dirigeants civils.
Violence
«Non au régime militaire» et «Nous ne retournons pas sur la liste (américaine) des pays soutenant le terrorisme», scandaient les manifestants inquiets de voir Khartoum réinscrit sur cette liste «noire» de Washington, sur laquelle il figurait jusqu’en 2020 et qui lui a valu de lourdes sanctions économiques durant des années. Cette semaine, les Etats-Unis comme la Banque mondiale, exigeant le rétablissement du gouvernement civil, ont suspendu leur aide financière à Khartoum, vitale pour le pays asphyxié par une inflation galopante et une pauvreté endémique. L’Union africaine a, elle, suspendu Khartoum et le Conseil de sécurité de l’ONU a exigé le retour des civils. Au milieu des fumées émanant de pneus brûlés dans l’est de Khartoum, les pancartes des protestataires affichent «pas de retour en arrière possible», un slogan faisant allusion à la révolte qui a renversé Omar el-Béchir, un général lui-même arrivé au pouvoir par un putsch 30 ans plus tôt, au prix de six mois de mobilisation et plus de 250 morts. D’autres manifestants ont brandi des portraits du Premier ministre déchu et assigné à résidence Abdallah Hamdok, appelant à «ne pas renoncer». Depuis lundi, les Soudanais sont entrés en «désobéissance civile», juchés sur des barricades et devant faire face aux balles réelles en caoutchouc et aux grenades lacrymogènes des forces de sécurité. La télévision d’Etat, prise d’assaut par l’armée au premier jour du coup d’Etat, diffuse elle des témoignages de soldats portant des pansements à la tête et se disant victimes de violences des manifestants. Malgré tout, assure Mme Abbas, «notre seule arme, c’est le pacifisme et elle a déjà payé». «Nous n’avons plus peur». Jibril Ibrahim, ancien chef rebelle et ministre des Finances ayant soutenu un sit-in pro-armée avant le coup d’État, a déjà prévenu: «Détruire des biens publics n’est pas une manifestation pacifique», a-t-il tweeté. «Les putschistes essayent (…) de trouver un prétexte à un déchaînement de violence», accuse déjà le porte-parole du gouvernement renversé lundi sur Facebook. Mais, met en garde Amnesty International, «les dirigeants militaires ne doivent pas s’y tromper: le monde les regarde et ne tolèrera pas plus de sang». De nouveau samedi, l’émissaire britannique Robert Fairweather a exhorté la Sécurité soudanaise à «respecter la liberté et le droit d’expression», tandis que le chef de l’ONU Antonio Guterres enjoignait «les militaires à ne pas faire davantage de victimes».
Expérience
Le putsch de lundi a coupé court aux espoirs d’élections libres fin 2023 et plongé le pays, au coeur d’une région déjà instable, dans l’inconnu. La quasi-totalité des dirigeants civils, qui siégeaient avec M. Burhane et d’autres militaires au sein des autorités de transition, sont toujours retenus.
Ils ont été emmenés lundi à l’aube par des soldats avant que le général Burhane n’annonce la dissolution de l’ensemble des institutions du pays. Il y a neuf jours déjà, des dizaines de milliers de Soudanais avaient défilé au cri de «Burhane, quitte le pouvoir !». Un événement qui a probablement précipité le cours des choses, le général seul aux manettes aujourd’hui prétextant avoir agi lundi pour empêcher «une guerre civile». Mais aujourd’hui, affirment des experts, forts de l’expérience de 2019, les manifestants sont mieux organisés.