Dans cet entretien, le président de l’ACE, Smaïl Lalmas, nous livre ses impressions sur la tenue de la conférence nationale sur le commerce extérieur, prévue les 30 et 31 mars prochains. Cette rencontre qui se tient dans une conjoncture un peu spéciale est marquée par des changements dans le commerce mondial, et surtout dans l’économie nationale. Lalmas ne cache pas son pessimisme quant aux résultats de cet événement, estimant par là même que cette initiative, comme d’autres, est sans lendemain, pour la simple raison qu’il n’y a pas de réflexion sérieuse autour du sujet, ni de concertation avec les véritables acteurs, en argumentant ses dires par des exemples qu’il a présentés dans ses réponses. Concernant la promotion des exportations hors hydrocarbures, le président de l’ACE trouve que le Conseil national de la promotion des exportations pourrait être utile à condition, selon lui, de revoir sa composition.
Le Courrier d’Algérie : -La conférence nationale sur le commerce extérieur, prévue les 30 et 31 mars, revêt une grande importance pour certains, alors que d’autres la considèrent comme un non-événement. De quel côté vous vous positionnez, et pourquoi ?
Smaïl Lalmas : Avant tout, je tiens à déplorer le manque, ou l’absence, quasi-total de communication autour d’un événement d’une importance stratégique pour une activité qui peine à décoller, et ce, depuis des dizaines d’années. Algérie Conseil Export «ACE» est une association qui regroupe un certain nombre de conseillers et de formateurs de haut niveau aux métiers de l’export, et d’universitaires dont la majorité a bénéficié des différents programmes de formation initiés par le ministère du Commerce avec des partenaires étrangers. Dans le contexte de cette conférence, l’ACE, cette association riche en expertise, qui devrait jouer un rôle important en matière d’accompagnement et de conseil auprès de ce ministère, à 10 jours de la tenue de la conférence, n’a été conviée à aucun moment pour prendre part à cet événement. Pour ceux qui considèrent cette conférence, comme un non-événement, je les comprends parfaitement, parce qu’on nous a habitués à ce genre d’initiatives qui, à vrai dire, revêt plus un aspect spectaculaire, médiatique qu’autre chose ; c’est juste une occasion pour faire accroire à l’opinion publique qu’on travaille, sans plus, c’est donc de la poudre aux yeux. Sur la presse, le ministre dit, en parlant de cette conférence, lors de l’une des rares interventions sur ce sujet, que c’est une opportunité pour débattre des contraintes rencontrées par les exportateurs ; il doit comprendre que l’Algérie n’existe pas depuis 2015, et le problème de l’export non plus. La première action à mener par le ministre du Commerce, c’est de prendre en charge, avant tout les disfonctionnements, avant de projeter d’autres actions; je citerais l’exemple de la gestion catastrophique du FSPE, le Fonds de soutien aux exportations, on en parle depuis des années, mais rien n’a été fait. Même dans les recommandations des différentes tripartites, il a été proposé de rattacher ce Fonds à Algex pour le rendre plus accessible à tous les exportateurs, sans distinction aucune. Ce sont à vrai dire des initiatives sans lendemain, pour la simple raison qu’il n’y a pas de réflexion sérieuse autour du sujet, ni de concertation avec les véritables acteurs, tout en vous rappelant, au passage, que fin 2013 un projet similaire sur l’export devait voir le jour au niveau du ministère de l’Industrie, cette fois-ci, tenez-vous bien, initié par l’actuel ministre du Commerce qui était à la date évoquée à la tête de l’Industrie. Finalité, à mon avis, c’est plus une méthode de travail d’un ministre qu’une action stratégique qui répond à un constat.
La promotion du commerce extérieur, en particulier les exportations hors hydrocarbures, a été depuis quelques années l’une des priorités du gouvernement. les professionnels estiment que la majorité des mesures annoncées dans ce sens n’ont pas été concrétisées sur le terrain. Pourquoi cette situation à votre avis ?
Le commerce extérieur est victime de l’absence de vision, et aussi de l’absence d’une entité bien identifiée pour son développement. Je vous rappelle que lors d’une des dernières interventions du Premier ministre, il avait abordé la nécessité de prendre en charge sérieusement ce sujet, c’est-à-dire le commerce extérieur, sous ses trois aspects, notamment le développement des exportations hors hydrocarbures, la gestion et la régulation des importations, et l’attrait des IDE. L’engagement verbal à lui seul ne suffit pas, il est temps, à mon sens, de joindre les paroles aux actes, nous voulons du concret. La prise en charge des trois axes du commerce extérieur que je viens de citer est stratégique pour notre économie, mais comment réussir à les développer, si vous n’avez pas d’entité bien identifiée, pas de stratégie, vous n’avez pas de vision bien claire et vous n’avez pas les hommes qu’il faut pour réussir ce triple défi. Il serait opportun de mettre en place de nouvelles mesures, initiées dans le cadre d’une stratégie, et non pas, une fois de plus, des actions ou mesures isolées, pour booster nos exportations, faut-il encore qu’elles soient prises sur la base d’une large concertation avec les différents acteurs économiques et spécialistes, sur la base d’un diagnostic sérieux.
Plus d’une soixantaine de recommandations pour le développement du commerce extérieur ont été annoncées lors de la tripartie de 2011, et même celle de 2014. Qu’en est-il de ces recommandations ?
On ne mesure pas la pertinence des recommandations par son nombre, mais plutôt par leur efficacité. Si l’on prend l’axe exportation hors hydrocarbures, il y a, effectivement un certain nombre de mesures de facilitations qui sont opérationnelles, mais qui demeurent malheureusement, difficilement accessibles. La bureaucratisation de ces mesures a fini par rendre l’acte d’exporter si contrariant que beaucoup d’opérateurs, découragés, se sont rabattus sur le marché domestique, limitant leur activité à la satisfaction de la demande intérieure. Au même moment, d’autres pays avec moins de moyens que nous font de l’export une priorité nationale, mettant en œuvre tous les moyens humains et matériels pour mieux se positionner à l’international. Les recommandations, il y en a eu, et il y en aura toujours, mais sans résultats, il faut s’attendre aussi à un autre lot à la fin de la conférence nationale sur le commerce extérieur. Nous devons lancer une réflexion sérieuse sur le commerce extérieur, faire un état des lieux, en associant des compétences nationales, et pourquoi pas internationales, pour mettre en place une stratégie née d’un effort de consultation et concertation avec les différents ministères, operateurs, associations. Bref, les différents acteurs économiques sous la conduite d’une tutelle identifiée.
Certains appellent à l’activation du conseil national de la promotion des exportations hors hydrocarbures, d’autres semblent se désintéresser de cette idée. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, c’est une revendication qui date depuis des années, il s’agit d’un conseil composé des ministres du Commerce, de l’Industrie, des Transports et de l’Agriculture, présidé par le Premier ministre, structure lourde, à mon avis, sachant qu’il est question de se réunir deux fois par an. Honnêtement, je ne vois pas l’utilité de ce genre de structure, nous avons besoin plutôt d’une entité qui gère les problèmes de l’export au quotidien et non deux fois par an. Cela dit, ce genre de conseil, ou comité interministériel, pourrait être utile à condition de revoir sa composition, et la limiter à des représentants des différents ministères impliqués dans l’activité export, pour plus de souplesse, sans oublier les représentants d’associations un comité riche en expertise qui pourrait jouer le rôle de conseil, de suivi et de soutien à la politique menée par le gouvernement, via un ministère du commerce extérieur.
Par ailleurs, je vous signale l’existence d’une commission du partenariat et de la promotion des exportations au sein du Conseil national consultatif pour la promotion des PME «CNC-PME» ; vous voyez qu’on a déjà un conseil, il faut évaluer son travail avant d’en créer un autre.
Êtes-vous confiant quant ux résultats qui vont découler de cette conférence nationale ?
Vous savez, il y a nécessité de diversification de l’économie nationale pour développer les exportations hors hydrocarbures, il y a nécessité de réguler et de contrôler nos exportations, il y a nécessité de créer un environnement des affaires compétitif pour attirer les IDE, et surtout créer les conditions pour que ces IDE soient profitables, afin de développer notre économie, notamment nos exportations. Aujourd’hui, je n’ai pas beaucoup d’éléments au sujet de cette conférence, mais ce qui est sûr c’est que avec les mêmes hommes et les mêmes méthodes on aboutira forcément aux mêmes résultats, il y en a eu des conférences, et je suppose qu’on aura encore droit à ce genre d’initiatives ; donc il ne faut pas s’attendre aux résultats escomptés. Le gouvernement algérien se plaint de sa performance économique, de sa dépendance aux hydrocarbures, mais ne fait rien pour redresser cette fragilité, il se plaît à organiser quelques actions médiatiques pour la consommation interne, au lieu d’aller vers des solutions concrètes et efficaces malgré tous les moyens dont il dispose. Notre gouvernement persiste dans sa médiocrité et s’entête dans cette détermination.
Entretien réalisé par I. B.