La présidente du Croissant-Rouge algérien (CRA), Saïda Benhabylès abordera, tout au long de cet entretien, l’action de solidarité et humanitaire du CRA en ces temps de Covid-19, laquelle a été « efficace », selon son expression, grâce à l’anticipation et la formation des formateurs, bien avant le signalement, mi-février dernier, du premier cas infecté en Algérie.
Entretien réalisé par Karima Bennour
Avec la mobilisation de plus de 20 000 bénévoles du CRA, Mme Benhabylès salue l’élan de solidarité « extraordinaire » de la jeunesse algérienne de divers profils ainsi mobilisée, de l’étudiant au jeune chômeur. Un maillon important de la chaîne du front de lutte contre la propagation du Covid-19 et ses conséquences, notamment socio-économiques sur les personnes et les familles vulnérables. Ces derniers, affirme la présidente du CRA, « méritent d’abord tout le respect et auxquels on doit accorder un intérêt particulier pour la simple raison que ce sont eux les premières victimes de toute situation difficile ou de crise ».
Le Courrier d’Algérie : Le Croisant-Rouge algérien dispose d’une riche expérience en matière d’intervention rapide et d’actions de solidarité en situations difficiles telles les catastrophes naturelles. Qu’en est-il de ce rôle dans une situation nouvelle et exceptionnelle générée par l’urgence sanitaire du Covid-19, une première dans le monde, comme chez nous, notamment depuis l’apparition du premier cas en Algérie ?
Mme Benhabylès Saïda : Ce qu’il faut retenir, c’est que depuis le début de l’année et l’apparition du Covid-19 en Chine, le CRA a pris ses dispositions en tant que membre de la communauté internationale humanitaire. Nous avons pris contact avec la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, basées à Genève, pour leur demander de nous envoyer des experts pour former des formateurs dans la gestion des catastrophes. Et, c’est ce qui a été fait dès janvier dernier. Deux experts sont venus, en effet, en Algérie, ce qui nous a permis de former des formateurs dans la gestion de situations de catastrophes. Je vous rappelle qu’en cette période, le virus Covid-19 n’avait pas atteint des pays, dont le nôtre. N’empêche nous avons anticipé en prenant éventuellement nos dispositions. Suite à cela, après le départ des experts, nous avons entamé des cycles de formation plus élargis, répartis dans quatre régions du pays. Nous avons organisé, dans ce cadre, des ateliers au Sud, à l’Est, à l’Ouest et au Centre du pays, pour dispenser la formation à d’autres bénévoles dans les régions que je viens de citer, pour éventuellement faire face à toute situation d’urgence humanitaire risquant de se manifester.
C’est ainsi que dans le cas de la propagation du virus Covid-19 à travers le monde, touchant même notre pays, sur le plan des capacités humaines, notamment en matière d’élaboration de programmes et d’actions du CRA, les campagnes de sensibilisation, les réponses aux besoins et demandes en lien avec l’épidémie du Covid-19, du personnel de la santé au simple citoyen à travers le pays, le CRA était prêt à jouer son rôle pleinement, avec notamment plus des 20 000 bénévoles présents à travers le pays, pour lutter contre le Covid-19 et répondre aux attentes des citoyens, notamment ceux des régions enclavées et éloignées de notre vaste pays. De ce fait, dès que le virus est apparu chez nous, nous avons pris nos dispositions encore une fois par anticipation. Et, ce que je viens de vous dire sur la formation, cet acquis nous a permis d’entamer dans les temps nos actions, notamment celles en lien avec la sensibilisation contre le Covid-19 et répondre aux besoins en matière de solidarité et action humanitaire qu’impose l’urgence sanitaire, d’ailleurs, à ce jour. Ce qui est important de savoir, c’est que le CRA cible dans ses actions les zones et les régions les plus sensibles, enregistrant un nombre non moindre des couches les plus vulnérables. Pour être plus précise, à ce propos, il s’agit des régions du Sud, de l’extrême Sud, les Hauts-Plateaux, comme on les appelle chez nous, au CRA, « les gens qui souffrent en silence».
– Les expériences passées du CRA et les vôtres Mme Benhabylès, notamment en matière d’aide et d’accompagnement des personnes vulnérables, pour ne citer que votre expérience dans le soutien et l’accompagnement de la femme rurale et des familles des zones enclavées, ont-elles été capitalisée pour une meilleure intervention du CRA sur le terrain, en ces temps durs de Covid-19, notamment dans les zones éloignées et enclavées ?
-En premier lieu, la première leçon et la plus importante que j’ai tirée de ma modeste expérience, c’est que ces personnes méritent d’abord tout le respect et auxquelles on doit accorder un intérêt particulier, pour la simple raison qu’elles sont les premières victimes de toute situation difficile ou de crise, qu’elle soit sécuritaire, comme ce fut le cas durant les années du terrorisme, économique et autres. D’autant plus qu’après, ou avec les situations difficiles auxquelles elles continuent d’être confrontées et ces populations manifestent fortement leur attachement à leur pays. Je veux aussi préciser que ces Algériens des régions enclavées et éloignées ne monnayent pas leur attachement fort au pays par rapport à ce que le pays leur offre. Leur lien avec l’Algérie dépasse largement les considérations de conformabilité ou des conditions de vie minimes. C’est pourquoi il faut aller vers davantage de prise en charge en matière de développement socioéconomique dans les régions éloignées de notre Grand Sud et les Hauts-Plateaux.
Et je vous informe que mon travail de proximité avec la femme rurale me permet, à ce jour, de dégager et de mener des actions du CRA, notamment en ce temps durs du Covid-19, ciblant des villages éloignés, dont ceux situés dans la région des Aurès, au Sud du pays, jusqu’au zones frontalières. D’ailleurs, ce que nous avons constaté dernièrement, c’est que, certes, ce sont des populations à sensibiliser contre le virus. Vu leur situation sociale difficile, elles n’ont pas les moyens suffisants pour l’achat de produits d’hygiène, désinfectants et autres, en plus dans la durée, en raison de la persistance de la situation du Covid-19. Il a fallu mener des actions allant de la sensibilisation contre la propagation du virus à la distribution de ces produits.
Et comme nul n’ignore que l’immunité de la personne est importante pour résister à la maladie, il faudrait pour cela que la personne se nourrissent bien de légumes et de fruits pour booster cette immunité. Et souvent, ce n’est pas possible pour les familles souffrant de conditions sociales difficiles et même précaires pour d’autres. D’où la distribution par nos équipes, depuis février dernier, de denrées alimentaires pour ces familles à travers le pays, dont les régions enclavées bien sûr. On consent ainsi des efforts de notre côté pour jouer notre rôle en cette situation de Covid-19, contribuant ainsi aux autres efforts des pouvoirs publics et de la chaîne citoyenne de soutien et de solidarité qui, sans surprise, a été encore cette fois-ci à la hauteur dans ce combat contre ce nouveau virus, lequel a bouleversé les peuples du monde entier.
-Le CRA a et continue de mener ces actions en cette période d’urgence sanitaire du Covid-19, notamment celles qu’il organise avec des partenaires locaux et étrangers. Ont-ils été nombreux à se manifester devant les portes du CRA ?
-Vu que nous ne bénéficions pas de subventions des pouvoirs publics, nous avons lancé un appel à nos partenaires traditionnels, et nous avons eu l’agréable surprise de voir d’autres également répondre à notre sollicitude, y compris le simple citoyen. C’est une fierté que de voir ainsi l’expression de la confiance à l’égard du CRA, dans cet élan de solidarité, qu’il soit populaire, celui des entreprises algériennes et aussi étrangères installées en Algérie, ou bien de nos partenaires, des organisations humanitaires, telles la Croix-Rouge chinoise et aussi l’Association des Commerces Chinois en Algérie. C’est ce qui nous a davantage aidé à augmenter nos capacités en moyens pour aller encore plus loin dans nos réponses aux besoins exprimés pour faire face la situation du Covid-19 et lutter contre sa propagation.
Parmi les actions que nous avons menées avec nos partenaires chinois, le renforcement des capacités en matière de moyens médicaux, notamment des pouvoirs publics, pour ne citer que la remise à la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH) de 500 000 masques et 10 000 kits de test. Aussi, dimanche dernier, dans le cadre de l’action de solidarité et de lutte contre le Covid-19, le CRA avec l’aide de Ooredoo, a acheminé un lot d’équipement médical d’une valeur de 2,5 millions de DA, composé de respirateurs et de lits vers l’hôpital de Boufarik, dans la wilaya de Blida.
– En plus de 20 000 bénévoles du CRA à travers le pays, mobilisés en cette période difficile du Covid-19, l’élan de solidarité du peuple algérien, particulièrement sa jeunesse, a été davantage remarquable. Que pourriez-vous nous en dire ?
-Pour parler de l’élan extraordinaire de notre jeunesse à travers le pays, qui s’est mobilisée et a renforcé le front contre le Covid-19, je citerais, à titre d’exemple, des étudiants, des chômeurs, des juristes, le Conseil de l’ordre des avocats ou celui des médecins, le FCE, et tant d’autres de divers horizons, qui ont pris attache avec le CRA, proposant leurs services pour apporter leur contribution, en association avec le CRA. Il y a eu aussi, je tiens à le dire, des citoyens anonymes, dont beaucoup de femmes au foyer, proposant de mettre à contribution leur savoir-faire, notamment dans la confection des masques, dans cette bataille contre la propagation du virus. Nombreuses étaient, et le sont encore à ce jour, ces femmes qui ont décidé de se mettre à notre disposition pour confectionner des masques avec la matière première que leur fournit le CRA.
Par ailleurs, je saisis cette occasion pour dire à ces milliers de jeunes mobilisés dans l’action de solidarité de maintenir cet élan dans la durée, pour être davantage performant et efficace dans l’action solidaire. Cet élan, je dois le dire, ne doit et ne devrait pas être un feu de paille avec la fin de l’épidémie du Covid-19 ou bien avec la fin du mois sacré. Comme nous le constatons chaque année, cet élan se dissipe après la fête de l’Aïd. Il ne faudrait pas faire dans la solidarité conjoncturelle, c’est là où réside le problème. Et, de mon côté, depuis 2014 je ne cesse de lancer cet appel sur la base des leçons tirées des catastrophes naturelles que le pays a connu.es Au sein du CRA, nous prônons, pour enrichir la culture de solidarité, que celle-ci doit être menée quotidiennement et dans la durée. Et c’est là que rentre en jeu la différence et la complémentarité entre la politique de solidarité de l’État, à travers les instruments qu’elle dégage et la culture de solidarité et de l’action de la société civile, du CRA et de la population et que l’ensemble de ces actions et les maillons de la chaîne de solidarité se complètent. L’un ne peut réussir sans l’autre, ce sont les maillons d’une chaîne de solidarité et de l’action humanitaire.
K. B.
* Lisez la 2ème partie dans notre édition de demain.
Pour la suite de l’entretien, justement, la présidente du CRA abordera les perspectives de développement de l’action humanitaire en direction des régions enclavées et des personnes vulnérables pour en finir avec la solidarité conjoncturelle. Aussi, Mme Benhabylès parlera des perspectives de partenariat régional entre le CRA et la Croix -Rouge des pays du Sahel, des actions de soutien et de solidarité en direction des réfugiés sahraouis et du peuple libyens, mais aussi des perspectives de partenariat plus pertinent avec Pékin, notamment avec la Croix-Rouge chinoise etc.