Les couteaux sont dégainés entre la présidente brésilienne de gauche, Dilma Rousseff, et son rival de centre droite Aecio Neves, à une semaine du second tour de la présidentielle la plus disputée de l’histoire récente du géant d’Amérique latine. Les 142,8 millions d’électeurs appelés dimanche prochain aux urnes, apparaissent scindés en deux blocs égaux et hostiles, dans la plupart des cas en fonction de leur appartenance sociale. Rousseff et Neves sont au coude-à-coude dans les sondages. Et à chaque débat télévisé le ton monte entre l’ex-guérillera de 66 ans, torturée sous la dictature, et l’ancien gouverneur de l’Etat de Minas de 54 ans, un pur produit de l’élite brésilienne à la jeunesse dorée. Jeudi soir, les deux candidats se sont accusés sans répit de «népotisme», «mensonges», «incompétence». Mme Rousseff a souffert d’un léger malaise en direct à l’issue du débat.
Alcootest
La tension a atteint son point d’orgue quand la présidente a interrogé M. Neves sur les contrôles anti-alcoolémie, alors que ce dernier avait, de notoriété publique, refusé de souffler dans le ballon en 2011 à Rio de Janeiro. «C’est arrivé et je m’en suis excusé», s’est insurgé M. Neves, accusant sa rivale de mener «la plus basse campagne électorale» depuis la fin de la dictature. «Moi, je ne conduis pas ivre et droguée», a enfoncé le clou Mme Rousseff, dans une double allusion à la réputation de fêtard mondain de son opposant. La présidente sortante, garante des spectaculaires avancées sociales enregistrées en 12 ans de gouvernements du Parti des travailleurs (PT), a solidement viré en tête lors du premier tour du 5 octobre avec 41,59% des voix. Elle a devancé M. Neves (33,55%), son rival du Parti social démocrate brésilien (PSDB) qui promet un tour de vis libéral pour relancer le moteur en panne de la septième puissance économique mondiale, sans renier les programmes sociaux dont bénéficient 50 millions de Brésiliens. Mais le second tour s’annonce extrêmement serré. Car outre la droite classique, M. Neves rallie de nombreux déçus de la gauche ayant voté au 1er tour à 21% pour l’écologiste Marina Silva qui lui a accordé depuis son soutien.
Malgré cet appui et le parti pris des grands médias brésiliens en faveur de M. Neves, les sondages se sont figés. Depuis une dizaine de jours, ils accordent invariablement une infime avance à M. Neves (51%) sur Mme Rousseff (49%). Et 9% des sondés affirment qu’ils ne se décideront que dimanche. «Mon gouvernement s’occupe de tout le peuple brésilien, contrairement aux antérieurs qui ne s’occupaient que des élites», assure la présidente, en se référant aux gouvernements années de pouvoir du PSDB sous la présidence de Fernando Henrique Cardoso (1995-2002).
Mais elle élude les questions sur la récente entrée en récession du Brésil qu’elle attribue au seul contexte international ,alors que la majorité des grands pays émergents (Chine, Inde) ou des voisins de la région se portent nettement mieux. «Vous feriez mieux de reconnaître votre échec économique», répond l’opposant sans trop s’étendre sur l’ajustement budgétaire forcément douloureux qu’il compte appliquer en 2015 pour assainir les finances publiques et combattre l’inflation.
«Sentiment anti-PT»
«C’est une élection très disputée. Les classes aisées ont opté pour Neves. Les pauvres pour Rousseff», explique Mauro Paulino, directeur de l’Institut de sondages Datafolha. Au milieu, «la classe moyenne devenue majoritaire est divisée. D’un côté, elle a peur de perdre les conquêtes associées au PT, de l’autre elle est indignée et veut plus, car l’amélioration de ses conditions de vie s’est interrompue» sous Rousseff.
La fronde sociale des jeunes des classes moyennes urbaines de juin 2013, contre la facture du Mondial de football et pour de meilleurs services publics, avait exprimé ce malaise. Et les scandales de corruption impliquant le PT, dont l’actuelle brûlante affaire de pots-de-vin versés par l’entreprise publique Petrobras à des élus de la coalition au pouvoir, font des ravages dans l’opinion.
«Après 12 ans de pouvoir, le sentiment anti-PT a augmenté», souligne le consultant indépendant André Cesar. «Cette élection s’est polarisée d’une manière jamais vue depuis 1989», année de l’élection de Fernando Collor contre l’ex-président Lula (2003-2010). «Ce n’est pas bon pour le prochain président, prédit cet analyste, parce qu’il héritera d’un pays divisé, avec une économie qui va mal et un parlement fragmenté entre 28 partis.»