La société civile palestinienne fait face à une offensive silencieuse mais redoutablement efficace : l’effacement méthodique de ses archives numériques. Selon la plateforme américaine d’information indépendante Mondoweiss, des organisations palestiniennes majeures de défense des droits humains sont aujourd’hui frappées par une campagne coordonnée de censure numérique visant à réduire au silence leur travail de documentation, pourtant essentiel aux procédures judiciaires internationales. Plus de 700 vidéos ont ainsi été supprimées ces dernières semaines, mettant en péril des décennies de preuves minutieusement collectées sur les violations commises par l’occupation sioniste.
Ces suppressions concernent trois des organisations palestiniennes les plus reconnues sur la scène internationale : le Al-Mezan Center for Human Rights, Al-Haq et le Palestinian Center for Human Rights (PCHR). Les contenus effacés comprenaient des témoignages de survivants, des images d’attaques militaires, des enquêtes médico-légales et des documents audiovisuels qui ont servi de base à de nombreux rapports internationaux sur les droits humains, ainsi qu’aux dossiers transmis à la Cour pénale internationale (CPI). Pour Mondoweiss, il ne s’agit nullement d’incidents isolés ni de simples décisions techniques prises par des plateformes numériques. La suppression de ces vidéos serait directement liée aux sanctions américaines imposées en vertu du décret 14203, un texte introduit sous l’administration Trump dans le but explicite d’entraver les enquêtes de la CPI sur les crimes de guerre présumés commis par l’entité sioniste. En s’alignant sur ce cadre politique et juridique, des plateformes comme YouTube se retrouvent, volontairement ou non, au cœur d’un dispositif de répression numérique à portée internationale. Depuis des années, les organisations palestiniennes de défense des droits humains ont pourtant joué un rôle central dans la collecte et la préservation de preuves relatives aux assassinats ciblés, aux démolitions de maisons, aux actes de torture, ainsi qu’aux violations systématiques des droits des détenus palestiniens. Ce travail, souvent réalisé dans des conditions extrêmes, constituait l’épine dorsale des démarches juridiques palestiniennes devant les juridictions internationales. Son effacement numérique menace aujourd’hui la continuité de la mémoire juridique palestinienne. La plateforme américaine souligne que cette répression s’inscrit dans une stratégie de longue haleine visant à délégitimer la société civile palestinienne. Dès 2021, plusieurs de ces organisations avaient été désignées par l’entité sioniste comme de prétendues “institutions terroristes”, avant d’être interdites d’activité en Cisjordanie occupée. Une classification largement dénoncée à l’époque par des ONG internationales, des experts de l’ONU et des gouvernements européens, faute de preuves crédibles. Cette désignation a néanmoins ouvert la voie à une campagne plus agressive, visant désormais à démanteler le travail de documentation palestinien non seulement sur le terrain, mais aussi dans l’espace numérique mondial. Les conséquences de cette offensive dépassent largement la suppression de vidéos. Zeina Hurani, membre de l’organisation Al-Haq, décrit à Mondoweiss une situation asphyxiante. Selon elle, de nombreux comptes de l’organisation sur les réseaux sociaux ont été supprimés ou sévèrement restreints, réduisant drastiquement leur capacité à communiquer publiquement sur les crimes et violations documentés. Plus grave encore, l’ensemble des comptes bancaires d’Al-Haq ont été fermés, paralysant son fonctionnement quotidien.
« Nous ne pouvons plus recevoir de fonds, nous ne pouvons plus payer notre personnel », explique-t-elle, précisant que les collègues basés aux États-Unis ont été contraints de démissionner, par crainte de sanctions pénales et civiles lourdes. Cette pression financière et juridique vise à couper les organisations palestiniennes de leurs soutiens internationaux, tout en criminalisant leur travail de plaidoyer et de documentation. Au-delà des pertes matérielles, Mme Hurani insiste sur la portée symbolique et historique de la suppression des archives numériques. Effacer ces contenus revient, selon elle, à tenter d’effacer les traces mêmes des crimes documentés. Dans un contexte où l’image, la vidéo et la donnée numérique constituent des preuves centrales devant les tribunaux internationaux, cette disparition équivaut à une attaque directe contre le droit à la justice. Mondoweiss replace cette offensive dans un cadre plus large de censure numérique massive visant les contenus palestiniens à l’échelle mondiale. Un rapport du Centre arabe pour la promotion des médias sociaux met en lumière le recours croissant, par les plateformes numériques, à des systèmes de modération automatisés qui ciblent de manière disproportionnée les voix palestiniennes. Rien qu’en 2024, ce centre a recensé 507 cas de suppression de contenus ou de restrictions de comptes affectant des Palestiniens, qu’il s’agisse de militants, de journalistes ou de simples citoyens documentant la réalité de l’occupation. Dans le même temps, l’espace numérique est envahi par des contenus violents et haineux visant les Palestiniens.
L’Indice 2024 du racisme et de l’incitation à la haine, publié par le même centre, révèle que plus de 12 millions de publications incitant à la violence ou à la haine contre les Palestiniens ont été détectées cette année sur les plateformes numériques, sans faire l’objet d’une modération comparable. Ce déséquilibre illustre, selon les observateurs, une hiérarchisation politique des contenus, où la parole palestinienne est surveillée, restreinte et criminalisée, tandis que les discours racistes prolifèrent. Face à cette réalité, de nombreuses voix alertent sur les conséquences à long terme de cette censure numérique.
En s’attaquant aux archives, ce sont non seulement des organisations qui sont visées, mais la possibilité même de rendre des comptes pour les crimes commis. L’effacement numérique devient alors un prolongement de l’impunité, un moyen de faire disparaître les preuves avant même qu’elles ne puissent être examinées par la justice internationale. Dans un monde où la mémoire collective se construit de plus en plus en ligne, la bataille pour la Palestine se joue aussi dans les serveurs, les algorithmes et les politiques de modération.
La question posée par Mondoweiss est dès lors fondamentale : que vaut le droit international, si les preuves nécessaires à son application peuvent être supprimées d’un clic, au nom de considérations politiques et de pressions géopolitiques ?
M. S.











































