Des milliers de manifestants islamistes qui campent devant la présidence à Islamabad depuis plusieurs jours ont refusé mercredi, de se disperser, assurant être «prêts à mourir», alors que les forces de l’ordre se préparaient à les évacuer après l’expiration d’un ultimatum.
Les manifestants paralysent depuis plusieurs jours l’avenue de la Constitution conduisant aux principales institutions politiques du pays, et ont promis d’y rester jusqu’à ce que soient entendues leurs exigences, dont l’exécution par pendaison d’Asia Bibi, une chrétienne accusée de blasphème. Ce face à face tendu intervient après un attentat antichrétien qui a fait plus de 70 morts à Lahore, le dimanche, de Pâques, illustrant les profondes divisions confessionnelles au Pakistan, pays majoritairement musulman. La mobilisation a débuté dimanche, dans la ville voisine de Rawalpindi par un rassemblement réunissant jusqu’à 25 000 personnes en mémoire de Mumtaz Qadri, un islamiste pendu fin février, pour avoir assassiné en 2011 le gouverneur du Pendjab car ce dernier soutenait une réforme de la loi controversée punissant le blasphème.
Plusieurs milliers de manifestants s’étaient ensuite forcé un passage à coups de pierres jusqu’à la capitale, dimanche après-midi, avant de s’installer sur l’avenue de la Constitution, qui longe le Parlement, la présidence et les bureaux du gouvernement pakistanais. En milieu de journée, plusieurs milliers de manifestants étaient toujours sur le rond-point face à la présidence, scandant des slogans religieux. De nouvelles négociations sont en cours entre autorités et représentants des protestataires.
«Les négociations pourraient durer jusque 15h00 – 16h00 (10h00-11h00 GMT). Si elles échouent, nous pourrions évacuer les protestataires vers 18H00» a indiqué un officier de police sous couvert d’anonymat.
Minorités inquiètes
Le gouvernement avait initialement donné jusqu’à mardi soir, aux manifestants pour partir, mais cet ultimatum a expiré sans effet, et les autorités l’ont repoussé jusqu’à mercredi. Selon l’officier, plus de 4 000 membres des forces de sécurité pakistanaises sont sur place, et plus de 2 000 autres prêts à être déployés, si les manifestants ne coopèrent pas avec les autorités qui les accusent de «bloquer les efforts anti-terroristes du gouvernement». Des militaires sont déjà déployés devant les bâtiments gouvernementaux proches de la manifestation.
«Nous ne quitterons pas les lieux avant que nos dix exigences soient satisfaites,» a indiqué un des chefs de file des protestataires, Arshad Asif Jalali. «Nos partisans sont prêts à mourir. Si le gouvernement lance une opération, ils ne prendront pas la fuite, mais feront face aux balles», a-t-il assuré. Les partisans de Qadri réclament, notamment que l’islamiste exécuté soit érigé au rang de «martyr», la pendaison de la chrétienne Asia Bibi, et l’application stricte de la sharia, la loi islamique. Leurs exigences ont jusqu’ici été rejetées par le gouvernement.
La pendaison de Qadri, qualifiée par des experts de «tournant» dans la lutte du Pakistan contre l’extrémisme, est devenue un point de contention entre le pouvoir et les franges les plus radicales de ce pays conservateur.
Ses funérailles fin février, avaient rassemblé des dizaines de milliers de personnes, une démonstration de forces des extrémistes qui avait inquiété les modérés.
L’appel à la pendaison d’Asia Bibi, coïncidant avec l’attentat de Pâques à Lahore, a renforcé le sentiment d’insécurité des minorités du Pakistan. «C’est un sentiment de grande peine, de tristesse et de peur», explique Shamoon Gill, porte-parole d’une organisation de défense des minorités. L’attentat dans un parc de Lahore donne aux chrétiens l’impression «qu’aucun lieu n’est sûr» pour eux, tandis que la foule rassemblée à Islamabad est «dangereuse», selon lui. «Ils constituent une menace sérieuse à la vie d’Asia Bibi (…) il se peut que le gouvernement cède à leur pression sur ce point», a-t-il averti. Cette chrétienne mère de cinq enfants, condamnée à la peine capitale en 2010 pour blasphème à l’issue d’une banale dispute avec des voisines musulmanes, est devenue un symbole du débat sur la loi sur le blasphème, un sujet ultra sensible.
Son cas a ému plusieurs dirigeants occidentaux, dont le pape François.
Au total, 17 condamnés pour blasphème sont actuellement dans le couloir de la mort, mais jusqu’ici, personne n’a été exécuté.