Les négociateurs iraniens et ceux des grandes puissances ont échoué à trouver un compromis dans la nuit, repoussant les chances d’un accord historique. Une énième date butoir vient d’être dépassée sans accord sur le nucléaire iranien à Vienne. L’occasion était pourtant unique de mettre fin à une crise qui empoisonne les relations internationales depuis plus d’une décennie. Mais au bout de 13 jours de pourparlers marathon, l’Iran et le groupe des 5 + 1 (États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, Chine et Russie) ne sont, pour l’heure, toujours pas parvenus à arracher un compromis sur cet épineux dossier. Pour s’assurer que la République islamique ne cherche pas à se doter de la bombe atomique, les grandes puissances souhaitent strictement limiter et encadrer le programme nucléaire iranien. De son côté, l’Iran, qui a toujours démenti vouloir se doter de l’arme nucléaire, entend poursuivre un programme civil, et surtout obtenir la levée des sanctions internationales adoptées en 2007 et qui étouffent son économie. Les deux camps devaient trouver un terrain d’entente avant 6 heures du matin ce vendredi pour que le Congrès américain puisse examiner le texte sous trente jours. Or, ce nouveau report est cette fois lourd de conséquences. Désormais, en cas d’accord, les sénateurs américains, majoritairement hostiles à une entente avec l’Iran, auront soixante jours – une éternité – pour faire torpiller le texte.
«Chaque pays a ses propres lignes rouges» (haut responsable iranien)
«Vu que les travaux sont extrêmement techniques et les enjeux très, très élevés, on ne se précipitera pas et on ne se laissera pas précipiter vers un accord», a déclaré jeudi soir le secrétaire d’État américain John Kerry devant le palais Coburg à Vienne, où se déroulent les négociations. Mais signe de l’exaspération iranienne à quelques heures de l’expiration du dernier délai, la délégation de la République islamique a, chose rare, convoqué la presse étrangère pour exprimer son désaccord.
«Nous constatons certains changements de position sur un grand nombre de questions malheureusement», a déclaré aux journalistes un haut responsable iranien ayant requis l’anonymat. «Chaque pays a ses propres lignes rouges… Une ligne rouge pour les États-Unis, une autre pour la Grande-Bretagne, une autre pour la France ou l’Allemagne», a dénoncé l’officiel iranien, faisant clairement porter le blocage des pourparlers sur le camp occidental. Des propos confirmés, en public cette fois, par le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, à la sortie d’une mosquée de Vienne.
Si l’échec des négociations n’est pas entériné, il sera néanmoins très difficile pour les deux parties de trouver un terrain d’entente d’ici les prochaines semaines, les ministres impliqués dans les pourparlers ayant multiplié au cours des quatorze derniers jours les allers-retours à Vienne pour forcer le résultat, en vain. «Il est clair pour tout le monde que prendre ces décisions dans une, deux, trois semaines ne sera pas plus facile, mais plus difficile pour tous», avait ainsi rappelé jeudi soir la chef de la diplomatie européenne, l’Italienne Federica Mogherini.
Rapprochement Iran-États-Unis
Pour l’heure, l’Iran rate son rendez-vous avec l’histoire. Car, au-delà du strict dossier du nucléaire iranien, la République islamique aurait signé son retour sur le devant de la scène internationale. Isolé du reste du monde depuis la Révolution islamique de 1979, et durement sanctionné par le Conseil de sécurité de l’ONU sous la présidence de l’ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) après que ce dernier eut relancé le programme iranien d’enrichissement d’uranium, l’Iran demeurait sur la voie d’un inexorable rapprochement avec le «Grand Satan» américain.
Ce «réchauffement diplomatique» a été rendu possible par la concomitance de l’arrivée au pouvoir à Washington d’un président démocrate – Barack Obama –– soucieux de «tendre la main» à la République islamique et de rompre avec l’hostilité de l’administration Bush et de celle à la présidence iranienne d’un religieux «modéré» –– Hassan Rohani – déterminé à lever les sanctions internationales contre son pays et à tourner la page des diatribes enflammées de son prédécesseur ultraconservateur.
Négociations secrètes
Dès mars 2013, avant même l’élection à la présidence de Hassan Rohani, Barack Obama avait ainsi donné son aval à des négociations secrètes entre les «deux meilleurs ennemis» de la planète pour résoudre enfin la crise du nucléaire. Six mois plus tard, l’Iran et les grandes puissances reprenaient réellement les négociations sous l’égide du secrétaire d’État américain, John Kerry, et du ministre iranien des Affaires étrangères, le «modéré» Mohammad Javad Zarif.
Malgré cette fenêtre de tir inespérée, les deux «meilleurs ennemis» de la planète ne sont, pour l’heure, pas parvenus à s’entendre. Or, un échec aurait de lourdes conséquences pour l’Iran. Il entraînerait le maintien de la majeure partie des sanctions internationales qui asphyxient l’économie iranienne, alors que celle-ci attendait avec impatience le retour des investisseurs étrangers en Iran.
Guerre commune contre l’État islamique
Sur le plan politique, le président «modéré» Hassan Rohani, qui mise toute sa crédibilité sur un accord avec les grandes puissances, en sortirait considérablement affaibli. Face à lui, les conservateurs iraniens, déjà détenteurs de la majorité des pouvoirs en Iran (guide suprême, justice, Gardiens de la révolution) et qui demeurent hostiles à une entente avec l’Occident, auraient tout le loisir de miner la fin de mandat de Rohani, et ses nombreuses promesses de réformes. Sur le plan international, surtout, un fiasco à Vienne entraverait la possibilité d’une véritable collaboration militaire entre l’Occident et l’Iran contre l’organisation État islamique (EI). Bien qu’elle ne fasse pas partie de la coalition internationale contre l’EI, la République islamique demeure sur le terrain le premier pays étranger combattant les djihadistes en Irak. Ainsi, la plupart des observateurs soulignent qu’une guerre contre les «soldats du califat» sera vaine sans l’aide effective de Téhéran. Sans conteste, l’échec de la nuit dernière à Vienne éloigne encore plus cette perspective.