L’avant-projet de loi portant amendement du régime électoral contient plus de 300 dispositions entre nouveaux articles et autre amendés.
Le tout a été élaboré dans l’esprit de la nouvelle Constitution qui se veut une rupture avec les anciennes pratiques sous l’ancien régime. Consacrer la démocratie, adopter le principe de l’alternance au pouvoir, moraliser la vie politique dans le pays, et la séparation de la politique de l’argent sale, constituent l’âme et l’essence même de la nouvelle Loi fondamentale du pays, adoptée par référendum le 1er novembre dernier. Et c’est cette même Constitution qui a servi de base pour le Comité du professeur Ahmed Laraba qui a élaboré la première mouture de la révision de la loi électorale, prélude à la tenue des élections anticipées dans le pays. Elle est mise à la disposition de la classe politique, de personnalités nationales et de la société civile, sollicitées pour apporter leur grain de sel au projet.
Ainsi, dans son article 167 la nouvelle loi de Laraba suggère l’adoption du mode de vote proportionnel à liste ouverte, contrairement à l’ancienne loi qui prône des listes fermées.
Cette disposition a, toutefois, ses avantages et ses inconvénients. Son point fort est peut-être la non-obligation pour les électeurs de respecter le classement des candidats dans la liste présentée. L’électeur a, ainsi, le choix entre plusieurs noms sur la même liste en fonction du nombre de sièges dont dispose la circonscription. Son inconvénient par contre c’est de voir le choix des électeurs dicté par le tribalisme.
La disposition de 4% des suffrages en sursis
Longtemps contestée par les petits partis et ceux de l’opposition, estimant que c’est un avantage accordé aux grosses cylindrées, la mouture présentée par la commission Laraba évoque une disposition transitoire permettant la non-application de l’exigence des 4% des suffrages exprimés à l’occasion des prochaines élections. Toutefois, les partis n’ayant pas réalisé un score de 4% durant la précédente élection sont soumis à l’exigence d’avoir au moins 10 élus dans la circonscription électorale où ils ont l’intention de présenter une liste de candidature. Ces deux dispositions ne s’appliquent pas lors des prochaines élections, mais il s’agit juste d’un sursis pour les partis politiques qui devraient justifier de cette portion pour les élections à venir.
1/3 des sièges à l’APN pour les moins de 35 ans
Les listes indépendantes, pour leur part, doivent être accompagnées de 50 signatures pour chaque siège dans l’assemblée visée. Pour les élections législatives, le principe de parité et la réservation d’un tiers des sièges aux jeunes de moins de 35 ans sont exigés. Les candidats doivent être âgés de 25 ans au minimum. Lors de la répartition des sièges entre les listes en compétition, celles ayant obtenu moins de 5% des voix exprimées ne sont pas exclues. Les mêmes conditions de constitution des listes pour les élections locales sont exigées pour les élections législatives, à savoir le parrainage des partis politiques qui ont au moins 10 élus dans la wilaya concernée ou avoir obtenu plus de 4% lors des précédentes élections. Pour les listes indépendantes ou les nouveaux partis politiques, la liste doit être appuyée par 250 signataires pour chaque siège qui revient à la wilaya. Si la wilaya dispose de 10 sièges de députés, la liste doit être appuyée par
2 500 signatures.
Parité entre les hommes et les femmes
L’article 174 de la mouture exige la parité entre les hommes et les femmes sur les listes présentées (APC, APW et APN). Il est consacré ainsi la suppression de la disposition relative à 30% de la représentation féminine. Toutefois, la condition de respect de la parité s’applique dans les communes ayant plus de 20 000 habitants. En plus de consacrer au moins 35% à de jeunes candidats de moins de 35 ans pour les élections législatives, il est également fait état du financement par l’État de la campagne électorale. Concernant ce dernier point, il est mentionné dans l’article 86 que les campagnes électorales sont financées par les contributions des partis politiques, les participations du candidat, les dons accordés par les citoyens au titre de personnes physiques, y compris aux Algériens établis à l’étranger. Ainsi il est facile d’en déduire que le financement par des personnes morales est exclu.
L’État prend en charge 50% des frais de campagne
S’agissant de la forme d’aide que l’État compte apporter aux jeunes candidats aux élections locales et législatives, il est précisé que l’État prend en charge 50% des dépenses de la campagne électorale liées aux frais d’impression des documents, de l’édition et de la publicité et des frais de location des salles pour les meetings. Il est également fait état d’un possible remboursement des frais de campagne par l’État. L’article 90 précise que les sommes qui dépassent 1 000 dinars doivent être traçables et versées par chèque bancaire ou transfert. Aussi, le candidat à l’élection présidentielle ou le candidat tête de liste aux élections législatives et locales doit communiquer la liste des donateurs et le montant de donations à une commission de contrôle du financement de la campagne électorale qui dépend de l’Autorité indépendante des élections. Pour l’élection présidentielle, cette mouture impose aux candidats à la candidature le dépôt d’une caution auprès du Trésor public récupérable dans le cas où le candidat a réussi à récolter 50 000 signatures d’électeurs.
Un mandat d’élu local pour postuler aux Sénatoriales
Pour pouvoir postuler au poste de sénateur, la nouvelle loi, telle que présentée par la commission Laraba, exige un diplôme universitaire. Cette disposition pose un problème constitutionnel qui remet en cause ainsi l’égalité des chances, de surcroît, que le diplôme n’est pas une référence ou synonyme de compétence politique. Il est également exigé des futurs sénateurs d’avoir accompli au moins un mandat en tant qu’élu au sein des Assemblées, qu’elles soient communales ou wilayales. La commission Laraba propose également le prolongement du mandat de l’Autorité nationale indépendante des élections (Anie) à 6 ans au lieu de 4 ans, comme c’est le cas actuellement, le renforcement de ces prérogatives, et celle de son Président, ainsi que la réduction du nombre de ces membres de 50 à 15 membres.
Brahim Oubellil
Premières réactions de la classe politique
Les réactions de la classe politique concernant le texte du nouveau projet de loi électorale divergent. Parmi les points qui ont suscité un large débat est le mode du scrutin, de liste à la proportionnelle, et la parité dans les nominations entre les hommes et les femmes.
Jil Jadid : « le texte apportera des changements importants »
Le président de Jil Jadid a estimé, lors son intervention au forum du Courrier d’Algérie que « la partie dévoilée de cette première mouture porte en son sein plusieurs changements importants, qui pourraient déboucher sur l’amorce d’une nouvelle construction du régime politique et par conséquent pouvoir espérer l’édification d’un vrai État de droit basé sur les principes démocratiques ». Ainsi, il ajoutera que le mode de scrutin de liste à la proportionnelle est un acquis indéniable pour la démocratie et surtout pour permettre aux électeurs de choisir parmi plusieurs candidats proposés sur la même liste, et celui qui a eu le plus de voix (coché sur la liste) sera élu et pas forcément tête de liste, une sorte de digue contre l’achat de la personne perchée en haut du podium. L’autre avantage de ce mode d’élection se situe, selon lui, dans la possibilité de voir une campagne électorale encore plus animée que par le passé, en raison, explique-t-il encore, de la parité des chances pour tous les candidats portés sur la liste.
MSP : « la parité garantira la représentation de la femme »
La députée du MSP Fatima Saadi a affirmé, elle, que la parité dans la nomination garantira la représentation de la femme dans les listes électorales. Pour le mode du scrutin proportionnel, elle pense qu’il faut en finir avec la relation qui existait dans les précédentes élections de l’ancien système, notamment entre l’argent sale et le travail électoral.
Front El Moustakbal : « la parité est une pratique étrangère à notre politique »
Le président du groupe parlementaire du Front EL Moustakbal de Abdelaziz Belaïd, notamment El hadj Belghouti, a précisé que la parité est une pratique étrangère de la scène politique algérienne. « Je pense que la politique est pour les politiciens et les postes pour les militants », explique-t-il, ajoutant que la femme tout comme le jeune qui s’imposent politiquement méritent d’être têtes de liste.
RND : le mode proportionnel est « compliqué »
De son côté, le président du groupe parlementaire du RND, le Rassemblement national démocratique de Zitouni, à savoir Mohamed Gouidji, s’est opposé à la loi du mode proportionnel, en le qualifiant de « compliqué ». Mais sans pour autant qu’il argumente à ce sujet.
FJD : « la parité s’oppose aux valeurs de notre société »
Le député du FJD, parti islamiste de Djaballah, en l’occurence Lakhdar Benkhalef, nous a affirmé que sa formation politique n’a reçu aucun document officiel concernant le projet, précisant qu’il s’exprimera sur ce sujet dès qu’il reçoit une copie officielle. Sauf qu’il a indiqué, pour ce qui est de la parité entre la femme et l’homme, que « la nature de notre société s’y oppose », ajoutant que lorsque la femme représentait 30% dans les élections il y avait des difficultés. », « Je pense que la solution est dans la création d’une liste nationale des femmes et des jeunes ». Du mode proportionnel, Benkhalef s’est montré réservé indiquant que cette méthode a été pratiquée dans les pays qui ne disposent que de « petites listes. »
El- Binaâ : « une violation des règles de la démocratie »
Ahmed Dane, cadre de l’autre parti islamiste El-Binaâ, dirigé par Bengrina, a indiqué que la parité dans les nominations est « une violation flagrante » des règles de la « démocratie, de la citoyenneté et de l’égalité entre les citoyens ». Lesquelles, selon lui, doivent être adoptées dans les postes administratifs, précisant que cette loi rencontrera « des difficultés » dans son application dans les Assemblées. « Dans notre mouvement nous plaidons pour promouvoir le rôle de la femme dans la vie politique, mais cela ne veut pas dire l’imposer au peuple », a-t-il estimé aussi surprenant que cela puisse paraître. Concernant le mode du scrutin proportionnel, le mouvement EL Binaâ a salué cette proposition qui va diminuer, selon lui, le recours de l’argent sale et la corruption dans les élections.
Le FFS et TEH refusent de commenter
Contacté hier par téléphone, Hocine Belahcel, membre de l’Instance présidentielle du vieux parti d’opposition (FFS), a refusé de commenter les textes fuités de la première mouture du projet de loi électorale du fait, a-t-il expliqué, que la copie n’émane pas de source sûre. « On ne commente pas des textes qu’on n’a pas reçus. Mais dès qu’on aura la mouture de ce projet officiellement, on en parlera », affirme-t-il. Idem pour deux cadres de Talai El Hourriyat, dont Ahmed Adimi, qui ont refusé de réagir à ce propos, sans en expliquer le pourquoi.
Sarah Oubraham