Allongée sur un canapé, Blessing Joseph fixe le fusil posé non loin. Elle n’hésitera pas à le sortir, promet-elle, si les bergers peuls attaquent à nouveau son village, dans le centre du Nigeria.
L’étudiante de 19 ans n’est pas la seule de cet avis dans la région d’Agatu, dans l’Etat de Benue. Armés de machettes et de poignards, des jeunes hommes, parfois des adolescents, ont même formé des milices pour se défendre. «Mon père m’a appris à ne pas sortir sans mon couteau, pour pouvoir me défendre si je suis attaqué», claironne David Inalegwu, un élève de primaire, du haut de ses neuf ans. Autour de Blessing, des jeunes racontent, entre deux gorgées de gin artisanal bu à même le bidon, la série d’attaques attribuées en février à des bergers peuls très lourdement armés, originaires de l’Etat voisin de Nasarawa.
Selon James Ochoche Edoh, un des responsables locaux, plus de 20 villages ont été touchés le long du fleuve Benue, principal affluent du fleuve Niger, qui sert de frontière naturelle entre les Etats de Benue et de Nasarawa. «En tout, on pense que quelque 500 personnes ont été tuées», dit-il. Un chiffre donné également par David Mark, l’ancien président du Sénat, qui représente la région. Mais selon les témoignages compilés par l’AFP à Okokolo, Adagbo, Akwu, Aila et Odugbeho, les cinq villages censés avoir été les plus touchés, on parvient à un bilan d’environ 50 morts, et 1.000 foyers détruits. «Les Peuls ont tué nos frères, ils ont brûlé et détruit 327 de nos maisons dans le village, et tout cela sans aucune raison valable», s’emporte le chef d’Okokolo, Christopher Onah.
Tout en ramassant des cartouches qui traînent encore sur le sol, M. Onah montre les dommages causés dans la grange qui abritait ses réserves de riz et d’igname. Sa maison a été entièrement mise à sac, tout comme les églises, la mosquée, les écoles d’Okokolo. «Il ne reste plus rien pour nous depuis l’attaque», se désole Anyebe Peter, un fermier d’Adagbo, où sept personnes ont été tuées et 250 maisons brûlées. Le fils d’Anyebe Peter, âgé de 27 ans, a pris une balle lors des violences. Il est toujours hospitalisé. A Akwu, 30 personnes sont mortes et plus de 600 habitations ont été détruites, ainsi que le centre médical.
«Arrêter le carnage»
Malgré la présence de l’armée, les habitants de la région continuent à vivre dans la peur. «Les soldats nous ont dit de quitter nos maisons et de nous rassembler à un seul endroit pour être mieux protégés, alors maintenant on dort dans l’église catholique», explique M. Onah. Selon l’»Indice du Terrorisme Mondial» de l’Institut pour l’Economie et la Paix basé aux Etats-Unis, les bergers peuls ont tué 1.229 personnes en 2014, contre seulement 63 l’année précédente, dans les cinq Etats du centre du Nigeria touchés par ces violences.
Cela fait des années que les éleveurs peuls, nomades et musulmans, et les cultivateurs chrétiens, sédentaires, s’affrontent sur les droits de pâturage, dans la «Middle belt» du Nigeria, une zone de tension, dans le centre du pays, entre musulmans du nord et chrétiens du sud. Selon M. Edoh, les violences de février dans la région d’Agatu, principalement chrétienne, ont été déclenchées par la mort d’un chef peul, à la suite d’un vol de bétail. Le président Muhammadu Buhari, un Peul musulman du Nord, a ordonné fin avril à la police et à l’armée «de prendre les mesures nécessaires pour arrêter le carnage». Et selon la police de l’Etat de Benue, le calme est revenu dans la région d’Agatu. Pour le ministre de l’Agriculture, Audu Ogbeh, «la seule solution contre les violences à répétition impliquant des fermiers peuls est d’établir des zones de pâturage réservées à ces bergers». Mais les Peuls reprochent aux autorités de Benue de ne pas aller dans le sens de cette proposition.