Le Raï est un des principaux genres musicaux populaires de l’Ouest algérien. Il est entendu quasiment partout. Cette musique est surtout écoutée par une bonne partie de la jeunesse oranaise et algérienne. Elle s’est propagée tel un virus dans le monde.
L’origine du mot raï, signifie « opinion », voire « conseil », selon le journaliste Mohamed Balhi (Dis-moi mon sort », Algérie-Actualité, 10/08/1980), qui, le premier, a étudié ce genre musical, alors banni officiellement, en le popularisant dans les médias. Il viendrait de l’époque où le cheikh (maître), où le poète de tradition melhoun du style bedoui, et plus précisément sa variante le wahrani, prodiguait sagesse et conseils sous forme de poésies chantées en darija. Al malhoun aurait, en effet, eu ses prémices à l’époque almohade où de nombreuses productions maghrébines et andalouses du zadjal ont vu le jour selon Ibn Khaldoun. La forme première du malhoun était véhiculée par les maddahin, et s’accommodait très bien avec la mission de diffusion d’information que s’étaient assignés les premiers Almohades. Cependant, le raï d’aujourd’hui s’inscrit dans le contexte de la complainte populaire, le chanteur qui se plaint de ses propres malheurs en se blâmant. Et plus exactement, il s’adresse à sa propre faculté de discernement, à son raï qui, cédant aux sentiments, l’a conduit à prendre les mauvaises décisions. Le chant commence ainsi : Ya Raï (ô mon discernement).Cheikha Remitti (1923-2006), chanteuse de raï traditionnel et de bedoui, considérée comme la mère spirituelle du Raï tous styles, générations et sexes confondues. En 2014 sa digne héritière est Cheikha Rabia.Les frères Rachid et Fethi sont les premiers qui ont modernisé profondément à l’occidental la musique raï et propulsé plusieurs chebs sur la scène artistique comme : Anouar, Khaled, Houari Benchenet et Sahraoui.Cheb Hasni (1968-1994), mort assassiné surnommé le Rossignol du Raï est considéré comme le roi du raï sentimental.
Le groupe mythique Raïna Raï, formé en 1980, qui se démarque de tout ce qui se fait à l’époque sur la scène musicale algérienne est très célèbre à l’étranger. Depuis les années 1920, les maîtres et maîtresses du melhoun traditionnel de l’ouest algérien, tels Cheikh Khaldi, Cheikh Hamada ou Cheikha Remitti, représentent la culture guerrière traditionnelle. Leur répertoire est double. Le registre officiel célèbre la religion, l’amour et les valeurs morales lors des fêtes des saints des tribus, les mariages ou les circoncisions. Le registre irrévérencieux (une échappatoire aux rigueurs de la morale islamique) est interdit et chanté essentiellement dans les souks et les tavernes. Danseuses et musiciens ambulants y parlent de l’alcool et des plaisirs de la chair. Ces deux formes sont à l’origine du raï moderne. Le registre irrévérencieux est aujourd’hui remis au goût du jour à travers notamment l’héritage des medahates et medaline dont Cheb Abdou a été le précurseur dans les années 1990, Houari Sghir plus récemment. Dans les années 1930, on chantait le wahrani, adaptation du melhoun accompagnée à l’oud, à l’accordéon, au banjo ou au piano. Cette musique se mélange aux autres influences musicales arabes, mais aussi espagnoles, françaises et latino-américaines. C’est ainsi que, vers les années 1950, avec Cheikha Remitti (Charak gataâ), cette musique qui, à l’origine, ne rassemble que quelques chanteurs, finit par s’étendre, après l’indépendance, à l’ensemble de l’Algérie.
Les instruments traditionnels du raï (nay, derbouka, zoukra et bendir) s’accommodent de la guitare électrique et sa pédale wah wah comme chez Mohamed Zargui ou de la trompette et du saxophone comme chez Bellemou Messaoud. Dans les années 1960 apparaissent deux orchestres qui font bouger la ville d’Oran : l’orchestre « Les Adam’s », et l’orchestre « Les Student’s ». Néanmoins, cet historique ne correspond qu’à une partie du raï « traditionnel » à cela il faut ajouter les influences des populations judéo-algériennes, européennes d’Algérie, et d’artistes berbères sur cette musique. Celle-ci incorporera aussi du chaâbi. Entre les années 1960 et la fin des années 1980, le raï traditionnel subira encore de nombreuses transformations avant d’arriver à sa première forme connue en France, forme qui permettra le début de son internationalisation.
Modernisation et popularisation
Au début des années 1980, les synthétiseurs et les boîtes à rythmes font leur apparition, le raï s’imprègne des styles rock, pop, funk, reggae et disco avec notamment le duo Rachid et Fethi qui développent la production raï. C’est seulement à partir du milieu des années 1980 que le raï va véritablement être catapulté au rang de musique nationale avec l’arrivée de nouveaux chanteurs, les Chebs (« jeune », féminin cheba). ensuite le raï se développe avec les Chebba Fadila (You Are Mine « Nebghik Ya Aîniya », 1988), Cheb Khaled (Kutche, 1989), Cheb Mami (Let Me Rai, 1990), Cheb Sahraoui, Chaba Zahouania, Cheb Hamid, Gana Maghnaoui, Cheb kader, etc. Il existe également des groupes comme Raïna Raï (Hakda, Zina), très populaire en Algérie, qui colore ses morceaux avec d’autres genres musicaux. Il existe également plusieurs artistes féminines de raï (qui viennent souvent de Meddahates) telles que Cheikha Rabia Chaba Zahouania ou Cheikha el djennia. Cette nouvelle musique mélange instruments traditionnels, synthétiseurs, batterie électronique et basse, remettant au goût du jour de vieilles mélodies. Le premier Festival Raï eu lieu à Oran en 1985. Face à l’engouement des jeunes algériens, le gouvernement reconnut officiellement le raï. D’autre part des groupes de fanatiques (certains proches du défunt chanteur pensent à un assassinat d’intérêt avec les boites de production) assassinèrent le père du raï sentimental Cheb Hasni, dont les paroles étaient jugées intolérables par certains groupes islamistes.
Internationalisation et naissance d’autres variantes
Au début des années 1980, Mohamed Balhi fait écouter de la musique raï au journaliste français Jean-Louis Hurst de Libération, qui lui consacrera des articles. C’est à cette époque que Chaba Fadila était au sommet de son art avec son titre Birra arbia, wisky gueouri(la bière est arabe et le Whisky est occidental ). Le Festival de Raï de Bobigny organisé à la MC93 pendant quatre jours avec Cheb Khaled, Cheb Sahraoui, le groupe Raïna Raï, Cheb Mami, Cheb Hamid va créer un emballement médiatique. Plus de deux mille personnes sont dans la salle, et deux mille ne pourront pas rentrer. Deux ans plus tard sort l’ album « Kutche » de Cheb Khaled et Safy Boutella produit par Martin Meissonnier. Arrivé en France à la fin des années 1980, le raï y atteint une forte popularité dans les années 1990 grâce d’une part à son enrichissement et son perfectionnement au contact des artistes et studios d’enregistrement français et d’autre part au soutien des jeunes issus de l’immigration maghrébine à la recherche d’une musique leur ressemblant. Les artistes les plus connus en France sont Khaled (Didi un tube qui fit le tour du monde), Rachid Taha (reprise de Ya Rayah, musique chaâbi de Dahmane El Harrachi), Faudel (Tellement n’bghick) et Cheb Mami (Parisien du Nord). Cheb Kader fut le premier à proposer un raï mélangé en 1987 en s’inspirant des musiques qu’il écoutait à l’époque (funk, rock, reggae, etc.). Il inventa le premier raï international avec ses tubes sel dem drai, sid el houari et fut le déclencheur du nouveau raï made in France. Cheb Mami a repris ce style, qui fut un succès dans le monde entier.Son succès s’étendra et se renforcera lorsque des compositeurs de styles différents se joignent au mouvement (Jean-Jacques Goldman écrit Aïcha pour Khaled) et beaucoup de chansons sont interprétées en français. Le raï en profite pour se mélanger à d’autres formes de musique comme le rap, le reggae, le rock, ou la musique techno. Puis à l’été 2004 émerge une nouvelle vague musicale qui conjugue raï et rhythm and blues, grâce à la compilation Raï’n’B Fever qui a réuni des grands noms des deux genres musicaux. C’est donc au contact de l’Occident (à Marseille principalement) que le raï, né dans sa forme première à Oran, gagnera ses lettres de noblesse et d’où naîtront de nouvelles variantes. Citons par exemple le RAÏ-RnB du chanteur algérien Mohamed Lamine ou de la chanteuse Leslie. Le rôle prépondérant de la France principalement (collaborations et influences d’artistes, studios d’orchestration, public…) explique pourquoi les chanteurs de raï les plus connus à travers le monde ont fait leur révolution ou leurs débuts en France. Le soutien des jeunes de la diaspora maghrébine francophone pour cette musique a été fondamental dans l’expansion de cette musique.Depuis 2001, en France, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (France) (CSA) a reconnu le raï comme un genre musical à part entière en lui attribuant deux fréquences en région parisienne pour la radio FM Only raï fondée et lancée par Ahmed Ben Abla. Elle est joignable sur les fréquences 94,6 MHz et 91,5 MHz et diffuse ses programmes 24h/24. Toutefois, le terme raï est parfois généralisé à des musiques arabes ou orientales occidentalisées et modernisées d’origine non algérienne : citons le cas de la chanteuse égypto-belge Natacha Atlas, le groupe Alabina, la chanson Salama ya Salama de la chanteuse italo-égyptienne Dalida ou encore les tubes de chanteurs turco-allemands. Avec d’autres courants musicaux arabo-musulmans, le raï a participé au succès en Occident du métissage musical Orient-Occident.En juillet 2007, naît Wah’Raï la première radio qui émet du raï en direct depuis Oran sur le web « Wah’Raï ».
Le raï d’aujourd’hui
De nouveaux chanteurs ont émergé et ont repris les titres des anciens. Ce qui a bouleversé le raï moderne c’est l’apparition de l’auto-tune, aussi la dominance des boîtes à rythmes dans les chansons. Quelques chanteurs d’aujourd’hui : Cheb Bilal Sghir,Cheb Houssem, Cheb Bilal, Cheb Mourad, Mohamed Benchenet, Cheb Nadir, Houari Dauphin, Houari Manar …
Proposition d’inscription du raï à la liste du patrimoine mondial
Le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques (CNRPAH) algérien a annoncé 29 aout 2016, avoir déposé en mars dernier un dossier de candidature à l’Unesco pour classer le « Raï, chant populaire algérien ». Cette démarche est une volonté de classer ce genre musical, le rai, et ses textes de poésie tels qu’ils avaient existé au début du siècle dernier comme « forme d’expression musicale et poétique féminine», a expliqué, pour sa part, Abdelkader Bendameche, président du Conseil des arts et des lettres.