La fin du règne de Mohammed 6, qui trône sur le Maroc depuis 1999, a-t-elle sonné ? Le journal Le Monde a, dans une première livraison d’une enquête exhaustive et haletante tirée sur six pages, évoqué la maladie du roi, ses frasques, la guerre de succession …de quoi réunir tous les ingrédients d’une succession douloureuse.
Les jours du roi Mohammed VI sont, à son corps défendant, comptés, à la tête du Royaume marocain, à en croire notamment les dernières indiscrétions du palais et telles qu’elles ont été révélées par le journal français dans une enquête qui commence déjà à faire trembler les dignitaires du Makhzen. Mise sous le titre « Au Maroc, une atmosphère de fin de règne pour Mohammed VI », cette enquête aborde le premier signe qui ne trompe pas sur la succession en gestation dans le palais de Rebat. Notamment, la santé déclinante de M6 et dont les rares apparitions publiques l’ont souvent montré diminué physiquement. En octobre 2024, « Sa majesté » est apparu avec une canne lors de la réception du président français Emmanuel Macron.
Deuxième signe qui plaide pour une succession « imminente », la mise en orbite du jeune principe Hassan III. La principe héritier est, depuis deux ans, mis sous les projecteurs. Le palais le présente comme étant un successeur « prêt » à diriger le royaume. Exemple, en novembre 2024, il a représenté son père à l’accueil du président chinois Xi Jinping, alors en escale à Casablanca, de retour du sommet du G20 au Brésil. « Moulay Hassan dans la cour des grand », caricature le magazine Maroc Hebdo pour une image reflétant le « baptême de feu officiel d’un monarque en devenir ». Autre chose, Hassan III est promu au grade de Colonel-major lors de fête du trône de 2025. Ce qui est, une première étape avant le titre, attendu prochainement, de coordinateur des bureaux et services de l’état-major des FAR (Forces armées royales). C’est précisément, soulignent les enquêteurs du Monde, à l’âge auquel son père M6 avait hérité, en 1985, de tous ces titres et grades.
Le roi « résiste » à la succession
Mais, toutes ces images peuvent tromper. Autrement, cette mise en scène est discrète. Pour preuve, M6 s’est fait représenter à des rendez-vous et événements à l’étranger, tantôt par son frère, tantôt par son chef du Gouvernement et tantôt par sa sœur Lalla Hassna. Ce qui est un écran de fumée pour ne pas interpréter ces mouvements comme un passage du témoin entre le père et le fils. Mais, malgré ce, « Le roi n’abdiquera pas malgré sa maladie », confie une source au fait des arcanes du Makhzen. Ainsi, le roi malade tente de dissiper le vide qui règne dans son palais du fait de ses absences récurrentes, par des sorties protocolaires à l’occasion de fêtes nationales.
Les frasques
Nuance de taille, « l’effacement » de M6, « n’était pas nécessairement lié à sa santé. Ses longues échappées ludiques à Paris, à Dubaï, aux Seychelles, à Zanzibar ou au Gabon témoignaient surtout d’un détachement, pour ne pas dire une lassitude, à l’égard de l’exercice des responsabilités. Même ses plus fidèles conseillers ont fini par s’en inquiéter », souligne l’article du Monde qui rappelle les frasques du roi telle qu’elles ont été rapportées par un article d’un hebdomadaire britannique. (The Economist, en 2023). Autrement dit, le scandale des frères Azaitar ou comment le souverain était sous l’influence d’Abou Bakr Azaitar, un champion d’arts martiaux mixtes qu’il a rencontré en 2018, lors d’une réception au palais royal en l’honneur de ses exploits sur les rings. « Ce fut comme un coup de foudre », résume un proche du premier cercle. Le monarque invite aussitôt le champion à venir se joindre à lui pour la prière hebdomadaire du vendredi. Une relation personnelle se noue entre le souverain et le boxeur germano-marocain, issu de la diaspora rifaine de Cologne, à laquelle s’agrège sans tarder son frère Ottman, champion de MMA lui aussi, mais également le jumeau d’Abou Bakr, Omar, manageur des deux autres, ainsi que leur père, imam d’une mosquée en Allemagne et qui s’imposera bientôt comme le muezzin de la mosquée du palais royal. », écrit Le Monde. Plus loin encore dans ce scandale, on pouvait lire ceci : « Avec ces nouveaux amis, le roi se sent plus détendu, ajoute une source bien introduite auprès de la monarchie. Il avait besoin de tourner la page après son divorce, en 2018. Les Azaitar lui apportent de la légèreté. Avec eux, il n’est pas sans cesse ramené aux soucis et aux exigences de sa charge. Et puis, ils l’ont remis au sport, ça lui a fait du bien. »
Cette proximité a d’ailleurs commencé à faire indignerl’élite marocaine. Notamment, « l’entrisme de cette fratrie aux manières tapageuses et au casier judiciaire chargé en Allemagne, d’après la presse de ce pays. » En effet, les frères Azaitar s’affichent sur les réseaux sociaux aux côtés de M6, ou sous son portrait, tout en exhibant leurs biceps boursouflés, leurs montres de luxe et leurs bolides rutilants, des cadeaux de leur royal ami. Mohammed VI a même mis à leur disposition un palais appartenant au domaine royal, à Tanger, afin qu’ils y installent un club de sport. » Le pire, aux yeux de la vieille garde, est qu’ils interfèrent dans le fonctionnement du pouvoir, commandant parfois l’accès au roi. Aux dernières nouvelles, c’est Omar Azaitar qui décroche les appels destinés au souverain et décide de le déranger ou pas selon son état de fatigue et sa disponibilité. Moulay Rachid et Moulay Ismaïl, le frère et le cousin germain du monarque, se sont ainsi vu interrompre, lors d’un entretien avec Mohammed VI, par l’un des frères Azaitar, lequel leur a expliqué sans prendre de gants que « Sa Majesté » était fatiguée et devait se retirer. Un crime de « lèse-prince ».
Une réputation à l’étranger sérieusement entamée
Autre fait saillant dans cette enquête, une anecdote circule parmi les familiers du palais. « Un jour, Abou Bakr Azaitar, qui promenait son petit chien dans un parc de Rabat, le perd. L’animal est introuvable. Avec l’assentiment royal, il alerte Abdellatif Hammouchi, le très médiatique patron de la police et directeur général de la sûreté nationale et de la surveillance du territoire (DGSN-DGST, le renseignement intérieur), en lui ordonnant de mobiliser ses hommes pour retrouver le chien. Penaud, le pandore a dû s’exécuter. Il n’en fallait pas davantage pour que les gardiens du makhzen, par le biais du journal en ligne Hespress, sonnent la charge contre le péril en germe. Les « dégâts » causés par ces « personnages sordides » en pleine « ascension vers les sommets du pouvoir » sont « des bombes à retardement qui finiront par [leur] exploser à la figure », est-il écrit dans un article daté de juillet 2021. « Il ne saurait y avoir d’autres princes que ceux qui sont membres de la famille royale, ajoute Hespress. Abou [Bakr] Azaitar devrait lire l’histoire de Raspoutine. » « Les frères Azaitar, de leur côté, se sentaient suffisamment soutenus par lui pour porter plainte en diffamation contre les journaux trop critiques, y compris Barlamane, proche de la police. Le procureur du roi a accepté d’instruire. Depuis, nul ne sait ce que la plainte est devenue, mais les attaques ont cessé…» A tous ces signes qui ne trompent pas, on peut ajouter la guerre souterraine qui déchire les services de renseignement marocains, DGED de Mansouri et la DGST de Hammouchi.
Synthèse F. G.