Hadj Mohamed Alioui, secrétaire général de l’UNPA, est convaincu que le développement du secteur agricole et son corollaire attendu, la réduction des importations de produits agricoles, peuvent facilement et rapidement être concrétisés, il parle même d’un délai n’excédant pas les trois années. Mais aux conditions sine qua non que la volonté politique et l’engagement de toutes les parties concernées soient au rendez-vous. Dans l’entretien qui suit, il nous précise sa pensée.
Le Courrier d’Algérie :Vous avez toujours milité pour la constitutionnalisation de la protection des terres agricoles. Maintenant que cela est fait, qu’elle est votre appréciation ?
Hadj Mohamed Alioui : Tout d’abord, permettez-moi de remercier votre quotidien de m’avoir donné l’occasion de parler du secteur de l’agriculture, de sa situation présente et des perspectives de son développement. La constitutionnalisation de la protection des terres agricoles est une avancée importante. C’est, en effet, la première fois dans l’histoire de l’Algérie que cela a eu lieu. Avant la protection des terres, était l’affaire de simples instructions. Qui finissaient, toujours et rapidement, par être mises aux oubliettes. L’exemple le plus édifiant a été le sort qu’avait subi l’instruction n°5 prise en 1982, du temps du président Chadli, pour tenter de mettre le holà au scandale qu’avait constitué alors « l’avancée du béton » dans la plaine de la Mitidja et dans d’autres régions du pays. « Expliquée» au sein des kasmas, c’était encore le parti unique, et des organisations de masse, elle n’a jamais été appliquée sur le terrain. Avec la constitutionnalisation précitée, les choses vont changer : La Constitution étant la
«mère de toutes les lois. Pour nous « la protection des terres agricoles » signifie la protection contre le béton, contre les manœuvres visant à leur faire perdre leur statut initial et contre leur déperdition. Nous l’avons également revendiquée pour le caractère sacré de ces terres. Et ce, dans le sens où elles appartiennent également aux générations futures. Et pour le fait que ce sont ces terres qui peuvent assurer au pays la sécurité alimentaire tant espérée. Mais ce n’est pas tout. Pour l’UNPA, la protection vise également à éviter que nos terres ne servent qu’aux seuls intérêts de prétendus investisseurs étrangers qui les exploitent puis rapatrient l’essentiel des bénéfices qu’ils réalisent sans que le pays n’en tire aucun profit. Comme cela se passe dans nombre de pays arabes et maghrébins…
-Une précision, Monsieur Alioui. Vous venez de parler de « manœuvres visant à faire perdre aux terres agricoles leur statut initial ». Qu’entendez-vous par là ?
– La terre ne s’achète pas et ne se vend pas. Elle reste propriété de l’État. Elle ne peut être que concédée dans le cadre de la loi 01-2010 (loi relative à la concession des terres agricoles). C’est, d’ailleurs, le président de la République qui l’avait annoncé en 2000 à Zéralda. Nous, nous inscrivons dans cette logique. L’État a, en effet, le devoir moral de protéger les terres agricoles. En faisant cela, il préserve les intérêts présents et à venir du pays et des générations futures. Sinon, celles-ci seront petit à petit détournées de leur vocation première. Un exemple a eu lieu, en 2013, dans la wilaya de Boumerdès que
2 100 ha ont été pris du secteur agricole pour, a-t-on dit, servir d’assiettes à des projets industriels. Des superficies qui n’ont pu être récupérées que sur intervention express du président de la République que l’UNPA a saisi. Sauf que le même problème se pose toujours dans nombre de wilayas du pays, où des milliers d’hectares ont été ainsi détournés…
– …en avez-vous saisi le président de la République ?
– Pas pour tous les cas, je le reconnais.
– Monsieur Alioui, lors de votre dernier passage au « Forum d’El Moudjahid » vous avez fait part d’une certaine réticence vis-à-vis du partenariat avec des étrangers dans le domaine agricole. Etes-vous toujours sur cette position ?
– Je tiens à vous préciser que l’UNPA n’est pas contre le partenariat avec les étrangers. L’UNPA demande seulement qu’il soit circonscrit aux seules régions des Hauts-Plateaux et du Sud. Et ce, à l’exclusion de la région nord où la modestie des superficies déstinées à l’exploitation agricole ne permet pas d’aller vers un partenariat efficient et rentable, ni pour le pays, ni pour les agriculteurs. Notre organisation demande également à ce qu’il ne concerne que les filières de la céréaliculture et du lait ; des filières, de par leur caractère stratégique avéré, qui demandent à être développées en urgence. Ce qui n’est pas le cas d’autres filières où les résultats obtenus par nos agriculteurs sont plus que probants. À l’instar de la production de la pomme de terre qui connaît un développement certain. Au point où, pour la seule production d’arrière-saison, quelque 1,4 million de tonnes ne trouvent pas preneurs et, fait aggravant, où être stockées. Une situation qui risque d’être davantage compliquée avec l’arrivée, attendue pour le mois de mai prochain, de la production de saison.
– Que préconisez-vous comme solution à ce problème ?
– L’UNPA propose deux solutions, qui permettront, si elles venaient à être prises en considération, aux agriculteurs de se consacrer au seul acte de produire. Et, surtout, d’être débarrassés de la hantise de perdre. Le premier a trait à la réactivation de l’office des fruits et légumes dont la mission essentielle est l’achat et la commercialisation des produits agricoles. Aujourd’hui, il n’active que dans les régions Nord. Il est totalement absent de celles du sud où l’agriculture connaît un essor certain. Et le second, au développement d’une industrie agroalimentaire…
-Vous pensez que cela peut être une solution aux problèmes de surproduction que connaissent certaines filières ?
– Et comment ! Cela aurait à coup sûr évité aux agriculteurs de la wilaya d’El Oued de jeter 400 000 quintaux de tomate. Nous souhaitons que nos frères du FCE investissent ce créneau…
– …les avez-vous contactés ?
-…Nous comptons approfondir ces jours-ci les contacts que nous avons déjà eus avec eux à ce propos. Actuellement, le FCE est occupé à asseoir ses structures à travers le pays.
-En plaidant pour le développement d’une industrie agroalimentaire dans le pays, votre organisation s’inscrit résolument dans la stratégie du ministère visant à un développement global du secteur…
-La stratégie du ministère, nous ne l’avons pas encore comprise. Il est vrai que le ministre se déplace beaucoup. Ce qu’il dit a, pour les agriculteurs, « le goût du lait ». Mais ce qu’ils entendent au niveau des démembrements locaux du ministère, a « un goût amer ». Il y a un sérieux problème de communication dans le secteur qui n’est pas pour rasséréner les agriculteurs…
– Que font les chambres de l’agriculture ?
– Rien. Elles sont quasiment étouffées par les directeurs des Services agricoles. Au grand dam des agriculteurs qui sont, au niveau local, sans interlocuteurs. Et de ce fait, livrés à eux-mêmes. Seule l’UNPA les défend…
– Où en est l’idée que vous avez personnellement lancée de mettre en place un Haut conseil de l’agriculture ?
– L’idée est ancienne. Elle a été concrétisée en 2010 dans la loi d’orientation agricole. Sauf que les textes d’application n’ont toujours pas vu le jour. C’est une instance où se retrouveront tous les départements ministériels et tous les organismes concernés par le secteur agricole ainsi que tous les intervenants. Elle fonctionnera comme une cellule de veille dont le rôle est d’établir, en temps réel et dès qu’un problème apparaît dans une filière quelconque, le diagnostic idoine, puisque basé sur des données fiables, à même de permettre au département ministériel concerné d’intervenir rapidement. De telles instances existent ailleurs ; en Égypte et en Syrie, entre autres.
– Un de vos chevaux de bataille a été l’assurance sociale pour les agriculteurs. Où en est l’opération?
– Elle avance. Bien que lentement. Et ce, pour des raisons éminemment culturelles : nos agriculteurs continuant à s’en remettre à la providence pour tout ce qui touche à leurs activités. Mais avec les avantages que leur a apportés la carte Chifa, les choses commencent à changer. D’ailleurs, dans les jours à venir, l’UNPA va lancer une campagne de sensibilisation dans ce sens. Et à ce propos, je tiens à informer, par le biais de votre quotidien, l’opinion nationale de l’intérêt constant et suivi des plus hautes autorités pour tout ce qui a trait à l’agriculture. Ce qui n’est pas le cas des niveaux intermédiaires du ministère de tutelle. Qui n’associent pas l’UNPA à leurs actions.
– Un autre problème entrave le développement du secteur agricole, le déficit en main-d’œuvre. Quelle est l’appréciation que vous en faites et quelle solution préconisez, pour en réduire les retombées négatives sur le bon fonctionnement du secteur et son développement?
– Là, je dois dire que les pouvoirs publics ont une part de responsabilité dans l’apparition de ce problème. En attribuant des crédits aux jeunes issus des campagnes pour lancer des projets qui n’ont rien à voir avec l’agriculture, on les a poussés à se détourner irremédiablement de ce secteur. Et même du monde rural. La solution pour renverser, un tant soit peu, la vapeur est d’exiger, dorénavant, de tout postulant à de tels crédits issus du monde rural, de lancer des projets liés à l’agriculture. Comme autre solution à la désaffection constatée de la jeunesse « rurale » pour les métiers de l’agriculture et, partant, au déficit en main-d’œuvre dont souffre le secteur, l’orientation des stagiaires inscrits dans les centres de formation professionnelle implantés en zones rurales, vers les spécialités liées à celui-ci. Et à ce propos, l’UNPA apprécie à juste valeur l’annonce faite en novembre 2015, lors de la rencontre nationale qu’il a eu avec les agriculteurs du pays, par le Premier ministre d’ouvrir prochainement trois grandes écoles nationales, implantées à Aïn Defla, Mascara et El Oued, dédiées entièrement aux métiers de l’agriculture.
Mais également celle faite récemment par le ministre de la Formation et de l’Enseignement professionnel, d’ouvrir dans les différents établissements relevant de son secteur des spécialités liées à l’agriculture. Quant à la solution qui pourrait compenser efficacement ce déficit, c’est incontestablement la mécanisation de certaines activités, dans les grandes exploitations agricoles, notamment, dans celles de collecte ou de récolte des produits arrivés à maturité. Sauf que le recours à cette solution est, au vu des prix actuels des machines, particulièrement onéreuses pour les agriculteurs. Une difficulté qu’ils peuvent, toutefois, surmonter s’ils ont la présence d’esprit de se regrouper en coopératives.
– Pensez-vous que l’autosuffisance en produits agricoles est réalisable à terme rapproché?
– Oui et plus tôt qu’on le pense. Surtout que, depuis quelque temps, les pouvoirs publics accordent une attention soutenue au secteur. Et que les compétences nationales sont, aujourd’hui, présentes dans le secteur. Nos agriculteurs sont aujourd’hui nettement mieux formés que leurs parents. Bien mieux, ils participent à toutes sortes de rencontres aussi bien au niveau national qu’à l’étranger. Je suis convaincu que si on mettait en place une organisation efficiente et si on réalisait les investissements qu’il faut, l’Algérie pourra, dans les trois années à venir, réaliser une autosuffisance totale de tous les produits agricoles et, à hauteur de 95%, dans les filières de la céréaliculture et du lait…
Mourad Bendris