Pour Mustapha Heddam, analyste politique, invité de la Radio nationale chaîne 3, la soumission de l’avant-projet de la Constitution pour débat et enrichissement aux partis politiques est une tradition dans notre pays. Mais son élargissement pour toutes les franges de société entre société civile, personnalités nationales, syndicats et simples citoyens constitue une nouveauté et une première dans notre pays. « La question maintenant c’est de savoir est-ce que les propositions qui seront émises par les partis politiques, la société civile, et le simple citoyen seront prises en considération ou pas lors de l’élaboration de la mouture finale de cette nouvelle constitution. Car nous avons cette habitude de consulter, sans toutefois prendre en compte les remarques formulées », s’est interrogé l’hôte de la chaîne 3. S’agissant du rôle des partis politiques, ce membre du bureau politique du Front El Moustakbel d’Abdelaziz Belaïd a fait savoir que la classe politique en Algérie est partagée entre ceux qui revendiquent une période de transition, à travers une Constituante, comme c’est le cas de ceux qui sont regroupés au sein du Pacte pour l’alternative démocratique (PAD), ceux qui sont appelés communément les partis du pouvoir à l’image de ceux qui formaient la défunte alliance présidentielle, et enfin les animateurs du mouvement citoyen ou autres bloggeurs sur les réseaux sociaux qui refusent, catégoriquement, ce projet avant même de pencher la tête dessus. Le porte-parole d’Abdelaziz Belaïd, lors de la dernière présidentielle, s’est longuement étalé sur la question de la Constituante, défendue à bras le corps par le PAD et surtout sur ses méfaits et dangers sur les institutions de l’État. À ce sujet, il dira : « Nous avons, après soixante-ans (60) de gouvernance, connu plusieurs Constitutions qui ont constitué un socle autour duquel sont formées les constantes nationales ».
« La Constituante, un danger pour l’état-nation »
Et la Constituante constitue, aux yeux de l’hôte de la chaîne 3, un danger pour l’État-nation, la stabilité et la pérennité du pays car, a-t-il expliqué, dans le cadre de la Constituante, il faut passer des mois et des mois à parler de la religion de l’état et les questions linguistiques, alors que la simple reconduction de tamazight et son statut d’immuable au sein de la future Constitution a, déjà, créé une tempête sur les réseaux sociaux. « Alors imaginez que des socles aussi importants pour la stabilité du pays soient remis en cause », s’est-il alors interrogé. « Aller à une Constituante après 60 ans de gouvernance est une approche dont les dangers sont plus importants que les bienfaits, pour la simple raison qu’elle (Constituante) pourrait remettre en cause les constantes nationales qui constituent la pierre angulaire de la stabilité et la pérennité de l’État national qui peut conduire à la déliquescence de ce dernier et la disparition de ses institutions », a- t-il développé lors de son intervention. Et d’ajouter : « Ces constantes sont les garantes de l’État national et les remettre en cause peut mener à l’effondrement de celui-ci, en citant l’exemple de l’ancienne Yougoslavie, l’ancien Soudan et autres, dont les fondements ont volé en éclats, en raison de l’atteinte à ces constantes », précisant que « les constantes nationales sont le socle fondamental sur lequel repose le pays et qui permet aux éléments d’une société de vivre ensemble ».
Des changements « révolution » sur le volet libertés
Concernant le volet des libertés fondamentales, individuelles et collectives et leur garantie, tel que préconisé dans le texte élaboré sous la houlette de Mohamed Laraba, M. Heddam qualifie de « révolution » les changements apportés, à condition qu’ils soient accompagnés de changement des mentalités au sein des administrations de notre pays. « La société et la vie politique ont été mises, dans le passé, au préalable du système de contrôle (autorisation, agrément), mais le système déclaratif annoncé dans le projet pourrait libérer les énergies et lever les entraves. D’ailleurs, je vois déjà des services du ministère de l’Intérieur appelés à disparaître, ce qui permettra d’avoir plus de liberté », a-t-il enchaîné, précisant que, pour se faire toutes les législations et les lois organiques devraient être au diapason avec cette constitution. À propos de la limitation des mandats du Président et des députés, l’invité des chaîne 3 ne s’inscrit pas dans cette logique et trouve incompréhensible d’ériger ce principe en constantes nationales, expliquant que ces dernières sont universelles (territoire, peuple, us, coutumes traditions, idéologies ou religions), et forment un tissu social, et mettre la limitation des mandats dans les constantes nationales « est tout simplement un non-sens », tout comme d’ailleurs le passage d’un système latin au système anglo-saxon en ce qui concerne le Conseil constitutionnel « devenu Cour constitutionnelle, sans qu’il y ait des changements notables mais juste pour satisfaire quelques partis politiques promoteurs de cette idée. » Si M. Heddam ne s’est pas insurgé contre le principe de la limitation des mandats pour le président, il s’est par contre montré très critique s’agissant des mandats des élus du peuple. « La clé de voûte c’est des élections propres, transparentes, et crédibles organisées par une autorité véritablement indépendante, et par voie de conséquence, je ne vois pas l’utilité de limiter un mandat pour un député qui s’est montré, tout au long de son passage au Parlement, à la hauteur de ses fonctions et responsabilités de contrôleur de l’action du gouvernement », a-t-il affirmé, s’interrogeant « Pourquoi donc exercer la tutelle sur la volonté populaire ? ».
Encore polémiste le poste de Vice-Président
Le poste du vice-président contenu l’avant-projet ne semble pas avoir beaucoup d’admirateurs. En effet, plusieurs intervenants se sont déjà montrés plutôt sceptiques sur ce sujet, du moins comme suggéré par le comité d’experts. Et c’est d’ailleurs le cas pour l’invité de la Radio nationale d’expression française, Mustapha Heddam, qui demande d’abord à se situer dans quel système on est réellement. « Sommes-nous dans un système présidentiel où le président est élu avec son assistant (vice-président) ? Dans ce cas nous n’avons plus besoin de Chef de gouvernement, ni de Premier ministre, puisque c’est le Président qui gouverne. Et si nous sommes dans un système présidentiel modéré, à ce moment là il y a un président qui décide et dirige la politique étrangère et la défense et laisse au Chef du gouvernement, issu de la majorité le pouvoir de gérer le reste. Où est-ce un système hybride ? Là, pourquoi alors on mentionne « il peut », dans le cas d’incapacité de gouverner, le président du Sénat peut assurer la continuité du mandat ». Autant de questions émises par l’analyste politique pour dire le flou qui entoure cette disposition dans le texte.
« Le CSM doit être indépendant de l’Exécutif »
S’agissant de l’indépendance de la Justice, M. Heddam est des plus clairs. « On peut avoir une justice indépendante si l’autorité (Conseil supérieur de la magistrature) en charge de gérer la carrière des magistrats, leur recrutement, n’est pas dépendante de l’Exécutif, y compris, du président », a-t-il souligné dans ce registre, affirmant que « le président de cette instance doit être élu par tous les magistrats et disposer de toutes les prérogatives du recrutement jusqu’à la discipline, et le Président et le ministre n’ont rien à voir dedans pour faire un pas important vers l’indépendance de la justice ».
Et c’est avec cette même justice, véritablement libérée justement, bien outillée avec des magistrats formés et compétents qu’on peut lutter contre le phénomène de la corruption qui a gangréné la société algérienne dans son ensemble.
Brahim Oubellil