Les négociations inter-libyennes doivent prochainement reprendre sous l’égide de l’ONU, mais elles ont peu de chances d’aboutir en raison des divisions dans chaque camp, et la guerre civile risque de s’éterniser, estiment des experts. L’émissaire de l’ONU Bernardino Leon supervise depuis mars au Maroc des pourparlers entre les deux Parlements rivaux, l’un basé dans la capitale Tripoli contrôlée par la coalition de milices Fajr Libya, l’autre reconnu par la communauté internationale et exilé à Baïda (est). L’objectif est, notamment de parvenir à un arrêt des violences et à la mise en place d’un gouvernement d’union dans un pays sous le joug des milices depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Mais les divisions au sein de chaque camp, l’échec des forces politiques à contenir les puissantes milices armées, les ingérences extérieures et la montée en force des jihadistes du groupe État islamique (EI) compromettent grandement, selon les experts, toute chance de trouver une solution politique. Pour Frederic Wehrey, de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, il y a, au sein des deux camps, des pragmatiques et des modérés qui veulent la fin des affrontements et voient dans les jihadistes (…) un grand danger qu’il faut combattre via un gouvernement d’unité. Mais il y a aussi des radicaux qui sont hostiles à un règlement, estime cet analyste. Issandr al-Amrani, de l’International crisis group, souligne également que les deux gouvernements sont très divisés et que chaque camp de négociateurs a aussi ses propres lignes de fracture. Le succès du dialogue dépend selon lui de la capacité des organisateurs à séparer le bon grain de l’ivraie, selon lui. Autre écueil pour l’arrêt des combats et la recherche d’une solution, les acteurs (des négociations) ne contrôlent pas forcément les groupes armés sur le terrain, souligne M. Wehrey, en faisant référence, notamment au général Haftar, le chef de l’armée libyenne, d’un côté, et à Fajr Libya de l’autre.
«Dimension régionale»
Dans ce genre de situation, l’essentiel est de maintenir une dynamique et un espoir de parvenir à un accord de principe, car plus le temps passe, plus on offre aux partisans du chaos la chance d’opérer sur le terrain, selon M. Amrani. Comme en Syrie et en Irak, l’EI a tiré profit en Libye de l’instabilité pour se développer. Le groupe ultraradical sunnite a notamment profité des combats entre différentes milices pour s’implanter à Derna et à Syrte, deux villes sur la côte méditerranéenne, perpétrant des attentats et des exactions, comme la décapitation de 21 chrétiens coptes. Pour le professeur de sciences politiques Ali Zlitni, la Libye est bel est bien installée dans une guerre civile. Selon lui, des pays de la région jouent en outre leur carte en soutenant militairement un camp contre l’autre. C’est le cas d’un côté de l’Égypte et des Émirats arabes unis qui soutiennent selon lui le général Khalifa Haftar, le nouveau chef de l’armée, et de l’autre côté la Turquie et le Qatar soupçonnés d’aider Fajr Libya. M. Amrani souligne également que les ingérences extérieures nourrissent un conflit qui déborde en l’absence d’une solution politique. Plus le conflit prend une dimension régionale et plus il se prolonge comme cela a été le cas au Liban, où une guerre civile a duré 15 ans (entre 1975 et 1990), faisant plus de 150 000 morts, souligne l’expert. Plusieurs pays occidentaux comme la France s’inquiètent vivement de la présence de l’EI en Libye, un pays qui constitue la source principale de l’immigration clandestine vers les côtes européennes, et notamment l’Italie, à 350 km des côtes libyennes. Cependant, ces pays ne semblent pas vouloir intervenir militairement dans le bourbier libyen et se lancer dans une nouvelle aventure militaire comme c’était le cas, lors des opérations de l’Otan en 2011 pour soutenir les rebelles face au régime de Kadhafi.