Il est six heures du matin, dans une ville de la wilaya de Blida, il fait déjà chaud en cet été qui n’est pas encore terminé et le soleil déjà haut dans le ciel. Les habitants d’une cité nouvellement construite ne sont pas encore levés quand le brouhaha, auquel ils commencent presque à s’habituer, réveilla nombre d’entre eux. Ils savent à quoi s’en tenir, puisque chaque matin, c’est le même manège : des dizaines de Maliens et de Nigérians, des femmes, des nuées d’enfants et quelques hommes s’en vont vers… ma foi, personne n’en sait rien, nous voyons bien quelques femmes avec des enfants près des mosquées où elles mendient toute la journée, assises à même le sol ou, tout au plus, sur un morceau de tissu généralement bleu, pourquoi cette couleur ? Personne ne le sait. Quant aux hommes, ils sont presque absents, on n’en voit qu’en quelques endroits, un ou deux, toujours avec un pot en plastique qu’ils présentent aux passants en disant : «Sadaqa (aumône)», l’un des quelques mots d’arabe qu’ils ont appris. Le nombre de réfugiés maliens et de ressortissants nigérians (une distinction faite par la ministre de la Solidarité, lors de sa dernière visite) est inconnu, il y en a partout, dans toutes les villes, peut-être plus dans certaines que dans d’autres, mais il y en a toujours. Certains ont squatté des institutions en construction ou abandonnées, d’autres recherchent le moindre endroit, là une salle de sport inachevée, là encore un bureau de poste, dont la construction a été abandonnée durant la Décennie noire, ou encore dans des champs, non loin de la ville, sous des tentes de fortune, faites avec des branchages et des morceaux de tissus. Quand on les voit passer le matin, on croit à une véritable évasion, mais quand on va en ville, hormis devant les mosquées, ils se font très discrets, bien que les enfants, des filles et des garçons en nombre impressionnant, commencent à sillonner les rues, en riant et en jouant, tout en demandant l’aumône aux passants qui, amusés d’un côté par l’insouciance enfantine malgré la misère, leur donnent des pièces de monnaie qu’ils s’empressent de cacher avant de les remettre à leurs parents. Les femmes, pour la plupart jeunes et très maigres, sauf quelques-unes qui présentent quand même un certain embonpoint, s’assoient en des endroits différents et passent la journée à mendier, faisant manger leurs enfants sur place et se nourrissant elles aussi, ne manquant presque de rien puisque les Algériens sont connus pour leur générosité, surtout quand ils voient toute cette misère humaine qui est venue frapper à leurs portes. Rares sont ceux qui ne mettent pas la main à la poche, même si c’est pour donner juste cinq ou dix dinars, ce qui, à la longue, devient une véritable manne pour ces réfugiés qui ont fuit la famine et la mort dans leurs pays. Mais les hommes, bien qu’ils soient assez nombreux, sont presque absents des rues ou des endroits choisis pour mendier, où vont-ils alors ? Tout le monde se le demande et nous avons cherché à le savoir en suivant un groupe d’entre eux, dès la matinée. C’était chose aisée puisqu’ils sont assez nombreux et visibles et nous avons commencé dès le matin notre filature. Ils se sont dispersés, ne restant qu’en groupes de deux ou trois et se sont dirigés vers des quartiers limitrophes de la ville. Ils se sont mis alors en quête de travaux à effectuer chez les gens, trouvant généralement assez facilement ceux qui les chargeaient de menus travaux contre des sommes en rapport, parfois plus importantes, histoire de mêler l’utilité à l’aumône. Et c’est ainsi toute la journée, les hommes valides essaient de travailler, les femmes et les enfants demandent l’aumône et, avant que l’obscurité ne tombe, tout le monde retourne à «la maison». Ce qui est aussi étonnant, c’est la propreté des vêtements qu’ils portent, hommes et femmes et même ces fillettes qui portent le khimar jusqu’aux genoux, traduisant, ainsi, leur islamité. Tous, sans exception, portent des sachets en plastique dans lesquels on devine des fruits, des légumes, des pâtes et tout ce dont on a besoin, généralement. L’argent récolté durant la journée sert aussi à l’achat de diverses denrées, comme le lait ou l’eau minérale. Juste après l’adhan du maghreb, on n’en voit plus, sauf certains hommes qui se dirigent vers les mosquées pour faire la prière avant de s’en retourner «chez eux». Pour les Algériens : «C’est une situation presque normale, ces gens sont nos frères de religion et nos voisins, ils ont des problèmes de sécurité dans leurs pays et c’est tout à fait normal que nous les hébergions jusqu’à ce que cela passe», affirme-t-on en général, ce qui traduit encore une fois la générosité légendaire des Algériens. Il y a aussi les Syriens mais ils ont fini par passer inaperçus sauf quand on leur parle ou qu’ils demandent l’aumône aux entrées des mosquées, pas ailleurs. Certaines Syriennes achètent des paquets de papier mouchoir pour les revendre à l’unité à 15 DA/pièce (au lieu de 10 DA) en arguant que c’est pour les aider et, là aussi, les Algériens ne rechignent pas à en acheter quelques paquets, même s’ils n’en ont pas besoin. Quant aux hommes, rares sont ceux qui demandent l’aumône directement, ils se font très discrets ou ont d’autres moyens de subsistance, puisque nombreux sont ceux qui louent des appartements et y vivent en famille, en payant des sommes assez importantes. Mais, quoi qu’il en soit, les réfugiés, de quelque nationalité qu’ils soient, vivent en Algérie, très tranquillement, ils ne sont inquiétés ni par les autorités ni par les citoyens, pourvu qu’ils ne créent pas, eux-mêmes, de problèmes. En attendant que la paix revienne chez eux et en espérant que l’Algérie ne soit pas touchée par ces vagues de déstabilisation orchestrées par l’impérialisme et le sionisme mondiaux.
Hadj Mansour