D’origine algérienne, cinéaste, auteur-compositeur-interprète, Djura, de son vrai nom, Djouhra Abouda, est née en 1952 à Ifigha, (Tizi Ouzou). Elle a créé en 1977, Djurdjura, un groupe bien connu du grand public. Dans ses chants, elle allie le charme de la tradition berbère et les ressources de la musique moderne. Le Voile du silence est son premier livre.
Ce livre retrace l’histoire d’une jeune kabyle qui se voit condamnée à mort par sa famille pour avoir enfreint les règles ancestrales, pris pour compagnon un Français et conçu un enfant avec lui. Dans le Voile du silence, Djura ne se contente pas de raconter le drame. Elle nous entraîne dans les enchantements des montagnes de Kabylie, dépeint le folklore tragique des cités d’urgence pour immigrés, et fustige, sans aucun à priori politique, l’incroyable archaïsme de la condition de certaines femmes musulmanes dans l’Europe d’aujourd’hui. Le « Voile » que l’auteur lève ici rejoint une actualité grave, qui ne se limite pas au port d’un simple foulard. Aussi, dans ce livre émouvant Djura, évoque ce que fut la vie d’une petite fille kabyle en Algérie, puis celle d’une jeune fille émigrée en France, avec, en toile de fond des ghettos, le racisme, la fatalité de l’islam, la fierté de l’Arabe et la condition de la femme qui commence parc celle de la petite fille qu’on rejette dès sa naissance pour la seule raison qu’elle n’est pas un garçon. Elle parle de la prédominance de l’homme, qu’il soit père, frère ou mari, qui, dans la société maghrébine a tous les droits sur la femme, taillable, corvéable, réduite à la condition d’esclave, humiliée, étouffée par la cellule familiale, avec la complicité même de la mère, surveillée, battue, répudiée, parfois assassinée, mariée contre son gré parce que la tradition veut qu’on n’ait d’égards que pour l’homme, alors que la femme ne sert qu’à perpétuer la famille. C’est qu’une femme n’est rien et doit être soumise, asservie à l’homme et à sa dictature. Sur elle pèse encore plus lourdement le poids des traditions ancestrales auxquelles il ne peut être dérogé, avec en prime la conjuration du silence. C’est la condition de la femme arabe que Djura a choisi de dénoncer et sa révolte est à la mesure de son engagement, à contre-courant des coutumes.
Elle dit quelle a été sa volonté d’en sortir, malgré les épreuves et les interdits au sein d’un monde hostile, même à l’intérieur de sa propre famille au point que le suicide ait pu, un temps, constituer une délivrance. Elle analyse aussi ce que fut son ouverture à la culture française, la découverte de sa personnalité, de son originalité, de sa vie de femme, de sa valeur, de sa générosité aussi puisqu’elle avait choisi d’aider tous les membres de cette famille qui furent aussi ses bourreaux. Ce livre est un pas vers l’émancipation de la femme algérienne de sa reconnaissance en tant qu’être humain. Les occidentaux ne détiennent pas la vérité et il reste chez nous encore beaucoup à faire, mais ce phénomène de libération de la femme, même s’il est cyclique et lent, est aussi irréversible… Sous toutes les latitudes « la femme est l’avenir de l’homme ». Djura est aussi scénariste, auteur, compositeur-interprète, poète, comme les êtres qui ont beaucoup souffert et qui puisent dans leurs plaies et dans la sanie qui s’en écoule la force d’exister, malgré la peur et la mal de vivre. L’écriture et la musique sont un exorcisme.
Ainsi, après s’être battue contre sa condition, découvrit-elle, grâce sans doute à la vie en France, l’union libre, ce qui est impensable pour une Algérienne, mais aussi la joie du spectacle. Ce fut « Djurdjura », un groupe de chanteurs et de musiciens qu’elle fonda, où la volonté de vulgariser la culture et la musiques berbères le disputait à la poursuite de son combat pour l’émancipation de la femme maghrébine. Rappelons que Djura est aussi l’auteur du roman « La saison des Narcisses » qui évoque la saison printanière dans la campagne kabyle, où fleurissent les narcisses, que les femmes algériennes associent à leurs vœux d’harmonie. Le temps des narcisses qu’appelle ici la chanteuse, fondatrice du groupe Djurdjura, c’est celui où les femmes de culture musulmane pourront vivre selon leur choix entre un Islam tolérant et un Occident libéré de la peur. Après le triomphe de son premier livre, Le Voile du silence, Djura accueille ici le témoignage d’autres femmes de son pays, venues lui confier leurs secrets, leurs difficultés, leurs drames. Toutes ne sont pas, comme on le croit trop vite, uniformément voilées et soumises.
Résistant à l’intégrisme, musulmanes trouvant dans le Coran la justification de l’émancipation féminine. Maghrébines de France placées au point de conflit entre deux cultures : elles sont nombreuses à attendre, elles aussi, le temps des narcisses.