Après sa consécration langue nationale et officielle dans l’article 4 de la Constitution de 2016, les députés de l’Assemblée populaire nationale (APN) ont débattu hier le projet de loi organique relatif à l’académie de la langue amazighe.
Présentant ce texte devant les députés, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Tahar Hadjar, a défini les missions de cette nouvelle institution placée auprès de l’autorité de la présidence. Le texte de loi, de 31 articles et 5 chapitres, présenté par le gouvernement définit l’Académie amazighe comme « une institution nationale à caractère purement scientifique, appelée “Académie”, et qui jouit de la qualité morale et l’autonomie financière ». L’Académie de la langue amazighe remplit la fonction d’ « une autorité de référence sur les questions en rapport avec la langue amazighe », a précisé Hadjar, hier. Le rôle de l’Académie amazighe est de conférer et consacrer le nouveau statut de langue officielle à tamazight, dont les missions est de : réunir le lexique linguistique de tamazight dans toutes ses variantes, la rédaction d’un dictionnaire et des publications spécialisées et superviser les œuvres de recherches et de traductions en rapport avec tamazight. L’académie amazighe sera composée de 50 membres au maximum choisis parmi les experts et compétences avérés dans le domaine de linguistique tamazight. Elle se réunit dans une session ordinaire chaque 4 mois ou dans une session extraordinaire en cas de nécessité. Le président de l’académie est désigné par le président de la République pour un mandat de 4 ans, alors que le bureau de l’Académie est composé de 6 membres élus par les pairs pour un mandat de 2 ans. L’Académie est appuyée également par des commissions spécialisées. Dans leurs interventions, plusieurs députés ont proposé d’instituer des vice-présidents pour le poste de président, à condition qu’ils soient de régions différentes pour garantir la diversité de tamazight et d’éviter la domination d’une région sur l’autre. Les députés ont insisté sur le fait de faire de la langue amazigh un moyen d’unification et de cohésion en toutes les composantes du pays afin de barrer la route à toute tentative de son instrumentalisation politique dans l’avenir. Mais, le caractère de l’écriture – faut-il opter pour le graphique arabe ou latin, ou carrément adopter le tifinagh ? – a fortement divisé les députés. Les députés islamistes notamment ont défendu l’utilisation de caractère arabe dans la transcription de tamazight « afin d’aller en synergie avec sa sœur arabe et sauvegarder l’unité nationale ». Les députés de l’Alliance Nahda-Adala-Bina ont farouchement mis en garde contre « les campagnes d’occidentalisation et de colonisation » en cas d’utilisation de caractère latin, selon eux, car cela servirait à son instrumentalisation politique pour exercer des pressions et frapper l’unité du pays par les puissances étrangères. Lakhdar Benkhellaf, de l’alliance, a fustigé ceux qu’il a qualifiés de « sous-traitants politiques et d’agents de l’étranger et du sionisme ». Il a appelé les autorités judiciaires à poursuivre les adeptes de Ferhat M’Henni, qui a incité récemment à constituer des milices armées et sortir dans la rue. « Tamazight est partie prenante de notre patrimoine ancestral, plaide Benkhellaf, son nouveau statut de langue officielle lui confère à l’instar de l’arabe un rôle de langue qui unisse et non pas qui sème les divergences. Je ne comprends pas la volonté de certains d’adopter le caractère latin si ce n’est la nostalgie à la France. Nos ancêtres l’ont écrit en arabe et les études scientifiques ont conforté le caractère arabe. Alors pourquoi ne pas aller vers le caractère arabe !». Fatma Zahra Hayane de FLN, a salué «la responsabilité historique qu’a pris le président de la République » en décidant de la consécration de tamazight, appelant à «définir la relation entre l’Académie et le HCA (Haut-commissariat à l’amazighité)pour éviter d’interférences de prérogatives ». Il est à constater que les appartenances ethniques et régionales ont fortement influé sur les avis des députés, plus que leurs filiations partisanes. Ceux issus des Aurès et du Nord, en plus des formations islamistes ont plaidé en faveur du caractère arabe à l’instar de Basma Azouar du Front El-Moustakbal, alors que leurs homologues du Sud et du Mzab ont défendu le caractère de tifinagh. La formation du RCD a choisi le caractère latin, car, selon l’une de ses députées, Fetta Sadatt, il est inconcevable aujourd’hui de laisser de côté tout le legs et les travaux de Mouloud Mammeri sur tamazight. Le Parti des travailleurs, par le biais du président de groupe parlementaire, Djelloul Djoudi, a préconisé l’introduction de la traduction instantanée à l’Assemblée pour permettre aux députés berbérophones d’exprimer leurs interventions en tamazight et que les non-berbérophones puissent comprendre.
Hamid Mecheri