C’était dans l’air depuis l’accréditation en novembre 2023 du nouvel ambassadeur d’Algérie à Madrid, Abdelfetah Daghmoum, le rétablissement des relations normales entre les deux pays se confirme jour après jour. La visite attendue, ce lundi à Alger, de José Manuel Albares, signe l’ultime indice de cette perspective.
«Le ministre des Affaires étrangères, de l’Union européenne et de la Coopération, José Manuel Albares, se rendra à Alger lundi prochain, suite à l’invitation de son collègue Ahmed Attaf », a annoncé, jeudi, la diplomatie espagnole dans son site internet. Ce communiqué, aussi laconique soit-il, prélude à une reprise à plein régime des relations algéro-espagnoles qui se sont déjà réchauffées depuis quelques semaines. Nouvelle année, nouvelle perspective pour les deux pays ? Tous les indices font croire à cette perspective. À commencer par le retour, sous une autre main, de l’ambassadeur d’Algérie en Espagne après une brouille diplomatique qui a duré 20 mois.
La visite d’Albares à Alger, dont la première sous la présidence algérienne d’Abdelmadjid Tebboune était faite en septembre 2021 alors que le président du Gouvernement espagnol avait accompli son déplacement une année plus tôt (octobre 2020), intervient dans un contexte où le Pedro Sanchez a multiplié les déclarations et par lesquelles il avait montré de bons signes quant au retour à la position de neutralité sur le Sahara occidental. D’abord, et dans l’absolu, il y a lieu d’assumer pleinement sa position de puissance administrante du territoire sahraoui jusqu’à sa décolonisation et l’accès du peuple sahraoui au référendum d’autodétermination. Et puis, il y avait le changement de cap opéré dans la position de Sanchez lui-même qui, sur la tribune de l’ONU et successivement en 2022 et 2023, avait affirmé que son pays soutenait le plan onusien comme solution juste et équitable pour le conflit. Bien que le Maroc de Mohamed VI a passé sous silence le rétablissement de la position traditionnelle espagnole dans le dossier sahraoui, ce qui est synonyme de l’abandon du soutien à sa prétendue marocanité, le Makhzen avait dirigé une campagne d’intox pour laisser croire le contraire.
Face à cette succession d’évènement, l’Algérie était restée stoïque sachant qu’elle n’a rien à se reprocher, si ce n’est de contraindre son partenaire espagnol à revenir à sa position initiale. Faut-il rappeler la position d’Alger pour éviter les amalgames comme l’avait maintes fois affirmé par le président Abdelmadjid Tebboune, le problème était le gouvernement Sanchez, mais jamais le peuple et le roi espagnols.
Retour des échanges commerciaux
Suite logique aux relations diplomatiques, la visite du chef de la diplomatie espagnole intervient aussi dans un contexte du retour graduel des échanges commerciaux entre les deux pays. C’est le cas de le dire, puisque l’étau a commencé à se desserrer sur les importations algériennes en Espagne en début de cette année. Il faut dire que la suspension du Traité de 2002 a fait subir au partenaire ibérique beaucoup de dégâts sur le plan économique. Les pertes espagnoles sur le marché algérien s’élèvent à 629,9 millions d’euros. Selon des médias espagnols, le préjudice pour le commerce extérieur espagnol avoisine même un milliard d’euros, à la fin de l’exercice écoulé rien que de juin 2022 à octobre 2022. Les seuls céramistes ont perdu quelques 70 millions d’euros en six mois. Dans la foulée de cette reprise du commerce entre les deux pays, en janvier 2024, dans une note rendue publique, l’Association algérienne des banques et des établissements financiers (ABEF) avait confirmé la levée de l’interdiction sur les produits avicoles espagnols. « Nous avons l’honneur de vous informer que l’importation des intrants avicoles, en l’occurrence les poussins de chair, les poussins de ponte ainsi que les œufs à couver en provenance du Royaume d’Espagne, est autorisée », a indiqué l’ABEF dans sa note adressée aux différentes banques du pays.
Pour revenir à la cause derrière la crise diplomatique entre les deux pays, ce que tout le monde connait mais qu’il serait judicieux de rappeler pour replacer les événements dans leur contexte, était liée au manque d’adresse diplomatique de Madrid sur le Sahara occidental. Un revirement de situation qui remonte au 18 mars 2022 et dont le président du Gouvernement espagnol était l’auteur. Pedro Sanchez avait, en effet, surpris le monde diplomatique et géopolitique, parmi même son entourage au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et dans le palais de La Moncloa, en décidant d’épouser le funeste plan d’autonomie marocain au Sahara occidental. Ce qui était un précédent au détriment de la position de neutralité, traditionnelle, historique et consensuelle à la monarchie ibérique. Après le rappel, avec effet immédiat, de son ambassadeur à Madrid pour consultations sur ce changement brusque dans la position, l’Algérie, qui avait « accordé » suffisamment de temps à Pedro Sanchez, dans l’espoir de réparer ce préjudice diplomatique majeur, avait haussé le ton en décidant, juin 2022, de suspendre le Traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération liant les deux pays depuis octobre 2002. Mais depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. À présent, on est tenté de croire que les choses commencent à rentrer dans l’ordre pour les relations.
Farid Guellil