Journaliste engagé et président du Réseau des journalistes algériens solidaires avec le peuple sahraoui, Mustapha Aït Mouhoub consacre, depuis de nombreuses années, son travail à la défense du droit à l’autodétermination du Sahara occidental et à la dénonciation des silences médiatiques qui étouffent ce conflit.
Auteur de plusieurs ouvrages sur les figures emblématiques de la guerre de libération algérienne, il signe également « Sahara occidental… un peuple brûlant de libération », un livre qui représente à la fois un hommage et un manifeste.
Pour lui, au Sahara occidental comme à Ghaza, c’est le même combat qui se joue : celui d’un peuple pour son existence, son nom, et son droit à écrire sa propre histoire, envers et contre toutes les formes d’effacement. La question sahraouie, explique l’auteur, incarne les fractures d’un monde postcolonial inachevé, où les logiques impériales continuent de se réinventer sous des visages nouveaux.
Rencontré au Salon international du livre d’Alger (SILA), Mustapha Aït Mouhoub a, dans cet entretien au Courrier d’Algérie, analysé avec une lucidité percutante les dimensions politiques, économiques et symboliques d’une occupation qu’il qualifie de « néo-impériale ». Il revient sur les origines du conflit qui oppose, depuis 1975, le mouvement de libération du peuple sahraoui, le Front Polisario à l’occupant marocain, et établit des parallèles éclairants avec d’autres luttes de décolonisation, de la Namibie au Timor oriental. Son message est sans équivoque : tant que le Sahara occidental demeurera sous occupation, la promesse universelle de la décolonisation restera inachevée. Dans son ouvrage, dédié « au peuple sahraoui, courageux et héroïque, dont la ténacité est un poème vivant, une ode au combat pour la dignité et la liberté », il appelle à une prise de conscience internationale et à une relecture décoloniale de l’histoire contemporaine.
Le Courrier d’Algérie : Vous parlez du Sahara occidental comme d’un laboratoire postcolonial. Que signifie cette expression ?
Mustapha Aït Mouhoub : Cela signifie que le Sahara occidental cristallise toutes les contradictions du monde postcolonial. Officiellement, nous vivons dans un ordre international fondé sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En pratique, ce droit demeure incomplet, sélectif et souvent soumis aux rapports de force. Le Sahara occidental, comme la Palestine ou le Timor-Oriental avant 1999, démontre que la décolonisation n’a pas mis fin à la logique coloniale, elle l’a simplement déplacée. L’occupation du territoire par le Maroc n’est pas une exception, mais la continuité d’un système global où le droit est subordonné à la géopolitique. En ce sens, le Sahara occidental est véritablement le miroir des empires.
-Vous établissez un parallèle entre la colonisation classique et la situation actuelle au Sahara occidental. Mais le Maroc n’est-il pas lui-même un ancien pays colonisé ?
-Justement, c’est là toute la complexité et le paradoxe. L’un des aspects les plus fascinants de la question sahraouie, c’est qu’un ancien colonisé reproduit les mécanismes du colonisateur. Après avoir combattu pour sa propre indépendance, le Maroc a adopté à son tour un discours de mission civilisatrice et de souveraineté historique sur le Sahara occidental. Frantz Fanon parlait de cette bourgeoisie nationale postcoloniale qui, au lieu de libérer, prend la place de l’ancien maître pour exploiter et dominer. Le cas du Sahara occidental en est une illustration éclatante.
-Peut-on alors dire que le Sahara occidental est une colonie de type néo-impérial ?
-Oui, au sens où il combine plusieurs formes de domination : militaire, économique et symbolique. On n’a plus affaire à un empire européen classique, mais à une forme d’impérialisme régional appuyé par des soutiens occidentaux. L’exploitation des ressources sahariennes, la marginalisation de la culture locale, le mur de 2 700 kilomètres et la naturalisation forcée des Sahraouis relèvent tous de pratiques coloniales contemporaines. Le Sahara occidental est aussi un miroir du néo-impérialisme économique : un espace d’extraction et de dépendance, à l’image des périphéries du capitalisme global.
-Vous comparez souvent la situation sahraouie à celle de l’Afrique du Sud (du temps du système d’apartheid), de la Namibie ou du Timor-Oriental. Pourquoi ces comparaisons ?
-Parce qu’elles montrent que la libération d’un peuple colonisé n’est pas une utopie, mais une possibilité, à condition que certaines conditions soient réunies. La Namibie, colonie allemande puis sud-africaine, a obtenu son indépendance après une longue lutte et grâce à une mobilisation internationale constante. Le Timor-Oriental, annexé par l’Indonésie en 1975, a subi un génocide silencieux avant que la pression diplomatique et la solidarité mondiale ne conduisent à un référendum en 1999. Ces exemples démontrent que l’oubli n’est pas une fatalité. Mais pour le Sahara occidental, ces conditions — soutien populaire, pression internationale, volonté des institutions — ne sont pas encore réunies.
-Pourtant, l’ONU a été créée en partie pour mettre fin au colonialisme. Pourquoi a-t-elle échoué dans le cas du Sahara occidental ?
-Parce que l’ONU est à la fois un espace de principes et un espace de pouvoirs. Le problème, c’est que le second prend toujours le dessus sur le premier. Depuis les années 1970, le Conseil de sécurité est paralysé par le veto ou la complaisance de puissances ayant des intérêts directs avec le Maroc : la France, les États-Unis et, plus récemment, Israël. Le Sahara occidental illustre parfaitement la faillite du multilatéralisme dès qu’il s’agit de contrarier des alliés stratégiques. Et il y a un scandale peu évoqué : la MINURSO (Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidentalb), créée pour organiser un référendum, est la seule mission onusienne au monde dépourvue de mandat pour surveiller les droits humains. Cela en dit long sur les priorités réelles du système international.
-Vous évoquez souvent le rôle du langage. En quoi la domination coloniale passe-t-elle encore par les mots ?
-Le langage est l’un des champs de bataille les plus décisifs. Dire provinces du Sud au lieu de territoire occupé, c’est déjà légitimer la conquête. Le vocabulaire diplomatique et médiatique est saturé d’euphémismes : différend régional, plan d’autonomie, stabilité. Ces mots anesthésient la conscience collective. Edward Said l’a montré dans Orientalisme : le discours colonial ne se contente pas de justifier la domination, il crée une réalité. Il hiérarchise les peuples selon une prétendue maturité politique. Cette hiérarchie perdure aujourd’hui dans les récits médiatiques sur le Sahara occidental, la Palestine ou la Kanaky.
En filigrane de vos propos, on comprend que le Sahara occidental dépasse la seule question territoriale. Que symbolise-t-il à vos yeux ?
Le Sahara occidental n’est pas qu’une question de frontières ou de souveraineté : c’est un miroir du monde. Il révèle notre incapacité à rompre avec la logique impériale et à appliquer universellement le droit des peuples. Il montre que la liberté reste une notion à géométrie variable, tributaire des alliances et des intérêts. Le Sahara occidental, c’est l’épreuve morale du système international. Tant que cette contradiction ne sera pas affrontée, ce territoire restera à la fois occupé et oublié — un désert politique où s’éteint la promesse inachevée de la décolonisation.”
Réalisé par Manel Seghilani
Accueil À LA UNE LE JOURNALISTE ENGAGÉ MUSTAPHA AÏT MOUHOUB AU COURRIER D’ALGÉRIE : « L’occupation marocaine au...













































