La 3ème réunion du Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN) algéro-français se tiendra demain à Alger. Elle sera co-présidée comme c’est devenu l’usage depuis la mise en place, dans le sillage de la conclusion de «la Déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération entre l’Algérie et la France», signée le 20 décembre 2012 à Alger, à l’occasion de la visite d’État en Algérie du président français, par les Premiers ministres des deux pays.
Censée faire le point sur l’état de la coopération, dans tous les domaines, entre l’Algérie et la France, et d’en tracer de nouvelles perspectives, la réunion d’Alger ne manquera pas d’être marquée par les évènements, survenus ces derniers temps, qui ont rendu moins serein, et c’est peu dire, le climat entre les deux pays. Pour tous les observateurs avisés, en effet, les participants à la 3ème réunion du CIHN ne peuvent aucunement ignorer tous les « nuages qui se sont dernièrement amassés dans le ciel des relations algéro-françaises » et qui risquent d’éclater à tout moment ; le plus gros étant, au vu de la prompte et énergique réaction dela partie algérienne, la prise à partie par des organes de presse français, dont le journal Le Monde, de l’institution présidentielle algérienne. En publiant un communiqué officiel dénonçant « la campagne malveillante et fallacieuse (…) dirigée contre l’institution présidentielle » et caractérisée par « des manipulations diffamatoires », le ministère des Affaires étrangères a clairement exprimé la très profonde colère de l’Algérie à l’égard de ce comportement, le moins qu’on puisse en dire, est qu’il est inamical. Une colère que le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, a également exprimée en faisant appel aux usages diplomatiques : en recevant lui-même l’ambassadeur français à Alger qui a été convoqué au ministère des Affaires étrangères, il a tenu à signifier à la partie française la profondeur de celle-ci. Ceci, non sans, au passage et dans le clair souci de devancer l’inévitable argument de la liberté de la presse qui ne manquera pas d’être avancé – et qui l’a été effectivement par la suite – par différentes parties françaises pour tenter de dégager la responsabilité des autorités officielles de l’Hexagone dans « la campagne malveillante et fallacieuse » en question, rejeter toute « invocation de (cette) liberté pour (la) justifier ». Pour rappel, ce n’est pas la première fois que Bernard Emié, l’ambassadeur français, a été convoqué au ministère des Affaires étrangères en conséquence d’un « acte inamical contre l’Algérie » : il l’a été, en octobre dernier, à la suite de la fouille corporelle, injustifiée parce que contraires aux usages diplomatiques, à laquelle a été soumis Hamid Grine, notre ministre de la Communication,dans un des aéroports de la capitale française. Pour rester dans les expressions diplomatiques du mécontentement algérien à l’égard des gestes « inamicaux » de la partie française, la sèche admonestation que Ramtane Lamamra a faite à son homologue français, Jean-Marc Ayrault, lors de la dernière visite de ce dernier à Alger, à propos du soutien apporté par son pays au Maroc dans son différend avec le secrétaire général de l’ONU, en a constitué une autre illustration ; particulièrement significative du mécontentement grandissant de l’Algérie à l’égard de la duplicité de la France officielle dans ses relations avec elle.
En lui assénant, dans la conférence de presse qu’ils ont conjointement animée au siège du ministère des Affaires étrangères qu’il n’était « à la tête de la diplomatie française que depuis quelques semaines alors que le problème du Sahara occidental dure depuis plus de 40 ans », Ramtane Lamamra a clairement visé deux objectifs : rappeler à Jean-Marc Ayrault son « noviciat » dans « le secteur » et, partant, sa méconnaissance de la complexité et des dessous du dossier ; et dénoncer la duplicité en question à partir d’un exemple concret. Une dénonciation d’autant plus à propos que les responsables français défendaient, à chacune de leurs rencontres avec leurs homologues algériens, l’idée que la résolution du problème du Sahara occidental ne pouvait se faire que dans le cadre onusien. Cette ferme dénonciation par notre ministre des Affaires étrangères de la duplicité française dans ce dossier particulièrement sensible pour l’Algérie, est expliquée par nombre d’observateurs par le fait que la récente marque de soutien français au Maroc est venue confirmer les propos que l’ancien président Sarkozy a tenus, en janvier dernier, à Abu Dhabi, selon lesquels « la France (avait) toujours soutenu la marocanité du Sahara (occidental) »; des propos qui constituent une confirmation, on ne peut plus claire, de la duplicité dénoncée par Ramatane Lamamra.
Surtout que l’actuel président du parti « Les Républicains » et candidat déclaré à la prochaine Présidentielle (de 2017) n’a pas manqué d’affirmer, comme pour souligner le caractère irréversible de sa position, qu’on « aurait du mal à (le) convaincre de la nécessité d’une république sahraouie dans une région du monde minée par le terrorisme ». Sauf que le dossier sahraoui n’est pas le seul sur lequel les divergences entre les deux pays sont grandes. L’Algérie et la France divergent, en effet, sur tous les autres dossiers qui font, présentement, l’actualité internationale. Et ce, que ce soit en Libye, en Syrie, au Yémen.
Et s’opposent assez frontalement sur le devenir de l’Afrique où la France ne désespère pas d’y garder une position dominante ; dans ses anciennes colonies, du moins. Si dans nombre de ces dernières, elle n’hésite pas à recourir à la force pour préserver ses positions – elle l’a fait, entre-autres, en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Niger, au Mali et en République centrafricaine -, dans d’autres, elle opte pour l’économie pour atteindre son objectif précité. C’est cette démarche qu’elle a choisi – pouvait-elle faire autrement ? – avec notre pays. Avec plus de netteté avec la « la Déclaration d’Alger sur l’amitié et la coopération entre l’Algérie et la France », susmentionnée. Et c’est, à l’évidence, dans l’optique de renforcer davantage les relations économiques avec l’Algérie que s’inscrivent et la présente visite de Manuel Valls à Alger et la 3ème réunion du CIHN qui la marquera. Sauf que pour la partie française il y a loin entre les intentions et la réalité. Non pas du fait des seules duplicité (de la politique française à l’égard de l’Algérie) et des divergences existantes entre les positions des deux pays sur nombre de questions marquant l’actualité internationale, susmentionnées, mais du fait de la sérieuse remise en cause de sa position, jusqu’à récemment, dominante, sur le plan économique, par l’émergence de nouveaux partenaires économiques de l’Algérie. Particulièrement agressifs, à l’image de la Chine et, à un degré moindre, de la Turquie et de la Russie ; ce dernier pays faisant montre, depuis quelques temps, de sa volonté de faire sortir ses relations économiques avec notre pays du cadre militaire qui les a longtemps marquées. Une volonté qui a été affirmée avec force lors de la dernière visite de Sergueï Lavrov à Alger. Et que la possible signature, avec une entreprise russe, d’un contrat portant sur la réalisation de la première centrale nucléaire algérienne tend à confirmer. Cette agressivité des « nouveaux » partenaires économiques de l’Algérie est particulièrement patente dans le cas de la Chine. Qui lui a permis de devenir, en 2014, le premier partenaire économique de notre pays. Au détriment de la France, faut-il le préciser. Une évolution qui semble partie pour se poursuivre. Et ce, au vu des nouvelles avancées que le géant chinois continue de réaliser en Algérie ; les plus marquantes, depuis le début de la présente année, étant la décision de la Banque d’Algérie de permettre aux opérateurs économiques algériens de régler les factures de leurs importations de Chine en monnaie chinoise, le Yuan ; et l’attribution à des entreprises chinoises de la réalisation de deux mégaprojets d’une importance vitale pour l’économie nationale : à savoir, la construction du grand port du centre et l’exploitation de la mine de fer de Gara Djebilet, dans la région de Tindouf, avec la réalisation de toutes les infrastructures d’accompagnement, dont une voie ferrée de presque 1000 km. Mais également du fait de la duplicité française dans ses relations avec l’Algérie ; une duplicité que nombre d’observateurs expliquent par la présence dans les hautes sphères décisionnelles, politique et économique, de ce pays de personnalités liées au lobby colonialiste français qui n’a toujours pas « digéré » l’indépendance de l’Algérie…
Mourad Bendris