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Kaori Ito : La chorégraphe qui fait danser les fantômes

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Ses dernières créations sont comme des «danses avec les esprits»: en une année marquée par les séparations, la chorégraphe et danseuse japonaise Kaori Ito invoque les fantômes des êtres disparus pour mieux en faire le deuil. L’artiste, qui réside en France depuis 15 ans, se démultiplie cet automne, enchaînant plusieurs spectacles d’Avignon à Paris, après s’être nourrie du «vide» créé par le confinement mais surtout de la rage de revenir sur scène.
Hantée par la représentation sur scène de l’absence, elle croit plus que jamais à ce qu’elle «ne voit pas». «Bien avant le confinement, je m’interrogeais sur comment travailler sur ce qui est invisible autour de nous», affirme à l’AFP la chorégraphe de 40 ans.
«Dans ce monde qui s’écroule, on ressent plus la présence des absents», dit l’artiste qui a dansé pour les grands noms de la danse contemporaine, de Philippe Decouflé à Sidi Larbi Cherkaoui, en pasant par Angelin Preljocaj.

«Comme les ondes wifi»
«Sans se toucher, on peut toucher les gens», ajoute la danseuse formée au ballet classique au Japon et à la danse moderne aux Etats-Unis. Dans la Cité des papes, où le Festival d’Avignon, annulé cet été, organise jusqu’au 31 octobre une Semaine d’art, elle présente «Le Tambour de Soie», avec un acteur légendaire de Peter Brook, Yoshi Oïda, 87 ans. Le spectacle, qui tournera entre autres au Théâtre de la Ville à Paris et à la Maison de la Culture d’Amiens, est inspiré d’un classique du Nô – forme de théâtre traditionnel japonais mêlant textes poétiques, chants, danse et musique. «Si tu arrives à faire sonner mon tambour, je serai à toi», affirme la danseuse à un vieillard tombé amoureux d’elle. L’instrument étant de soie reste muet, entraînant le vieil homme au suicide, avant que son fantôme ne revienne hanter la danseuse. «Au Japon, on vit beaucoup avec les fantômes, ce sont des ancêtres qui nous protègent. En Occident, on les associe aux films d’horreur», souligne l’artiste originaire de la ville de Toyohashi. «Les esprits sont comme les ondes wifi, ça ne se voit pas, mais ils sont là», s’amuse-t-elle. Kaori Ito, qui dirige sa propre compagnie Himé, a invoqué cet été les esprits autrement.
Après le confinement, durant lequel les enterrements étaient interdits aux proches, elle suggère au directeur du Théâtre de la Colline Wajdi Mouawad d’installer «une cabine téléphonique où les gens peuvent parler avec leurs morts».
«Ca existe déjà au Japon; c’était après le tsunami, les gens se sentaient très coupables de ne pas avoir sauvé leurs proches, d’avoir lâché la main de leur bébé», raconte Kaori Ito qui est mère d’un petit garçon. À La Colline, près de 200 personnes ont participé à l’expérience, donnant naissance au projet «La parole nochère» (qui se tient tous les samedis au théâtre où Kaori guide les participants qui témoignent anonymement). «C’est pour soigner l’âme», dit-elle. Avec leur accord, elle a récupéré une centaine d’enregistrements pour les utiliser dans son autre création, «Chers», qui débutera le 4 novembre au Centquatre, à Paris, où elle est artiste associée. Ils sont mêlés à des lettres écrites par les cinq danseurs de la pièce à leurs proches disparus, le tout lu par une actrice qui fait office de «chaman, de passeur d’âmes». «Sur scène, les danseurs sont comme des âmes qui s’envolent très vite», dit-elle. Le spectacle est également inspiré de la dramaturgie du théâtre Nô «où il y a toujours une partie écrite pour les fantômes» et dont «le but est d’apaiser l’âme». «Il y a eu beaucoup de peine, beaucoup de souffrances cette année, il fallait que le théâtre soit là pour fluidifier les énergies négatives», explique la chorégraphe. D’autres spectacles de Kaori Ito interpellent plus la chair que la spiritualité. A la Scala Paris, elle reprend «Embrase-moi» (2017), où elle et son compagnon, le circassien Théo Touvet, partagent leurs expériences sexuelles passées avant de danser nus et de présenter un numéro étonnant de roue Cyr. «J’allie souvent dialogue et danse. Mais le corps s’exprime beaucoup plus que les mots», dit-elle.

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