Aux sons de tambours et chants folkloriques, des réfugiés syriens installés en Jordanie présentent leurs danses traditionnelles pour arrondir leurs fins de mois et faire revivre la culture de leur pays, ravagé par 11 ans de guerre.
Avec ces jeux d’épées et ses costumes orientaux, ces danses –appelées « Arada » ( « spectacle » en arabe)– sont devenues un divertissement de plus en plus prisé pour animer les mariages et fêtes en Jordanie. Ces spectacles ajoutent « de la gaieté dans nos cérémonies », souligne Fahed Chehadeh, qui a fait appel à la troupe de danse folklorique Bab al-Hara pour animer la fête de fin des études universitaires de ses deux fils à Amman. « Je suis Jordanien d’origine syrienne et j’ai fait appel à ce groupe parce que j’admire leurs talents de danseurs, leur musique, leurs costumes et chants », explique l’homme de 55 ans. Les danseurs, tous des hommes, dont le nombre est compris entre 10 et 20, sont vêtus de pantalons bouffants noirs, de t-shirts en coton blanc surmontés de vestes brodées, d’un petit bonnet blanc couvrant le sommet de la tête et d’un foulard blanc noué autour de la taille.
Epées et boucliers
En plus des tambours, les artistes sont munis d’épées et de boucliers décoratifs qu’ils manipulent, mimant un combat cérémonial. Moutaz Boulad, responsable de la troupe Bab al-Hara, souligne que les spectacles de danse « Arada » sont très demandés avec un spectacle quotidien en été et plusieurs par semaine en hiver. La danse folklorique est devenue une source de revenus pour les réfugiés syriens qui ont fui la guerre dans leur pays depuis 2011, ajoute Moutaz Boulad, 60 ans. « Au début, certains danseurs n’étaient pas très doués, mais mes fils et moi leur avons appris les techniques de danse pour les aider » et leur permettre de gagner leur vie, explique ce père de famille qui a quitté la Syrie en 1988. Selon l’ONU, environ 80% des réfugiés syriens en Jordanie vivent sous le seuil de la pauvreté, avec moins de trois dollars par jour. Les danseurs de la troupe Bab al-Hara sont issus de milieux professionnels différents, selon M. Boulad. « La plupart d’entre eux occupent un emploi à côté. Certains sont des étudiants universitaires, d’autres sont comptables, serveurs, couturiers ou électriciens (…) mais la danse leur permet d’arrondir les fins de mois », ajoute-t-il.
« Identité et culture »
L’un des danseurs, Ahmed Abou Chadi, 43 ans, est plombier. Selon lui, la danse lui permet de subvenir aux besoins de ses trois enfants depuis qu’il a quitté la Syrie en 2013. « Ce n’est pas tous les jours que j’ai des clients en tant que plombier », dit-il. « Comme danseur Arada, je suis payé 15 dinars (environ 19 euros) par performance. C’est une petite somme, mais ça m’aide à survivre. » Un autre membre de la troupe, qui préfère parler sous couvert d’anonymat, travaille dans un laboratoire médical depuis qu’il a fui la ville de Homs, dans le centre de la Syrie, en 2018. Grâce à la danse, il parvient à gagner 300 dollars en plus des 700 qu’il touche de son emploi de jour au laboratoire. « J’ai fait une demande d’asile pour moi et ma famille auprès du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés en espérant qu’on pourra redémarrer notre vie ailleurs », confie-t-il. Pour Ahmed Abou Chadi, danser la Arada fait partie intégrante de sa vie, malgré l’exil et ses difficultés.
« Cette danse est au coeur de l’identité et de la culture syrienne, ça fait partie de notre quotidien. Nous devons la préserver et l’enseigner à nos enfants et petits-enfants », s’exclame-t-il. « Cet art coule dans mes veines, je ne peux pas imaginer ma vie sans le pratiquer », ajoute-t-il, tout en disant espérer danser à nouveau dans son pays natal. « Je continuerai de danser où que je me trouve », dit-il, « mais c’est sûr que je souhaite que la situation en Syrie s’améliore pour que nous puissions tous y revenir un jour. » La guerre en Syrie a fait depuis 2011 environ 500.000 morts, dévasté les infrastructures du pays et déplacé des millions de personnes. La Jordanie accueille quelque 650.000 réfugiés syriens qui sont enregistrés auprès du Haut commissariat de l’ONU pour les réfugiés, mais Amman affirme qu’ils sont en fait 1,3 million.